Monsieur le président, madame la ministre d’État, ministre de la justice et des libertés, mes chers collègues, la création du Défenseur des droits résulte de la dernière révision constitutionnelle : il est chargé, en vertu de l’article 71-1 de la Constitution, d’exercer une compétence générale en matière de protection des droits et libertés. Cet objectif est largement partagé, reste à construire un édifice qui en assurera la réalisation, dans une société où l’être humain est de plus en plus solitaire face aux mécanismes bureaucratiques.
Peut-être est-il aussi pertinent, voire impertinent, de rappeler à ce moment du débat que la notion de droits a pour corollaire celle de devoirs, tant de la société que des citoyens.
Assurer la protection des droits fondamentaux de toute personne présente sur le sol national constitue de fait l’application des principes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, l’expérience ayant démontré que la République avait souvent pris trop de libertés avec le respect de la liberté.
Le groupe du RDSE tient tout d’abord à saluer le travail de M. Gélard et la qualité de son rapport, dont plusieurs propositions constituent à ses yeux des améliorations du texte initial. Je note d’ailleurs que le Gouvernement lui-même avait déposé une dizaine d’amendements sur son propre texte avant le débat en commission. Lenteur et excès de vitesse s’entrechoquent parfois !
Parlons d’abord de ce qui fâche, c’est-à-dire, en premier lieu, de l’application de l’article 13 de la Constitution, tel qu’il résulte de la révision constitutionnelle – on ne pourra pas y revenir ! – et donc de la nomination du Défenseur des droits par décret en conseil des ministres, avec le seul barrage de la majorité négative des trois cinquièmes et, en cascade, la désignation directe par le Défenseur des droits de nombre de personnalités qualifiées appelées à siéger dans les collèges.
Il s’agit là, monsieur le rapporteur, d’une question de principe et, si vos arguments sont très convaincants, le principe demeure malgré tout. Certes, dans les faits, des désignations réalisées arbitrairement – mais régulièrement – par l’exécutif se sont révélées remarquables, car la qualité de la personnalité désignée, homme ou femme, est primordiale. Mais, s’il est un domaine où la désignation doit être la plus incontestable et la plus signifiante du point de vue de l’éthique, c’est bien celle du Défenseur des droits. Nous risquons de perdre une belle occasion de conforter davantage l’image première, voire l’aura, du nouveau Défenseur des droits ! mais c’est ainsi…
Certes, conformément à l’article 2 du projet de loi organique, le Défenseur ne devra recevoir aucune instruction et devra exercer ses fonctions en toute indépendance, mais ce serait encore mieux s’il n’était point redevable.
Sur le fond, deux logiques peuvent s’opposer.
Le Défenseur des droits, tel qu’il résulte des travaux de notre commission, intègre deux fonctions relevant de logiques différentes, le contrôle et la médiation, comme le reconnaît d’ailleurs l’étude d’impact.
D’un côté, il existe un risque que l’une de ces deux fonctions soit privilégiée et l’autre neutralisée, lorsqu’elles sont regroupées et exercées par une autorité unique. La cohabitation de ces deux missions peut donc devenir un exercice délicat.
D’un autre côté, il peut être justement considéré que cette fusion conférera davantage de force et d’autorité au Défenseur des droits.
Venons-en à la question du regroupement de plusieurs autorités administratives indépendantes : il est vrai qu’elles sont nombreuses, trop nombreuses – trente-quatre, me semble-t-il –, et que leur multiplicité n’est pas toujours un gage d’efficacité, ni d’économie budgétaire. Cependant, des autorités comme le Contrôleur général des lieux de privation de liberté et la CNDS ont démontré leur utilité pour des coûts minimaux. De plus, l’expérience démontre que le manque relatif d’efficacité de leur action résultait surtout de l’absence de prise en compte de leurs constatations et recommandations par l’État : le rapport de la CNDS pour 2009 est frappant à cet égard, pour ne pas dire inquiétant. Nous pourrons avoir rapidement une idée de la réussite ou de l’échec du Défenseur des droits dans le domaine particulièrement exemplaire de la déontologie et de la sécurité.
