Intervention de Frédérique Puissat

Commission des affaires sociales — Réunion du 19 octobre 2022 à 9h00
Projet de loi adopté par l'assemblée nationale portant mesures d'urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi -examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Frédérique PuissatFrédérique Puissat, rapporteur :

Après la loi sur le pouvoir d'achat, le Gouvernement nous présente un nouveau projet de loi « d'urgence ». Ce texte court, qui ne comptait initialement que cinq articles, et à l'ambition limitée - il s'agit, pour l'essentiel, de proroger les règles actuelles du régime d'assurance chômage -, soulève des questions profondes sur les objectifs, la gouvernance et le financement de ce régime.

La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a rénové la gouvernance de l'assurance chômage en renforçant le rôle de l'État tout en conservant le principe d'une gestion paritaire. Ainsi, préalablement à la négociation d'un accord relatif à l'assurance chômage, le Premier ministre transmet aux partenaires sociaux un document de cadrage, après concertation avec les organisations syndicales et patronales représentatives. Ce document précise les objectifs de la négociation en ce qui concerne la trajectoire financière, le délai dans lequel cette négociation doit aboutir et, le cas échéant, les objectifs d'évolution des règles du régime d'assurance chômage.

À titre transitoire, l'article 57 de la loi précitée avait prévu que, à compter de la publication de cette loi et après concertation avec les partenaires sociaux, le Gouvernement leur transmette un document de cadrage afin qu'ils négocient un accord sur l'assurance chômage dans un délai de quatre mois. Le Premier ministre a transmis un document de cadrage aux partenaires sociaux le 25 septembre 2018. De l'avis de l'ensemble des partenaires sociaux, ce document était si directif que les négociations ne pouvaient pas aboutir. À la suite de cet échec, le décret du 26 juillet 2019 a fixé les règles relatives au régime d'assurance chômage jusqu'au 1er novembre 2022. Alors que les règles d'indemnisation du chômage fixées par ce « décret de carence » cesseront d'être applicables après le 1er novembre 2022, aucun processus de négociation, assorti d'une lettre de cadrage, n'a été engagé pour définir de nouvelles règles.

Afin de donner une base légale et réglementaire à l'indemnisation des demandeurs d'emploi à compter de cette date, l'article 1er autorise le Gouvernement à prendre par décret en Conseil d'État les mesures d'application du régime d'assurance chômage jusqu'au 31 décembre 2023, ainsi qu'à prolonger l'application du « bonus-malus » sur les contributions d'assurance chômage jusqu'au 31 août 2024.

Ces dispositions sont justifiées par la nécessité de fixer, à très court terme, les règles d'indemnisation du chômage pour sécuriser le versement des allocations des demandeurs d'emploi. Attachés à la gestion paritaire de l'assurance chômage, nous considérons toutefois que ces mesures dérogatoires ne doivent être applicables que pour une durée proportionnée à la nécessité de l'urgence, d'autant que celle-ci résulte largement de l'abstention du Gouvernement.

Il n'est pas souhaitable que le Gouvernement s'écarte pour une durée excessive de la gouvernance prévue aujourd'hui par le code du travail sans que le législateur se prononce sur d'éventuelles évolutions du rôle des partenaires sociaux et de l'État dans la gestion du régime, après avoir engagé une concertation avec les organisations représentant les salariés et les employeurs. En conséquence, nous proposons d'avancer au 31 août 2023, au lieu du 31 décembre, la date limite d'application des mesures qui pourront être prises par décret en Conseil d'État, y compris pour l'application du « bonus-malus ». Cette date correspond en effet à la fin de la première période de modulation des contributions d'assurance chômage qui a débuté le 1er septembre dernier.

La période d'application de ce décret devra être utilisée pour engager des concertations destinées à faire évoluer la gouvernance de l'assurance chômage. En effet, les partenaires sociaux considèrent que le cadre posé par la loi de 2018 ne permet pas d'assurer une gouvernance satisfaisante du régime. Il convient de tirer les leçons de l'échec de cette réforme et d'engager une révision des modalités de détermination des règles d'indemnisation des chômeurs. À cette fin, l'amendement que nous vous présenterons abroge les dispositions du code du travail prévoyant la procédure de négociation d'un accord sur la base d'une lettre de cadrage.

En outre, nous proposons de fixer un cadre transitoire destiné, d'une part, à engager une concertation sur la gouvernance, qui devra déboucher sur une modification de la loi et, d'autre part, à conclure un accord sur l'assurance chômage négocié par les partenaires sociaux selon une procédure inspirée de l'article L. 1 du code du travail, faisant intervenir le Gouvernement par le biais d'un document d'orientation.

Parallèlement à cette restauration du paritarisme, nous considérons qu'il convient de renforcer le cadre législatif de l'indemnisation du chômage.

