Intervention de Robert Badinter

Réunion du 2 juin 2010 à 14h30
Défenseur des droits — Question préalable

Photo de Robert BadinterRobert Badinter :

On peut d’ailleurs se demander pourquoi ces trois formations collégiales ne comptent pas le même nombre de personnalités qualifiées : douze dans le cas du respect de la déontologie de la sécurité, neuf dans les deux autres.

Au sein de cette structure pyramidale sont réunies des missions tout à fait différentes, voire hétérogènes. On ne peut comparer la fonction de médiation et celle de contrôle ; nous avions abordé la question lors du débat sur le Contrôleur des lieux de privation de libertés.

En outre, une telle organisation a fatalement pour conséquence une dilution des responsabilités. Surgiront des conflits de compétences, des conflits de personnes, des conflits d’autorités, inévitables dans les grandes structures bureaucratiques. Loin de l’efficacité, vous aurez donné naissance, sinon à un monstre bureaucratique – ce serait sans doute trop dire –, à un géant bureaucratique lesté de toutes les pesanteurs inhérentes à ce type d’administration.

Au sommet de la pyramide, se trouve le Défenseur des droits. Il lui faudra satisfaire à de nombreuses obligations : gestion, représentation, présidence des collèges, même si certaines attributions peuvent être déléguées aux adjoints ; il devra aussi se plier à l’inévitable obligation de remettre à l’exécutif un rapport qui sera ensuite présenté devant le Parlement ; il devra évidemment entretenir avec ces deux pouvoirs, législatif et exécutif, les relations institutionnelles que lui impose sa fonction ; enfin, il devra subir la pesanteur médiatique – même si les médias peuvent aussi exercer sur lui ou elle un certain attrait –, car il faudra bien que le Défenseur s’explique.

Bref, compte tenu de l’étendue de ces attributions, l’homme ou la femme que l’on nommera Défenseur des droits, contrairement au Médiateur, ne sera plus « au contact », c'est-à-dire qu’il ou elle n’aura plus avec les administrés la relation aussi directe que possible que ceux-ci attendent. Or nous aurions pu conserver cette proximité si, comme je l’avais vivement souhaité, nous avions élargi les pouvoirs et ouvert la saisine directe du Médiateur.

On nous dit que, aujourd'hui, les administrés ne savent pas très bien à qui ils s’adressent. Eh bien, moi, je vous garantis que, quand ils s’adresseront à cette instance nouvelle, à l’éventail de compétences si élargi, ils se retrouveront simplement face à une bureaucratie de plus, devant laquelle ils seront encore plus perdus !

La raison de la question préalable est là : je pense que l’institution d’un Défenseur des droits est une erreur. Je le répète, il fallait constitutionnaliser le Médiateur, élargir ses pouvoirs, conserver les instances, quitte éventuellement à mieux délimiter leurs missions, préserver en tout état de cause à chacune ses attributions spécifiques.

Tout bien considéré, je ne vois qu’une raison à cette innovation, à la naissance de cette entité complexe, et finalement condamnée à une relative impuissance. Lorsque les autorités administratives indépendantes sont séparées et diverses, l’adjectif « indépendant » prend tout son sens. Or vous les rassemblez sous l’autorité d’un seul, créant ainsi une structure pyramidale. Le pouvoir de choix du Président de la République qui s’exerçait auparavant pour plusieurs présidences s’appliquera désormais au seul Défenseur des droits, lequel absorbera, à terme, toutes les autres autorités. Même si les collèges disposent d’un pouvoir et l’exercent, un seul interlocuteur aura la confiance présidentielle, car sa nomination, quel que soit le rôle des commissions parlementaires à cet égard, procédera bien du Président de la République.

Je perçois très clairement les dérives auxquelles nous expose un tel projet, et nous ne nous engageons certainement pas sur le droit chemin des libertés.

Nous verrons dans quelques années si la création de cette entité était une bonne idée ou si, comme je le crains, cette nouvelle institution n’a apporté que confusion, lourdeur bureaucratique et déresponsabilisation des acteurs.

Pour l’heure, elle marque une fois de plus le progrès de cette monocratie qu’est devenue la Ve République.

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