Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, moderniser notre démocratie, c’est certes moderniser nos institutions, mais aussi renforcer la protection des droits fondamentaux des citoyens.
La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a prévu un double dispositif dont, j’en suis persuadée, l’importance, cruciale pour la pratique quotidienne de la démocratie et le renforcement des droits de nos concitoyens, apparaîtra d’ici à quelques années.
Le premier élément de ce dispositif est la question prioritaire de constitutionnalité, entrée en application le 1er mars dernier. Le justiciable peut désormais obtenir l’abrogation d’une loi incompatible avec les droits et libertés protégés par la Constitution. Il me semble que l’importance de ce mécanisme est d’ores-et-déjà unanimement reconnue.
Le second élément est le Défenseur des droits, objet des projets de loi que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui. Sa mise en place constituera certainement une avancée de la même ampleur que celle de la question prioritaire de constitutionnalité.
En l’espèce, il s’agit de renforcer les possibilités de recours non juridictionnels dont disposent nos concitoyens. Cette institution nouvelle, il faut le dire, placera notre pays à la pointe de la protection des droits et libertés.
L’institution du Défenseur des droits qui est l’objet des deux textes aujourd’hui soumis à votre examen tire les leçons de près de quarante années d’évolutions juridiques de différentes institutions.
Je mentionnerai en premier lieu l’expérience du Médiateur de la République, dont la création, permettez-moi de le rappeler, avait suscité à l’époque nombre d’interrogations, voire un certain scepticisme. Elle a en fait démontré l’efficacité d’une instance indépendante, proche du citoyen, chargée de défendre, face à l’administration, les droits de ce citoyen qui se retrouvait souvent, qu’on le veuille ou non, dans la position du pot de terre contre le pot de fer.
Mais l’histoire du Médiateur de la République a également montré l’intérêt que pourrait avoir pour nos concitoyens une accessibilité plus large et plus directe à l’instance de défense de ses droits.
D’autres institutions ont été créées par la suite. La multiplicité de ces instances, si elle témoigne de la diversité du sujet, ne garantit pas forcément une protection optimale dans chaque situation.
Quelle cohérence d’action en faveur d’un meilleur respect des droits des concitoyens peut-on construire, si des instances multiples aboutissent à des analyses, voire à des décisions, divergentes ? Quelle vision d’ensemble peut-on avoir de la défense des libertés, ou des menaces qui peuvent peser sur elle, dès lors qu’elle s’élabore selon une approche éclatée, sectorielle, et compartimentée ? Quelle peut-être la facilité d’accès du citoyen s’il ne sait pas à qui s’adresser précisément pour traiter de son problème ?
La création du Défenseur des droits tend à répondre à ces trois questions, en s’appuyant sur les expériences de ces dernières années.
Les projets de loi soumis à votre examen ont fait l’objet d’un travail approfondi de votre commission et, tout particulièrement de votre rapporteur, que je tiens à saluer.
Par rapport aux institutions qu’il remplace, le Défenseur des droits disposera de moyens renforcés et renouvelés. Sa mise en œuvre, je l’ai déjà dit, tirera les leçons de l’expérience des institutions antérieures.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à le souligner, le Défenseur des droits tient son autorité de la Constitution. C’est une nouveauté et il convient, dès lors, d’en tirer les conséquences. En effet, le Défenseur des droits doit disposer de moyens à la hauteur de sa mission. Pour cette raison, il bénéficie, par rapport aux institutions antérieures, de pouvoirs accrus, et d’une saisine plus facile.
Quels sont ces pouvoirs accrus ?
Premièrement, il s’agit des pouvoirs d’investigation et de contrôle. Les textes aujourd’hui soumis à votre examen prévoient de doter le Défenseur des droits d’un droit d’accès aux locaux, publics et privés, des personnes mises en cause, et ce évidemment sous le contrôle du juge. En conséquence, les personnes s’opposant aux contrôles effectués par le Défenseur des droits encourront des sanctions pénales, prévues dans le projet de loi complétant le projet de loi organique.
Deuxièmement, le Défenseur des droits dispose de pouvoirs d’injonction. Si les recommandations qu’il adresse aux personnes mises en cause ne sont pas suivies d’effet, il pourra leur enjoindre de prendre les mesures qui s’imposent et, en cas d’inertie, rédiger un rapport spécial susceptible d’être rendu public. De même, si, malgré les éléments portés à sa connaissance, une autorité administrative refuse d’user de son pouvoir disciplinaire, le Défenseur des droits pourra établir et publier un rapport spécial afin de garantir l’effectivité des sanctions.
Troisièmement, le Défenseur des droits jouit de pouvoirs d’intervention directe dans le règlement des litiges. Il pourra ainsi proposer à la personne mise en cause de conclure une transaction pour mettre fin au litige, mais également intervenir devant toute juridiction, dès lors qu’il l’estimera utile pour la protection des droits et des libertés. En outre, il pourra saisir le Conseil d’État d’une demande d’avis pour couper court aux difficultés qui proviendrait d’une divergence d’interprétations des textes applicables. À mes yeux, il s’agit d’une mesure pragmatique et utile.
Par ailleurs, au-delà du renforcement de ses pouvoirs, le Défenseur des droits voit sa saisine facilitée. En effet, toute personne s’estimant lésée au regard de ses droits et de ses libertés pourra le saisir directement. Bien entendu, je le rappelle, les parlementaires disposeront toujours d’un pouvoir de saisine, mais leur intervention ne sera pas obligatoire, comme c’est le cas pour le Médiateur aujourd’hui. La saisine du Défenseur des droits sera ainsi accessible à tous et, bien entendu, gratuite.
Le Défenseur des droits pourra même s’autosaisir dans les domaines de sa compétence lorsqu’il aura connaissances de difficultés. Bien entendu, un certain nombre de précautions seront prises afin d’éviter qu’il n’intervienne si l’intéressé ne le souhaite pas. Celui-ci devra avoir été averti et ne pas exprimer d’opposition à l’intervention du Défenseur.
Une exception a néanmoins été prévue afin de tenir compte du fait que les difficultés peuvent résulter de la famille elle-même. Pour défendre l’intérêt supérieur d’un enfant, le Défenseur aura donc la possibilité d’intervenir sans l’accord de ses représentants légaux.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le Défenseur des droits est un acteur nouveau dans notre paysage institutionnel. Pour autant, il ne s’agit pas de faire table rase du passé. Il faut au contraire utiliser celui-ci pour enrichir une institution nouvelle et forte, laquelle bouleverse la situation de nos concitoyens face aux administrations, aux institutions ou aux personnes qui voudraient mettre en cause leurs droits ou leurs libertés, ou qui seraient susceptibles de le faire. L’instauration du Défenseur des droits s’inscrit donc dans la continuité du développement des institutions antérieures.
Il est prévu que le Défenseur des droits exerce les compétences du Médiateur de la République, du Défenseur des enfants, celles de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la CNDS, ainsi que celles, comme l’a souhaité la commission des lois, de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE. Pour autant – et c’est important –, cela ne signifie pas que les compétences et les missions de ces différentes institutions seront diluées dans l’institution nouvelle. Il ne s’agit pas de réduire ou d’atténuer la défense des droits et des libertés, mais au contraire de la conforter grâce à une institution plus forte et plus cohérente.
Pour prendre en compte la spécificité des différents domaines, le Défenseur sera assisté de collèges de personnalités qualifiées qui lui apporteront leur expertise. Ils seront consultés sur le traitement des réclamations en matière de déontologie de la sécurité, de protection de l’enfance et de lutte contre les discriminations.
De la même façon, le fonctionnement de l’institution favorisera la mise en commun des expériences et des bonnes pratiques. Ce que nous voulons, c’est conforter la défense. Il n’est pas question que chacun travaille dans son domaine et se cache de l’autre, car c’est souvent le manque de cohérence qui nuit à l’efficacité.
Les personnels et les dossiers des institutions antérieures seront donc transférés au Défenseur des droits. Chacun pourra faire valoir ses compétences dans le cadre d’une approche globale et mieux coordonnée de la protection des droits.
Le Sénat a souhaité renforcer la visibilité des différentes missions.
L’individualisation des missions renforcera l’efficacité de l’action du Défenseur des droits. Au-delà des collèges prévus par la Constitution, le projet de loi organique prévoit désormais que le Défenseur des droits s’appuiera sur des adjoints. Je salue l’amélioration apportée par la commission des lois sur ce sujet.
La place accordée au Défenseur des droits par la Constitution sera confortée dès lors que chacun restera dans son rôle. Le Défenseur des droits défend les droits, les adjoints et les collèges l’assistent et l’éclairent dans sa mission, chacun dans son domaine. Je pense que nous aurons l’occasion de revenir sur ce point.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ma présentation générale sera brève, car M. le rapporteur et les différents orateurs qui interviendront dans la discussion générale ne manqueront pas d’approfondir chacun des points que j’ai évoqués. Je soulignerai simplement que le Défenseur des droits donnera une ampleur totalement inédite à la protection des droits et des libertés des Français. Moderniser le fonctionnement de la démocratie, c’est se donner des institutions fortes. Tel est l’équilibre qui a été voulu par le Constituant.
Le Défenseur des droits permettra très concrètement de faire entendre la voix de nos concitoyens face à des administrations qui apparaissent parfois trop indifférentes au sort des personnes. En tant qu’élus, nous voyons de nombreuses demandes arriver régulièrement sur nos bureaux.
Il est indispensable que le citoyen se sente bien dans l’État, qu’il sache qu’il est pris en compte et qu’il est reconnu ; il ne doit plus se heurter à des murs, à des interlocuteurs qui refusent de voir la réalité telle qu’il la perçoit.
Le Défenseur des droits sera le défenseur de tous les droits, de tous les citoyens. C’est important pour la cohésion nationale. Personne ne doit se sentir ignoré, personne ne doit penser que ses droits et sa liberté sont mis en cause par l’attitude d’une institution, d’une administration ou d’une personne.
Le Défenseur des droits a donc vocation à étendre sa mission à tous les domaines couverts par les autorités administratives chargées de défendre les droits de nos concitoyens et par celles qui ne le seraient pas encore.
Pour ma part, je suis persuadée que le Défenseur des droits confortera nos principes, nos valeurs et nos ambitions en matière de liberté et de démocratie. Il contribuera à garantir la pérennité de notre pacte social et la cohésion de la nation, ainsi qu’à préserver l’unité de tous les Français, car, ne l’oublions jamais, l’unité de la nation est certainement notre bien le plus précieux.