Intervention de Laurence Harribey

Commission des affaires européennes — Réunion du 5 octobre 2022 à 13h35
Questions sociales travail santé — Travailleurs de plateformes - examen du rapport de la proposition de résolution européenne et de l'avis politique

Photo de Laurence HarribeyLaurence Harribey, rapporteure :

Nous avons mené une quinzaine d'auditions et rencontré les différentes parties prenantes : plateformes, représentants de travailleurs, avocats spécialisés et différents experts, universitaires, une députée européenne et les services de la Commission européenne.

En préambule, nous tenons à préciser que le monde des plateformes n'est pas uniforme. Il existe en effet une diversité de plateformes, au regard de leur taille ou de leur secteur d'activité : à côté de Deliveroo et d'Uber - qui a d'ailleurs donné son nom au phénomène d' « uberisation » de l'économie - existent de plus petites plateformes : nous en avons reçues certaines, comme la plateforme d'auto-école en ligne, En Voiture Simone et la plateforme Brigad, qui met en relation des professionnels de l'hôtellerie/restauration et du médico-social avec des entreprises pour des missions de courte durée. Cette dernière plateforme soulève d'ailleurs quelques questions au regard du modèle existant des agences d'intérim.

L'économie des plateformes est en plein essor comme le montrent quelques chiffres extraits de l'étude d'impact de la Commission. Près de 800 plateformes sont aujourd'hui actives dans l'Union européenne, principalement dans le secteur de la livraison (50%). Entre 2016 et 2020, les recettes de l'économie de plateformes ont presque été multipliées par cinq dans l'Union européenne, passant de 3 milliards d'euros estimés à environ 14 milliards d'euros ; la Commission européenne recense 28 millions de travailleurs de plateforme dans l'Union européenne, et estime qu'ils seront 43 millions en 2025. Sur ces 28 millions de personnes, 5,5 millions pourraient actuellement relever d'une qualification juridique erronée. C'est une des raisons pour lesquelles la Commission a publié cette proposition de directive, qui repose, comme Pascale vous le disait, sur une approche par le « statut ».

Ce texte s'inscrit dans un contexte particulier ; il intervient, en effet, alors que seul un petit nombre d'États membres de l'Union ont adopté une législation nationale visant à améliorer les conditions de travail et/ou l'accès à la protection sociale dans le cadre du travail via une plateforme. Il nous semble ainsi important que cette problématique qui concerne tous les États membres, soit traitée au niveau européen alors même que certains États membres commencent à légiférer.

La France figure parmi ces États : elle a opté, depuis 2016, pour une approche consistant à renforcer les droits des travailleurs indépendants des plateformes en matière de travail et de protection sociale, indépendamment de la question de leur statut. A contrario, l'Espagne a adopté, en 2021, une loi imposant une présomption de salariat pour les livreurs à vélo. Les pays nordiques, quant à eux, ont également tenté de réguler, non par la loi, mais par des accords collectifs, les conditions de travail de ces travailleurs. Au Danemark, par exemple, la plateforme Hilfr, spécialisée dans les services de nettoyage, et 3F, syndicat danois comptant le plus grand nombre d'adhérents, ont signé en avril 2018 un accord sur le sujet.

Parallèlement à ces tentatives de régulation par la loi ou les conventions collectives, les contentieux se multiplient, comme vous l'indiquait ma collègue Pascale Gruny, et la jurisprudence ne semble pas encore stabilisée. S'agissant de la France, il est intéressant de noter qu'un tournant a été pris en 2018, avec deux arrêts de la Cour de cassation ; dans le premier cas, la Cour a censuré une décision ayant rejeté une demande de requalification (arrêt « Take Eat Easy »), et, dans le second (arrêt « Uber »), elle a rejeté un pourvoi contre une décision ayant admis une demande de requalification. Dans ce second arrêt - devenu un arrêt de principe -, la Cour a considéré que le lien de subordination était établi car la plateforme Uber avait donné des directives au chauffeur, dont elle a contrôlé l'exécution, et l'avait sanctionné en désactivant son compte. Plusieurs décisions contraires ont toutefois été rendues depuis lors. Il en est de même au sein de l'Union européenne, bien que la majorité des décisions semblent aller dans le sens d'une requalification de ces travailleurs en salariés.

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