Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la discussion de ce projet de loi organique nous donne, s’il en était besoin, l’occasion d’affirmer ici combien il est indispensable que soient défendus, reconnus et étendus les droits et les libertés dans leur diversité. C’est un combat au quotidien, un combat de longue haleine, consubstantiel à notre humanité !
Loin d’être une simple déclaration de principe, mon insistance en la matière se justifie d’autant plus – hélas ! – que notre pays est loin d’être irréprochable, qu’il se montre réticent à mettre en œuvre ses propres engagements nationaux et internationaux dans de nombreux domaines touchant aux droits individuels et sociaux et que nous assistons, depuis quelques années, à d’incessantes régressions, dont la frénésie législative pénale est une triste illustration.
Quant à l’opposabilité et à l’effectivité concrète des droits pourtant consacrés depuis si longtemps dans nos textes fondamentaux, notamment le préambule de la Constitution, elles sont à mille lieues d’être atteintes. La majorité a d’ailleurs refusé de les inscrire dans le texte lors de la révision constitutionnelle de 2008, comme nous proposions de le faire.
C’est dans ce contexte que nous sommes appelés à débattre des modalités de mise en œuvre du Défenseur des droits, institution issue précisément de cette révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, contre laquelle nous avons voté.
Dans le rapport de la commission des lois, la création du Défenseur des droits, auquel un article de la Constitution est consacré, était présentée comme participant du renforcement des dispositifs de protection des droits et des libertés. Nous partagions bien évidemment cet objectif et nous demeurons favorables à la constitutionnalisation de mécanismes de défense des droits.
Mais, à nos yeux, cet objectif a été contredit par les choix qui ont été faits. C’est pourquoi nous n’avons pas voté le nouvel article 71-1 de la Constitution.
Le présent projet de loi organique ne peut évidemment que confirmer les deux principales observations que j’avais alors émises au nom de mon groupe.
Ma première réticence portait sur la nomination du Défenseur des droits par le Président de la République, selon les modalités du dernier alinéa de l’article 13 de la Constitution.
Comme je l’ai indiqué à plusieurs reprises, le sort de l’article 13 nous permettant de nous exprimer souvent sur ce sujet, ces dispositions laissent en réalité tout pouvoir au Président de la République en matière de nomination. En effet, nous savons tous qu’il est pratiquement impossible, dans le système politique actuel, d’atteindre le minimum des trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions permanentes concernées permettant de s’opposer au choix du Président de la République.
Contrairement à ce qui est affirmé dans le rapport de la commission des lois, ce mode de désignation ne présente aucune garantie d’indépendance. Il aurait déjà été beaucoup plus démocratique de prévoir que le Parlement désigne le Défenseur des droits, à une majorité qualifiée par exemple. Dans les conditions actuelles, comment ce dernier pourrait-il être le contre-pouvoir évoqué par M. le rapporteur ?
Vous dites avoir pris exemple sur les ombudsmen ou, quelle que soit leur dénomination, les défenseurs des droits existant dans les pays étrangers. Mais la plupart d’entre eux sont justement désignés par les assemblées parlementaires de leur pays. Sur ce point, mes chers collègues, je vous renvoie à l’étude d’impact.
La décision qui a été prise de faire nommer le Défenseur des droits par l’exécutif est tout à fait significative et nourrit mes doutes sur la volonté réelle du Gouvernement de garantir le respect des droits.
La composition pluraliste des collèges, telle qu’elle figure dans le texte de la commission des lois, pourrait certes apporter des garanties.
Néanmoins, les vice-présidents de ces collèges sont eux-mêmes principalement choisis par le Défenseur des droits et ne sont donc que des collaborateurs de celui-ci, ce que nous a d’ailleurs confirmé le rapporteur en les qualifiant ainsi. En outre, le Défenseur des droits désigne les personnalités qualifiées. Par conséquent, il existe bien une hiérarchie, et la dépendance du Défenseur des droits à l’égard de l’exécutif n’est pas moins réelle.
La deuxième inquiétude que j’avais exprimée lors du débat sur la réforme constitutionnelle était relative à un sujet qui continue de nous occuper les uns et les autres.
Je veux parler du fait que le Défenseur des droits devait se substituer à plusieurs autorités administratives indépendantes, visées par le texte initial : le Médiateur de la République, la Commission nationale de déontologie de la sécurité et la Défenseure des enfants. Restait ouverte la question de sa substitution à d’autres autorités : la HALDE, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, voire la CADA.