Dans un contexte de fortes tensions sur le marché du travail, qui ont atteint leur plus haut niveau depuis 2011, il paraît difficilement acceptable qu'un salarié ayant refusé une offre de contrat à durée indéterminée (CDI) à l'issue d'un contrat à durée déterminée (CDD) sur le même poste et avec la même rémunération puisse percevoir des allocations chômage. Nous proposons donc que le droit à l'allocation d'assurance ne soit pas ouvert à un demandeur d'emploi ayant refusé trois propositions de CDI à l'issue d'un CDD au cours des douze derniers mois. Cette exclusion, qui tient compte de la diversité des situations individuelles, ne s'appliquerait pas s'il s'avère que le demandeur d'emploi a été employé en CDI au cours de la même période. L'amendement que nous vous présenterons prévoit la transmission par les employeurs à Pôle emploi de toutes leurs propositions de poursuivre une relation de travail sous forme de CDI sur un emploi similaire, assorti d'une rémunération au moins équivalente, de la même classification et sans changement du lieu de travail.

Par ailleurs, si nous sommes favorables au principe de contracyclicité de l'indemnisation du chômage que le Gouvernement envisage d'instaurer par décret, nous considérons qu'il revient à la loi de poser un principe aussi substantiel. Nous vous proposerons ainsi d'inscrire dans le code du travail que les conditions d'activité antérieure et la durée des droits à l'allocation d'assurance chômage pourront être modulées en fonction d'indicateurs conjoncturels sur l'emploi et le fonctionnement du marché du travail. Il reviendra à la convention d'assurance chômage, conclue entre les partenaires sociaux, de fixer les paramètres de cette modulation.

L'article 2 apporte un aménagement ponctuel au mécanisme de « bonus-malus » sur les contributions d'assurance chômage, calculé en fonction du nombre de fins de contrat de travail occasionnant une inscription du salarié à Pôle emploi, lui aussi introduit par la loi de 2018, avec l'objectif affiché de lutter contre le recours excessif aux contrats courts. Le Sénat s'était opposé à ce dispositif, considérant que le critère des fins de contrat pourrait s'avérer pénalisant pour des activités caractérisées par une forte saisonnalité et que le mécanisme ne ciblait pas efficacement le phénomène de « permittence ».

Après plusieurs reports, le bonus-malus s'applique depuis le 1er septembre 2022 dans sept secteurs d'activité ayant un taux de séparation moyen d'au moins 150 %. Les entreprises de ces secteurs voient leur contribution modulée sur la base des fins de contrats enregistrées entre le 1er juillet 2021 et le 30 juin 2022. Pour cette première période, les entreprises les plus touchées par la crise sanitaire ont cependant été temporairement exclues du dispositif. Au total, 18 017 entreprises employant 1,3 million de salariés sont concernées par le bonus-malus entre le 1er septembre 2022 et le 31 août 2023. Parmi elles, 63 % bénéficient d'un bonus, soit un taux compris entre le plancher de 3 % et le taux générique de 4,05 %. À l'inverse, 36 % sont frappées d'un malus, soit une cotisation comprise entre 4,05 % et le plafond de 5,05 %.

L'article 2 permet la transmission par l'Urssaf de la liste des anciens salariés pris en compte pour le calcul du bonus-malus à l'employeur concerné. Bien que sa portée soit limitée, cette mesure, qui répond à une demande des employeurs et semble de nature à améliorer la transparence du dispositif, est bienvenue.

Nous vous proposons cependant de modifier plus substantiellement les paramètres du bonus-malus. En effet, tel qu'il a été conçu, le dispositif ne cible pas réellement les contrats courts, les CDD ne représentant que 2 % des fins de contrat prises en compte. Les Urssaf suggèrent que le bonus-malus ne s'applique pas aux secteurs qui ont le plus recours aux CDD courts, mais plutôt à ceux qui font fréquemment appel à l'intérim. Le dispositif est par ailleurs difficilement lisible par les entreprises qui, faute d'alternatives adaptées, ne sont pas réellement incitées à modifier leurs pratiques. Ainsi, nos auditions nous ont convaincus que le mécanisme souffre de nombreux biais.

Afin de recentrer le bonus-malus sur sa vocation première de lutte contre la « permittence », nous vous proposerons de limiter les fins de contrat prises en compte aux seuls CDD d'une durée inférieure ou égale à un mois, à l'exclusion des cas de remplacement de salariés absents. Seraient donc exclues du dispositif les fins de CDI et les fins de mission d'intérim.