Faut-il regrouper certaines autorités administratives ? Majoritairement, les membres de notre groupe n’y sont pas opposés. La proposition du rapporteur d’intégrer la HALDE dans le dispositif convient également à la majorité d’entre nous – j’ai d’ailleurs pu vérifier tout à l’heure que la totalité de notre groupe avait voté en faveur de la création de la HALDE.
Nous nous plaçons ainsi dans la tradition de la gauche démocratique réfractaire et combattant toute discrimination, plaie de notre société, du délit de « sale gueule » au refus de l’embauche ou refus du logement.
Respecter les minorités, faire en sorte que nul ne soit défavorisé en raison de sa religion, de sa couleur de peau, de son sexe, de son âge : sur tous ces plans, notre République est loin d’être exemplaire. Elle doit le devenir ! À cet égard, la question économique est d’ailleurs fondamentale, car la discrimination la plus dure, aujourd’hui, est celle qui est subie par les plus démunis, souvent des personnes sans soutien familial.
Je ne suis pas convaincu que le fonctionnement de la HALDE ait été parfait – il n’y a rien de parfait dans notre société ! J’en prends pour exemple les courriers menaçant de sanction pénale les élus des collectivités locales sans instruction préalable du dossier ou le retard à mettre en place les délégués départementaux en zone rurale. Curieux hasard, j’ai eu un cas de la sorte, dans mon département, il y a quelques jours !
Soyons clairs, mes chers collègues, au risque de ne pas toujours être « politiquement corrects » : la lutte contre les comportements discriminants, qui s’avère nécessaire et doit être efficace, ne doit verser ni dans la discrimination positive ni dans la dérive consistant à permettre à quelque minorité que ce soit d’imposer ses comportements à la République et, de fait, de ne point être concernée par les lois de la République. Pour aller jusqu’au bout de ma pensée, je dirai que nous avons jugé corporatistes certaines réactions et inopportune l’utilisation de fonds publics pour des campagnes promotionnelles.
Toujours dans un souci d’être direct, j’indiquerai que, s’agissant des autorités administratives indépendantes, la CNDS et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté retiennent tout particulièrement mon attention. En effet, ces autorités sont directement en friction avec les services de l’État, ce qui est normal. Pour des raisons qui ne sont pas techniques, leur sort sera différent. L’examen de leur évolution sera donc particulièrement instructif.
L’efficacité du Défenseur des droits va aussi de pair avec les moyens qu’il obtiendra. Ces moyens doivent permettre d’assurer un véritable maillage du territoire, ce que n’avaient fait ni le Défenseur des enfants ni la HALDE.
Avant de terminer mon propos, je souhaiterais faire deux observations.
Tout d’abord, s’il est judicieux de prévoir que le secret de l’enquête n’est pas opposable au Défenseur des droits en matière de déontologie et de sécurité, je suis toujours réservé sur la fragilisation progressive du secret professionnel.
Par ailleurs, les pouvoirs donnés au Défenseur des droits pourront, certes rarement, amener à des poursuites disciplinaires ou judiciaires non fondées. Monsieur le rapporteur, qu’en sera-t-il, dans ce cas, de la responsabilité du Défenseur des droits ? Faudra-t-il en venir à enclencher une procédure de droit commun, ce qui pourrait être cocasse ?
Bref, ce texte nous pose un problème de principe du fait de l’application de l’article 13 de la Constitution, mais il amène, par les propositions de la commission, un certain nombre d’avancées que nous reconnaissons.
S’agissant d’un texte touchant aux libertés fondamentales, chaque membre de notre groupe, conformément à ce qui fait l’originalité de celui-ci, exprimera sa position dans la liberté de vote habituelle.