S’agissant du Médiateur de la République « généraliste », qui, comme son nom l’indique, est un médiateur entre l’administration et le citoyen, son remplacement par le Défenseur des droits ne pose pas de problème, en dehors des difficultés liées à la nomination exclusive par l’exécutif de personnalités pilotant les autorités administratives indépendantes, procédure que j’ai toujours critiquée. Compte tenu de ses missions et de sa non-spécialisation, cela risque de lui donner plus de poids en lui conférant un statut constitutionnel.
Il n’en est pas de même pour les autres autorités administratives indépendantes, supprimées par le texte que nous examinons aujourd’hui ou par la commission.
Le projet de loi organique n’a fait que renforcer nos inquiétudes : l’objectif est clairement d’intégrer toutes les institutions relatives aux droits !
La commission des lois, en ajoutant aux missions du Défenseur des droits celles de la HALDE, et ce juste après que le Président de la République a nommé une nouvelle présidente à la tête de cette autorité, s’est résolument inscrite dans cette voie.
Le processus est donc amorcé pour que le Défenseur des droits chapeaute toutes les autorités administratives indépendantes traitant des droits des personnes.
Le Gouvernement a donné un mauvais signal avec le texte qu’il a présenté, en « ignorant » les institutions existantes.
La Commission nationale consultative des droits de l’homme n’aurait pas été consultée et n’a d’ailleurs pas manqué de le signifier. Elle se montre très critique sur le projet de loi. La crainte de ces critiques expliquerait-elle justement cette absence de consultation ? On se le demande…
Quant à Mme Dominique Versini, Défenseure des enfants, et M. Roger Beauvois, président de la CNDS, ils se sont chacun exprimés, nous le savons, et déclarent avoir été mis devant le fait accompli, ayant progressivement eu, à la lecture des projets de loi, confirmation de la condamnation de leur institution.
Dès lors, comment ne pas avoir quelques doutes sur les véritables intentions du Gouvernement ?
Vous avez pu constater, en effet, que ces autorités administratives, comme la HALDE, ont su, par leur composition ou encore par la pratique quotidienne de leur mission, acquérir un certain poids et une indépendance par rapport aux gouvernements successifs. Elles n’hésitent pas à dénoncer des faits ou des situations, ce qui n’avait pas l’heur de plaire.
La Défenseure des enfants en 2004 et la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la CNDS, en 2005 n’ont-elles pas échappé de peu à une réduction de leur budget, qui venait sanctionner leurs prises de position ? Ce n’est pas un hasard, ces dernières étaient intervenues en 2004 pour la Défenseure des enfants et en 2005 pour la CNDS !
Je ne peux que tirer une conclusion de tout cela : la dilution de ces autorités dans l’institution du Défenseur des droits constitue, en réalité, une reprise en main.
Aucune des autorités administratives indépendantes existantes n’est parfaite, comme vient de le souligner notre collègue Jacques Mézard. Je l’avoue d’autant plus volontiers que j’ai plaidé pour davantage de pluralisme dans ces autorités et que je n’ai pas été entendue ! Néanmoins, elles n’ont encore qu’une courte existence. Malgré cela, ces instances ont su faire la preuve de leur pertinence et elles ont acquis une véritable reconnaissance sur le plan national comme international. Il serait très imprudent et dangereux de mettre fin aujourd’hui à leurs missions de cette façon.
La Défenseure des enfants procède de la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989. D’ailleurs, Mme Versini, aujourd'hui Défenseure des enfants en France, est présidente de l’ENOC, European Network of Ombudspersons for Children, présent dans vingt-neuf pays d’Europe. L’ENOC est reconnu par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies et collabore étroitement avec le Conseil de l’Europe, la Commission européenne et les Nations unies.
La mission de la Défenseure des enfants est très large : protéger et défendre l’intérêt supérieur des enfants, y compris au regard des législations internationales, mais aussi promouvoir leurs droits.
La spécificité de la mission du Défenseur des enfants en fait un acteur de proximité et permet une vraie reconnaissance par les enfants concernés. La mise en place d’un collège, quelle qu’en soit la composition, et d’un adjoint au sein d’une grosse institution remettra nécessairement en cause cette proximité.
Vingt ans après l’adoption de la Convention internationale des droits de l’enfant, la CIDE, une soixantaine d’États dans le monde ont institué un Défenseur des enfants indépendant ; ce chiffre ne cesse de croître.
Les pays dotés de Défenseurs des droits antérieurs à la CIDE ont d’ailleurs créé depuis des Défenseurs des enfants spécifiques. C’est notamment le cas de la Suède et de plusieurs pays nordiques.
Il paraît donc inconcevable que la France se distingue et veuille fondre son institution de Défenseur des enfants dans celle de Défenseur des droits, plus généraliste.
C’est d’autant plus inconcevable que le Comité des doits de l’enfant à l’ONU recommande aux États parties à la convention de « se doter d’institutions nationales indépendantes pour protéger et promouvoir les droits de l’enfant consacrés par la CIDE ». En juin 2009, le Comité des droits de l’enfant s’est d’ailleurs montré sévère à l’égard de la France dans ses observations finales.
La suppression du poste de Défenseur des enfants est également inconcevable à l’heure où croît dans notre pays le nombre d’enfants en situation de vulnérabilité et subissant les conséquences des difficultés sociales croissantes de leurs parents en matière d’emploi, de logement, de soins. À ces problèmes, vient s’ajouter une législation pénale qui nie de plus en plus l’enfance et autorise le placement des enfants en centre de rétention. C’est un point qui a été mis en évidence par la Défenseure des enfants, et c’est sans doute ce qui lui est reproché !
Nous avons voté à l’unanimité la loi du 6 mars 2000 instituant un Défenseur des enfants, laquelle s’ancrait dans une demande concrète puisqu’elle émanait d’une proposition du Parlement des enfants. Ceux d’entre vous qui étaient présents à l’époque, chers collègues, doivent s’en souvenir. Revenir sur ce vote serait nous déjuger. Écoutons plutôt, avant de dissoudre ce lieu de protection des enfants, ce qu’ont, par exemple, à nous dire les organisations rassemblées pour des États génÉreux de l’enfance.
J’ajoute que supprimer la fonction de Défenseur des enfants, quand nous venons lundi de donner notre accord à la ratification de la convention du Conseil de l’Europe pour la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels, est bien contradictoire !
Quant à la CNDS, ses saisines n’ont cessé de monter en puissance depuis sa création le 6 juin 2000 : 19 en 2001 ; 152 en 2008 ; 228 en 2009 !
Personnellement, je l’ai saisie près de quarante fois depuis sa création, non par manie, mais parce que j’avais été informée de faits précis dans mon département. Cela signifie que les occasions de saisir cette instance sont nombreuses. Il faut y voir la conséquence d’une augmentation des atteintes aux droits de la part des professionnels chargés de faire respecter la sécurité. La politique ultra-sécuritaire que vous menez, la pression du chiffre et l’insuffisance des personnels ne peuvent que conduire à des excès.
Dans son dernier rapport, publié très récemment, la CNDS pointe toujours plus d’interpellations et de placements en garde à vue : 43 % de ses dossiers de police ou de gendarmerie concernaient en 2009 la garde à vue, contre 33 % l’année précédente. Elle dénonce l’usage systématique en garde à vue de la « fouille à corps ». Selon elle, sur 43 saisines, dans 80 % des cas, la fouille à corps ne se justifiait pas. Or vous savez qu’il s’agit d’un sujet sensible.
Sur 153 dossiers traités en 2009, la CNDS constate pour 78 dossiers, soit 65 % des cas, un ou plusieurs manquements à la déontologie de la part des personnels de la police. C’est dire combien la mission de la CNDS est, hélas ! justifiée. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que le ministère de l’intérieur et les syndicats de police ne la voient pas d’un bon œil.
Par ailleurs, le Comité contre la torture des Nations unies, pointant dans son dernier rapport sur la France ses préoccupations en matière de refoulement des étrangers, de violations des droits et de dignité des personnes arrêtées, gardées à vue, détenues ou emprisonnées, se dit inquiet des régressions qui pourraient naître de la création d’un Défenseur des droits unique. J’espère que l’amendement que j’ai déposé à ce sujet sera adopté.
Le projet de loi organique, qui prévoit de restreindre les pouvoirs d’enquête sur les lieux de privation de liberté accordés au Défenseur des droits, en remplacement de la CNDS, confirme cette appréciation.
Alors que la HALDE paraissait, au moins pour l’heure, échapper à la disparition, notre collègue Patrice Gélard, soutenu par la majorité, a décidé d’en finir aussi avec elle. Depuis cette décision, de très nombreuses organisations protestent : syndicats, associations de défense des droits généralistes ou œuvrant dans des secteurs aussi divers que le handicap, l’homosexualité, l’antiracisme. Et elles ont beaucoup à faire !
Ces organisations savent la pertinence des missions de la HALDE. Comme l’a souligné devant nous sa présidente, la HALDE a « permis de mettre fin à un sentiment d’impunité dans certains domaines », ce qui est exact.
