Intervention de Jean-Claude Peyronnet

Réunion du 2 juin 2010 à 14h30
Défenseur des droits — Discussion d'un projet de loi organique et d'un projet de loi

Photo de Jean-Claude PeyronnetJean-Claude Peyronnet :

Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, lorsque nous avons auditionné en commission des lois Mme Rachida Dati, alors garde des sceaux, sur le périmètre des compétences du Défenseur des droits institué par l’article 71-1 de la Constitution tel qu’il résulte de la révision constitutionnelle du mois de juillet 2008, nous avons noté – c’est le moins que l’on puisse dire – un certain flottement dans ses réponses…

Pour notre part, nous n’étions pas franchement opposés à la création du Défenseur des droits. Même si nous aurions préféré en rester à une constitutionnalisation du Médiateur de la République, ce n’est pas pour cette raison que nous n’avons pas voté la révision constitutionnelle.

Mais à tout le moins fallait-il que nous puissions savoir quelles autorités administratives indépendantes seraient absorbées par la nouvelle institution.

Dès l’origine, chacun avait bien compris que le Médiateur de la République, très demandeur de la création d’une telle institution, en formerait le corps principal. Pour le reste, seule la CNDS fut évoquée par l’ancienne garde des sceaux, sans la moindre justification.

Par la suite, on nous a expliqué que le Défenseur des droits constituerait un progrès notable en matière de protection des administrés, que sa saisine serait facilitée et ne serait pas réservée aux seuls citoyens français et que cette nouvelle institution aurait vocation à remplacer toutes les autorités chargées de recueillir les plaintes des personnes s’estimant lésées par le fonctionnement d’un service public. Toutes les autorités ? Soit, mais encore ? Desquelles s’agit-il ? La CNDS, on vous dit ! La CNDS ! On nous a toujours cité cette institution, et aucune autre.

À tel point que la suspicion s’est immiscée dans nos esprits et que nous nous sommes dès lors demandé si une telle création, suivie de la disparition de la CNDS, n’était pas un prétexte pour se débarrasser d’une institution particulièrement gênante pour tout le monde, qu’il s’agisse de la hiérarchie ou des syndicats de la police, de la gendarmerie et de l’administration pénitentiaire.

Avouons que cette suspicion ne s’est pas totalement dissipée à la lecture du projet de loi du Gouvernement. Nous nous demandons toujours si le Défenseur des enfants n’a pas été absorbé par le Défenseur des droits par simple similitude ou effet collatéral. Car quelle logique préside à tout cela ? Et pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?

Monsieur le rapporteur, vous avez poussé plus loin la logique et transféré les compétences de la HALDE au Défenseur des droits. Nous n’approuvons pas nécessairement ce choix, mais il est logique. Alors, pourquoi ne pas poursuivre cette logique et faire disparaître, par fusion, la Commission d’accès aux documents administratifs, la CADA, ou le Contrôleur général des lieux de privation de liberté ? Sur ce dernier, vous nous expliquez que la situation n’est pas encore mûre, mais qu’on pourrait aisément concevoir une telle fusion, ne serait-ce que parce qu’un conflit risque de survenir entre les délégués du Défenseur des droits, qui pourront être présents dans les prisons, et ceux du Contrôleur.

Quoi qu’il en soit, enfin munie du texte gouvernemental après deux ans d’attente, la commission des lois a auditionné les autorités administratives indépendantes qui étaient concernées par la fusion avec le Défenseur des droits ou qui pouvaient l’être : autrement dit, la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la CNDS, la Défenseure des enfants, le Médiateur de la République, la CADA, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE, et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Vous en avez été témoin, monsieur le rapporteur, ce fut une levée de boucliers ! Toutes ces autorités – à l’exception du Médiateur, tout acquis ! – ont manifesté une opposition forte, claire et sans nuance, faisant valoir que la création du Défenseur des droits risquait d’affaiblir la protection des droits des citoyens.

Leurs inquiétudes s’articulaient autour de cinq idées essentielles : une perte d’indépendance, une dégradation de leur visibilité et de leur notoriété, un alourdissement de la procédure, une dilution de leur savoir-faire et de leurs compétences et la disparition d’une partie des missions qui leur sont actuellement confiées par la loi. La CNDS, tout comme la Défenseure des enfants ont par ailleurs déploré ne pas avoir été entendues avant que la décision concernant leur avenir ne soit prise.

Il se trouve que, pendant six années et jusqu’au mois de février dernier, j’ai participé de façon plutôt assidue aux travaux de la CNDS, au sein de laquelle je représentais le Sénat. Je m’appuierai donc sur cette expérience très enrichissante pour exprimer l’opposition de mon groupe à la disparition de cette institution, dont l’audience et la crédibilité n’ont cessé de croître au fil des ans, en France comme à l’étranger. Cette commission était composée de quatre membres du Parlement – deux députés et deux sénateurs, désignés sur une base paritaire entre majorité et opposition –, de membres de la Cour de cassation, du Conseil d’État, de la Cour des comptes et de personnalités qualifiées : hauts fonctionnaires de police, médecins, éducateurs, etc. La polyvalence de ces membres a représenté une grande richesse et favorisé une réelle collégialité, sur la base de laquelle les recommandations de la CNDS étaient adoptées. Cette décision collégiale clôturait un travail très approfondi des instructeurs, lesquels n’hésitaient pas, dans nombre de cas, à se déplacer pour auditionner toutes les parties prenantes de l’affaire concernée : plaignants, fonctionnaires suspectés de manquement à la déontologie, ou témoins.

Si le texte du Gouvernement était resté en l’état, la disparition de cette collégialité aurait représenté à l’évidence un amoindrissement de l’impartialité des avis et recommandations émis. De plus, contrairement à ce que prétend le Gouvernement, madame la ministre d'État, les pouvoirs d’enquête du Défenseur des droits auraient été limités. Ainsi le projet de loi prévoyait-il que les autorités mises en cause par une réclamation pouvaient interdire au Défenseur des droits toute investigation sur place, en invoquant des motifs tenant à « la sécurité publique » ou « à des circonstances exceptionnelles » : ces dispositions demeurent, mais elles ont été revues et atténuées par le rapporteur.

Par ailleurs, le texte initial du projet de loi disposait que le secret de l’enquête, en cas de procédure judiciaire, pouvait être opposé au Défenseur, ce qui le privait de l’accès aux pièces du dossier.

Enfin, le projet de loi prévoyait que le Défenseur n’avait pas à motiver ses décisions de rejet : cette disposition inadmissible a été également corrigée. Si le texte originel était resté en l’état, le Contrôleur de la déontologie de la sécurité se serait donc trouvé empêché de tous côtés de contrôler les services de sécurité et le Défenseur des droits n’aurait pas été tenu de justifier en droit ses propres décisions !

Monsieur le rapporteur, vous avez parfaitement mesuré les risques, les insuffisances et les incohérences du texte gouvernemental et vous avez réalisé un travail très important et très remarquable. Il est habituel de rendre hommage au rapporteur lorsque l’on intervient à la tribune, mais je le fais avec conviction car vos modifications sont très positives. Au demeurant, si la situation est désormais moins grave, elle n’est pas pour autant satisfaisante.

Vous avez beaucoup travaillé sur les collèges, qui font l’objet du chapitre premier dutitre III du projet de loi organique, en particulier les articles 11 et 12 existants et les articles 11 A et 12 bis nouveaux. Vous étoffez de façon très significative la composition des collèges, dont l’effectif initialement prévu était limité à trois personnes, pour en faire, éventuellement, une transposition des conseils d’administration des différentes autorités administratives indépendantes concernées : la CNDS, la Défenseure des enfants et la HALDE. La collégialité pourrait ainsi être préservée.

C’est la pratique plus que la norme qui dira si, avec le temps, ces « sections » du Défenseur des droits – vous n’employez pas le terme – pourront acquérir une véritable originalité de fonctionnement et une relative autonomie. Vous ne pouviez pas aller plus loin, je le reconnais. Mais, du coup, vous laissez dépendre du comportement du Défenseur des droits lui-même la manière dont sa formation interviendra en matière de déontologie de la sécurité, de défense des droits ou de lutte contre les discriminations.

C’est un pari ! Mais il est un peu risqué, car le Défenseur des droits aura tous les moyens, s’il le veut, de faire acte d’autorité : c’est lui, et lui seul, qui propose et nomme ses adjoints, l’avis des commissions permanentes du Parlement n’étant que de pure forme – du moins, telle est mon opinion !

La présidence effective des nouveaux collèges sera ou non assurée par les vice-présidents, à la discrétion du Défenseur des droits. Le texte de la commission ouvre la possibilité d’une large délégation au bénéfice des vice-présidents, mais il n’élimine pas du tout la possibilité d’un fonctionnement très centralisé : le Défenseur des droits, et lui seul, en décidera. Vous comprendrez que cette tutelle d’inspiration monarchique ne nous satisfasse pas réellement !

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