Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 2 juin 2010 à 14h30
Défenseur des droits — Discussion d'un projet de loi organique et d'un projet de loi, amendement 89

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Or cet article n’encadre nullement le pouvoir de nomination du chef de l’État, dans la mesure où les commissions des assemblées ne peuvent s’opposer à la décision du Président de la République qu’à la faveur d’un avis négatif réunissant les trois cinquièmes de leurs membres. Le pouvoir ainsi offert au Parlement est totalement illusoire et largement inutilisable ! Dès lors, le Président de la République sera en réalité le seul commandant à bord : il pourra choisir le candidat qui lui conviendra.

Cette procédure, appliquée aujourd'hui au Défenseur des droits et hier, déjà, à d’autres institutions, comme vous l’avez signalé, monsieur le président de la commission, n’offre pas les gages d’une indépendance effective.

Nous nous trouvons là au cœur du problème : par leur indépendance, les autorités administratives appelées à être supprimées gênent. Elles sont le poil à gratter de l’état de droit. Elles nous rappellent que nul ne peut se soustraire au respect des libertés et des droits fondamentaux, et moins encore les organes de l’État.

Je prendrai pour exemple la CNDS, la Commission nationale de déontologie de la sécurité, que je sollicite assez fréquemment et qui, depuis plus de neuf ans, accomplit un travail extraordinaire. Avis après avis, cette autorité a prouvé, en dépit des moyens dérisoires qui lui sont dévolus, la pertinence de son action et de ses méthodes. Elle a su s’installer durablement dans le paysage français de la protection des libertés et du respect des droits.

De même, c’est grâce à son indépendance que la Défenseure des droits a pu pointer du doigt le traitement réservé en France aux mineurs isolés ou aux enfants placés dans les centres de rétention administrative.

Nul ne sait si, sans l’indépendance de ces autorités, tous ces problèmes auraient reçu l’attention qu’ils méritaient. Que deviendront, demain, ces institutions, une fois qu’elles auront été fusionnées au sein du Défenseur des droits ? Un simple bureau des plaintes à caractère strictement administratif, j’en ai bien peur !

Le deuxième problème que pose ce projet de loi organique porte sur la fin de la spécialisation des autorités administratives. En effet, ce principe garantit aujourd'hui la visibilité des actions que ces institutions ont su entreprendre depuis des années ; en outre, il permet à ces dernières de bien connaître leur champ d’intervention, et donc d’être véritablement efficaces.

Il s'agit là d’un point essentiel : à des autorités identifiées selon des problématiques précises se substituera une entité « froide », globalisante, dans laquelle les spécialités seront assurées par des collèges aux pouvoirs très limités. Toute initiative procédera du Défenseur lui même, qui appréciera souverainement les réclamations ou les avis qui lui seront soumis. Les collèges ainsi que les adjoints du Défenseur ne pourront agir que dans la mesure où ils y seront autorisés. Ils seront, en quelque sorte, placés sous la tutelle du Défenseur des droits.

D’ailleurs, il suffit de lire les amendements déposés par le Gouvernement pour comprendre que, en réalité, la logique suivie à l’égard des collèges spécialisés consiste à les museler, voire à les effacer. En effet, le Gouvernement ne souhaite leur donner aucune indépendance ni aucune autonomie : ils ne procèdent que de la volonté du Défenseur, qui lui-même ne relève que de celle du Président de la République.

Mes chers collègues, je vous renvoie à cet égard à l’amendement n 89 au projet de loi organique, qui vise à supprimer la mention d’une quelconque indépendance des adjoints du Défenseur ; on imagine aisément que celle-ci serait source de gêne pour un Gouvernement dont les méfaits dans le domaine des libertés publiques sont patents !

Certes, monsieur le rapporteur, nous reconnaissons que votre résistance, votre opposition catégorique à certaines tentatives du Gouvernement sont louables, mais nous verrons quelle vision l’emportera au cours du débat.

En tout cas, cette centralisation et la perte de visibilité qu’elle entraîne représentent un véritable danger pour les droits fondamentaux dans notre pays. En effet, la fin de la spécialisation et de la compétence ne manquera pas d’aboutir, à terme, à une moindre efficacité dans le contrôle.

Le troisième problème que pose le projet de loi organique concerne les missions consultatives des autorités administratives indépendantes.

C’est une mission de ce type qui a permis à la HALDE, par exemple, d’adopter une position ferme contre les tests ADN prévus pour les candidats au regroupement familial par la loi du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile.

C’est au titre de ce même pouvoir consultatif que la Défenseure des enfants a émis régulièrement, à l’adresse du Gouvernement et des parlementaires, des propositions de réforme législative entrant dans le champ de la protection de l’enfance ; je pense, par exemple, à la justice des mineurs ou à la rétention administrative de ces derniers.

Or ces missions consultatives disparaîtront purement et simplement avec ce texte.

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