Intervention de Agnès Canayer

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 12 octobre 2022 à 9h30
Proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Agnès CanayerAgnès Canayer, rapporteur :

Je me félicite de la qualité de nos échanges et de l'engagement des uns et des autres sur ce sujet fondamental. Nous sommes tous d'accord sur un point : la nécessité de rendre plus effectif l'accès à l'IVG et à la contraception, sur tout le territoire. C'est avant tout une question de moyens, de lutte contre la désertification médicale. Les réponses divergent en fonction de nos sensibilités.

Concernant l'importation du débat américain, celui-ci n'est pas nouveau. L'évolution de la jurisprudence américaine était latente. La Constitution américaine répartit les compétences entre les États fédérés et l'État fédéral, qui n'a pas de compétence spécifique en matière de droit à l'avortement ; celui-ci avait été déduit par la Cour suprême en 1973, dans l'arrêt Roe v. Wade, par une construction jurisprudentielle qui a été peu à peu remise en question au fil du changement de la composition de la Cour, plus favorable aujourd'hui à une lecture originaliste de la Constitution américaine. Elle a fini cette année par renvoyer aux États fédérés la responsabilité de légiférer en la matière ; quatorze d'entre eux restreignent désormais ce droit. Cela dit, le Conseil constitutionnel français n'est pas la Cour suprême américaine ! Ses membres sont moins politiques, plus indépendants. L'émotion suscitée aux États-Unis est compréhensible, mais tous les débats ne peuvent pas être transposés tels quels.

En France, on peut dire que l'on constitutionnalise une disposition pour quatre raisons : pour introduire un droit nouveau ; pour déroger à un principe imposé par la Constitution, comme on l'a fait pour la parité ; pour ratifier un engagement international, comme on l'a fait pour l'abolition de la peine de mort ; enfin - ce que le doyen Vedel appelait un « lit de justice » -, pour revenir sur une interprétation du Conseil constitutionnel que le Constituant jugerait excessive, comme on l'a fait en 1993 au sujet du droit d'asile. Il n'y a jamais eu de constitutionnalisation pour le symbole !

J'entends suggérer par certains que la France pourrait se montrer pionnière en la matière par rapport au reste du monde : cela souligne qu'aucune Constitution dans le monde ne garantit formellement le droit à l'IVG. Aujourd'hui, le droit à l'IVG bénéficie déjà d'une protection par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Or la force de notre protection des droits et libertés repose sur la Constitution et le bloc de constitutionnalité. Il n'y a pas de hiérarchie entre ces éléments. La protection qui découle de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen me semble donc solide.

La constitutionnalisation proposée peut aussi fragiliser l'équilibre constitutionnel. On risque de changer la Constitution en une sorte de catalogue, par l'ajout successif de nombreux droits, ce qui en changerait l'esprit. Il faut faire très attention !

Enfin, je vous rappelle les dangers inhérents à la procédure prévue à l'article 89 de la Constitution pour les révisions constitutionnelles d'initiative parlementaire. Ne partons pas du postulat que ce processus n'aboutira pas ; le recours au référendum est possible.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion