Intervention de Philippe d'Ornano

Délégation aux entreprises — Réunion du 27 janvier 2022 à 9h06
Table ronde sur la transmission d'entreprise « les enjeux généraux de la transmission perçus par les entreprises » avec mme bénédicte caron vice-présidente de la cpme en charge des affaires économiques en visioconférence m. christian geissmann représentant de cci france trésorier de la cci alsace-métropole et m. philippe d'ornano co-président du meti président du directoire de sisley

Philippe d'Ornano, co-président du METI, président du directoire de Sisley :

En préambule, je souhaiterais rappeler l'importance de la transmission des entreprises pour les ETI, et les conséquences des défaillances de transmission d'entreprise en France, qui pèsent fortement sur l'économie.

Dans les années 1990, toutes les entreprises moyennes et grandes étaient vendues, en raison du blocage des transmissions d'entreprise. À l'époque, pour une ETI, il fallait payer entre 55 et 60 % de la valeur de l'entreprise pour que la transmission soit possible.

Plus de 1 000 entreprises ont donc été vendues. Alors que la France comptait en 1980 autant d'ETI que l'Allemagne de l'Ouest, en 2008 elle en comptabilisait deux fois et demie moins que l'Allemagne, deux fois moins que l'Italie et deux fois moins que l'Angleterre.

Cette situation économique relativement méconnue, mais dramatique, a eu un impact sur toutes nos moyennes et grandes entreprises en France.

Nous avons fait oeuvre de pédagogie et plaidé pour la création de pactes. Les premiers pactes ont été conclus sous le gouvernement Jospin, puis simplifiés à l'initiative de M. Dutreil et M. Jacob. Ceux-ci ont permis de rendre les transmissions d'entreprise à nouveau possibles.

En 2008, la France comptait 4 500 ETI, contre 12 500 en Allemagne, 10 500 en Angleterre et 8 000 en Italie. Les ETI sont à 70 % des entreprises familiales. Il faut en moyenne 20 ans pour parvenir à la taille d'ETI, soit une durée où la question de la transmission est amenée à se poser. Une ETI sur deux va se transmettre dans les prochaines années.

Dans la situation actuelle, les difficultés de transmission d'entreprise persistent, puisqu'on compte 14 % de transmissions familiales en France, contre 50 % en Allemagne et 70 % en Italie. Même avec le pacte Dutreil, le décalage perdure donc entre la France et l'Italie. Des études menées au niveau mondial montrent l'efficacité du modèle d'entreprise familial et sa résilience ; j'y reviendrai.

À mon sens, divers enjeux se posent aujourd'hui. Le premier est celui de l'indépendance ; nous l'avons vécu à l'occasion de la crise du Covid. Ces entreprises présentent de forts tropismes industriels dans nos territoires.

L'enjeu d'indépendance doit également nous amener à nous interroger sur une localisation des centres de décision en France ou sur une orientation vers une économie financiarisée, avec des rachats par des entreprises étrangères.

Le deuxième enjeu est lié à la compétitivité, qui demeure malgré le pacte Dutreil. Le taux moyen de transmission en Europe s'élève à 5 % ; en France il se maintient à 16-17 %.

Les transmissions d'entreprise ont lieu en moyenne à 69 ans. Par conséquent, les dispositifs de démembrement de propriété ne s'appliquent que très peu. Si l'on transmet son entreprise à 30 ans, on peut bénéficier d'abattements ; toutefois, personne ne transmet son entreprise à cet âge.

Il faut également bien comprendre le mécanisme du pacte Dutreil. Personne ne détient dans son patrimoine une valeur d'entreprise. C'est toujours l'entreprise qui distribue des dividendes, donc qui se ponctionne, pour permettre la transmission.

Ce sujet de compétitivité économique s'ajoute aux autres sujets d'environnement fiscal français. Tous les 15 ans, l'impact représente entre 6 et 10 ans de profit selon les modèles d'entreprises, alors que le taux moyen européen s'élève à 5 %.

Le troisième enjeu est relatif à la prospérité. 70 % des ETI localisent leur siège social en province. Il est donc très important de préserver ce type d'entreprises, qui irriguent notre territoire.

Par ailleurs, les entreprises familiales, qui développent une approche de temps long, constituent un appel d'air en période de crise, car elles continuent à créer des emplois. La catégorie des ETI est la seule à avoir créé des emplois en 2020, malgré la grande difficulté rencontrée par certains secteurs. Le développement d'un tissu plus important de ce type d'entreprises permettrait de structurer notre économie.

Quelles sont nos propositions ? Il n'existe pas de suivi des indicateurs de transmission d'entreprise depuis 2006. Le seul indicateur dont nous disposons est l'augmentation du nombre de pactes Dutreil de 150 % au cours des deux dernières années. Notre premier plaidoyer consiste donc à mettre en place des indicateurs qui nous permettent de savoir de quoi nous parlons.

Il nous semble également important, dans une économie ouverte, d'être raisonnablement alignés avec notre environnement européen. Il y a trois ans, nous avons proposé la création d'un « pacte Plus », qui permettrait d'obtenir un abattement qui replacerait la France dans la moyenne européenne ; nous maintenons cette proposition.

Il reste à poursuivre la simplification des pactes Dutreil. Si ce dispositif est salutaire, il demeure compliqué. De plus, il nous paraît important de prendre toutes les mesures permettant de favoriser l'anticipation de la transmission d'entreprise.

Enfin, pourquoi une transmission d'entreprise aux employés ou à un membre éloigné de la famille serait-elle surtaxée ? Pour quelle raison la transmission est-elle rendue impossible en-dehors de la transmission directe ? Si nous pensons qu'il est de l'intérêt de notre pays que ces entreprises se transmettent dans de bonnes conditions, il est important d'aborder ce point.

Pour conclure, nous devons nous interroger sur ce que nous souhaitons faire de notre économie. La transmission est une approche de bâtisseur et de long terme. Elle n'implique pas la même démarche vis-à-vis des équipes, de l'environnement et des collectivités. Le fait de disposer d'une proportion plus forte de ces entreprises serait à mon sens un vrai avantage pour notre pays.

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