Je vous conseille, là encore, mes chers collègues, la lecture du rapport de 2009 de cette institution : en cinq ans, la HALDE a été saisie de plus de 30 000 réclamations, ce qui a donné lieu à 1 418 délibérations du collège ; ses recommandations ont été suivies dans 64 % des cas et les observations qu’elle a présentées devant les tribunaux ont été suivies pour 78 % d’entre elles. Craindriez-vous d’avoir été dépassés par votre création ?
Champ de compétence, cible d’intervention publique ou privée, saisine par les seuls particuliers ou par des organisations, composition, fonction de contrôle ou de médiation, pouvoirs d’enquête diversifiés, pouvoirs de sanction ou pas, mise en œuvre ou non de poursuites pénales : ces contradictions n’ont pas échappé à M. le rapporteur, lequel a précisément tenté de concilier la mise en place d’un Défenseur constitutionnel avec les problématiques spécifiques de la défense de droits par nature très divers.
Il a donc affirmé que toutes les prérogatives et tous les moyens des autorités actuelles seraient conservés, et que leur visibilité serait maintenue grâce à la création d’adjoints sur les différents secteurs concernés : enfance, déontologie de la sécurité, discriminations.
Néanmoins, cela ne peut faire le compte, car c’est la disparition de la spécificité qui pose problème. Le champ d’intervention et les missions des autorités actuelles sont divers : prévention, médiation, dénonciation, injonction, création de droits. Cette spécificité me paraît constituer une véritable garantie, notamment en termes de proximité. La concentration sous une même autorité me paraît difficilement réalisable.
Le groupe CRC-SPG a déposé un certain nombre d’amendements visant à maintenir ces autorités. Nous défendrons également des amendements de repli afin de renforcer certaines dispositions. Quoi qu’il en soit, nous sommes pleinement conscients que la seule façon de sortir des contradictions de ces textes est de renoncer à la dilution des différentes missions en une seule autorité.
Avant de conclure, je ferai quelques remarques.
Je souhaite, notamment, dire un mot des moyens financiers. Les débats sur les crédits des autorités administratives indépendantes, lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2010, ont montré l’absence de volonté du Gouvernement pour donner à ces dernières les moyens de fonctionner. Vous avez refusé de tenir compte de l’augmentation de leur activité. Nous avons même assisté à une tentative de réduire les crédits de la HALDE, ce qui augure mal des moyens dont disposera de Défenseur des droits. Nous ne pouvons que nous attendre à une concentration de moyens, incompatible avec la nécessité d’investigation et le besoin de proximité.
En 2008, la commission des lois avait auditionné le Défenseur du peuple espagnol, dont la fonction de Défenseur des droits s’inspirerait le plus. Celui-ci nous avait expliqué que ses attributions correspondaient globalement à celles du Médiateur de la République français et que, l’Espagne étant un pays fédéral, chaque région avait son propre Défenseur.
Il est donc difficile de s’inspirer de cet exemple puisque le Défenseur espagnol est bien loin de connaître l’ensemble des saisines que connaîtra le Défenseur des droits français, qui concentrera de nombreuses compétences. De plus, je rappelle que le Défenseur du peuple espagnol a été instauré dans la situation historique toute particulière de l’après-franquisme.
Il aura fallu près de deux ans pour en arriver à un texte finalement sans grande ambition, comportant, certes, un certain nombre d’avancées, mais aussi et surtout un nombre important de régressions !
Comme je l’ai souligné, il peut être positif d’inscrire dans la Constitution un Défenseur des droits, qui reprendrait l’ensemble des missions exercées aujourd’hui par le Médiateur de la République, mais avec des pouvoirs accrus. Je rappelle néanmoins que je ne suis pas d’accord avec le mode de désignation qui est prévu.
Cependant, au nom de mon groupe, je vous demande, mes chers collègues, de renoncer à votre projet et de réfléchir encore à la dilution des trois autorités indépendantes que sont le Défenseur des enfants, la CNDS et la HALDE dans les attributions du Défenseur des droits.
En n’accédant pas à cette demande, vous prouveriez que votre intention réelle est non d’accroître le contrôle aujourd’hui exercé par ces autorités indépendantes, mais bien de le restreindre.
Quant à la promotion de droits nouveaux, elle ne serait qu’un simple affichage pour couvrir une réalité toute différente.
Si vous me le permettez, je citerai la phrase écrite par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, M. Delarue dans son rapport de 2009 alors qu’il traitait de la sécurité : « Certains droits fondamentaux sont même intangibles, c’est-à-dire qu’aucune nécessité ne saurait justifier qu’il y soit porté atteinte ». Nous avons encore beaucoup à faire pour nous y conformer.
C’est précisément pourquoi il ne serait pas acceptable de consacrer dans la loi des reculs en matière de protection des droits.