En outre, la majoration des contributions patronales a pour effet d'alourdir la masse salariale des entreprises concernées et de rendre plus coûteux leurs recrutements. Afin d'atténuer les effets de la modulation pour les entreprises concernées, nous vous proposerons de limiter la modulation des contributions d'assurance chômage à plus ou moins 0,5 point, soit dans une fourchette comprise entre 3,55 % et 4,55 %, contre 3 % à 5,05 % actuellement. Ces évolutions s'appliqueraient à partir de la deuxième période de modulation, soit à compter du 1er septembre 2023. Elles devraient donc être prises en compte pour la période de comptabilisation qui a débuté le 1er juillet dernier.

Bien entendu, le bonus-malus, même recentré, n'épuise pas le sujet des contrats courts. D'une part, il serait souhaitable que la lutte contre les contrats précaires puisse également concerner le secteur public, qui en fait un usage immodéré. D'autre part, il importe de développer et de sécuriser les alternatives à la disposition des employeurs et des salariés.

Dans cette perspective, le projet de loi s'est enrichi à l'Assemblée nationale de dispositifs destinés à sécuriser les relations de travail et à offrir des alternatives aux contrats courts.

L'article 1er bis A prévoit que le salarié qui a abandonné volontairement son poste de travail, après avoir été mis en demeure de le reprendre, est présumé démissionnaire. Le salarié qui conteste la rupture de son contrat sur ce fondement pourra saisir le conseil de prud'hommes, qui devra statuer dans un délai d'un mois.

Rappelons que l'abandon de poste, qui n'est pas défini par le code du travail, correspond à une absence non autorisée du salarié à son poste de travail, qui peut être prolongée ou réitérée sans justification. Il n'est pas considéré comme une démission, mais il constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement du salarié du fait de l'inexécution fautive du contrat de travail. Toutefois, certaines situations, considérées comme des motifs d'absence justifiée ou légitime, ne peuvent être qualifiées d'abandon de poste. C'est notamment le cas de l'exercice du droit de retrait, du droit de grève ou encore du fait pour un salarié de quitter son poste sans autorisation en raison de son état de santé.

Nous soutenons cette mesure, en ce qu'elle vise à limiter les perturbations engendrées par les abandons de poste dans les entreprises. Pourront être appliquées à ces salariés les règles d'indemnisation du chômage prévues en cas de démission. Il n'est pas souhaitable qu'un salarié licencié à l'issue d'un abandon de poste dispose d'une situation plus favorable en matière d'assurance chômage qu'un salarié qui démissionne.

Afin de sécuriser un régime qui n'existe pas aujourd'hui dans le code du travail, nous vous proposerons d'adopter cet article, en précisant que la mise en demeure visera à demander au salarié de reprendre son poste ou de justifier son absence dans un délai fixé par l'employeur, qui ne pourra être inférieur à un minimum fixé par décret en Conseil d'État. Le salarié sera présumé avoir démissionné à l'expiration de ce délai, à défaut de régularisation de sa situation.

Par ailleurs, l'article 2 bis prévoit la réactivation de l'expérimentation des CDD « multi-remplacements », déjà mise en place entre 2019 et 2020 par la loi de 2018, mais trop tardivement appliquée. Dans des secteurs définis par décret, les entreprises pourront recourir à un même CDD pour le remplacement de plusieurs salariés, de manière simultanée ou consécutive, ce que le code du travail ne permet pas.

Ce dispositif peut aider les entreprises à rendre plus vertueuses et efficientes leurs politiques de recrutement. Toutefois, pour éviter que l'expérimentation ne s'achève de nouveau avant d'avoir pu se déployer pleinement, nous vous proposerons de garantir qu'elle dure effectivement deux ans : au lieu de fixer le terme de l'expérimentation au 31 décembre 2024, cette durée débuterait à la date de publication du décret d'application.

Dans le même esprit, nous vous proposerons l'adoption d'un article additionnel tendant à supprimer la durée maximale de trente-six mois applicable aux missions d'intérim réalisées dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée intérimaire.

Ce type de contrat peut être conclu entre le salarié et une entreprise de travail temporaire pour la réalisation de missions d'intérim successives. La réalisation des missions dans l'entreprise utilisatrice est soumise aux cas de recours habituels de l'intérim : remplacement d'un salarié, accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise, emplois saisonniers, etc.

Alors que les contrats d'intérim sont limités à 18 mois, la durée des missions réalisées dans le cadre d'un CDI intérimaire est limitée à 36 mois. Le déplafonnement de cette durée limiterait le turnover des intérimaires au sein de l'entreprise utilisatrice et éviterait à l'entreprise de former régulièrement de nouveaux intérimaires. Elle répondrait aux besoins de main d'oeuvre aujourd'hui constatés sur le marché du travail et contribuerait à sécuriser les parcours professionnels des intérimaires et à limiter le recours aux contrats courts.

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