Intervention de Marie-Anne Barbat-Layani

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 18 octobre 2022 à 9h05
Audition de Mme Marie-Anne Barbat-layani candidate proposée par le président de la république aux fonctions de présidente de l'autorité des marchés financiers amf

Marie-Anne Barbat-Layani, candidate proposée par le Président de la République aux fonctions de présidente de l'Autorité des marchés financiers :

Comme vous venez de le rappeler, le Président de la République m'a fait l'honneur d'envisager de me nommer présidente de l'Autorité des marchés financiers (AMF). Votre commission doit se prononcer sur cette nomination conjointement avec celle de l'Assemblée nationale, qui m'a auditionnée la semaine dernière. Cette procédure montre l'importance de la fonction, mais aussi de la relation institutionnelle directe entre l'AMF et la représentation nationale. Il importe que cette relation soit fondée sur la confiance.

Si vous confirmez ma nomination, je vous rendrai compte de l'action de l'AMF, qui entretient une relation très étroite avec le Sénat, et j'aurai aussi l'occasion d'évoquer avec vous les sujets plus précis qui comptent parmi vos préoccupations. Je connais notamment l'attachement du Sénat à la protection des épargnants, première mission de l'AMF.

Mes propos liminaires viseront principalement à préciser la vision que j'ai de cette institution et à présenter ce qui, dans mon parcours, a pu m'aider à construire cette vision et me donner les moyens de la mettre en oeuvre. Je ne reviendrai donc pas en détail sur mon parcours professionnel, entamé il y a plus de trente ans, sauf pour étayer mes convictions.

Fondamentalement, le président de l'AMF incarne l'institution, en assoit la puissance et la crédibilité, et exerce à bon escient ses pouvoirs au service d'objectifs clairs. Il ne doit pas agir seul, mais s'appuyer sur son collège, le secrétariat général et les équipes de l'AMF, tout en sachant in fine assumer ses responsabilités. Le président doit rendre compte de son action au Parlement et remettre un rapport annuel au Président de la République ; c'est non seulement légitime mais c'est aussi nécessaire pour agir à bon escient. Ensuite, il doit développer le dialogue avec la société civile, représentée au sein des commissions consultatives et du comité scientifique. Enfin, il doit désormais trouver le moyen de parler simplement et efficacement à des publics nouveaux, particulièrement vulnérables, notamment les jeunes. Il s'agit là d'une conviction profonde : non seulement tout citoyen doit avoir accès à l'éducation financière, mais l'AMF doit également poursuivre et adapter ses efforts en matière de pédagogie et de communication. Le rôle du président, tel que je le conçois, sera de pousser le plus loin possible l'accessibilité des objectifs dont il a la charge à tout le public concerné.

La finance ne doit en effet jamais se satisfaire d'être un monde d'experts ; or, elle a parfois tendance à s'y complaire. Les sigles et les termes anglo-saxons laissent au bord de la route la plupart d'entre nous et en particulier ceux qui auraient le plus besoin de comprendre ce dont il est question. L'AMF doit continuer à être une boussole reconnue et crédible : elle doit en permanence définir des points d'équilibre entre plusieurs objectifs en apparence contradictoires : l'innovation et la protection ; la sécurité et le rendement ; l'exhaustivité et la pertinence de l'information, ainsi que sa lisibilité ; la compétitivité de la place financière et la protection des épargnants et des investisseurs.

En tant qu'autorité de contrôle et régulateur de marché, l'AMF remplit un rôle aussi traditionnel que fondamental dans trois domaines : la protection des épargnants, la transparence des marchés et le financement de l'économie.

La protection des épargnants est le premier objectif, tout simplement parce que tout le monde n'est pas à égalité face à l'information. C'est donc en soi un sujet majeur dans un univers économique et financier qui est pour le moins incertain. À cet égard, l'AMF peut être amenée à gérer des crises, une situation que j'ai connue à trois reprises dans mes précédentes fonctions.

Deuxièmement, concernant la transparence des marchés, nous disposons d'instruments puissants. Mais encore faut-il savoir où se trouvent les marchés, où se passent les transactions et quelle peut être l'incitation à investir - elle peut aujourd'hui passer par les réseaux sociaux. On est donc là hors de l'univers classique dans lequel nous intervenons habituellement.

Troisième objectif, le financement de l'économie, qui nécessite une grande vigilance dans le contexte actuel d'endettement élevé des acteurs, alors que les taux d'intérêt remontent, et d'inflation élevée, qui écrase les rendements. Cette inflation peut conduire à une recherche parfois dangereuse de rendements sur des produits plus risqués et elle peut aussi amener à plus de court-termisme, et donc poser des problèmes pour répondre aux besoins de long terme, qu'il s'agisse de nos infrastructures, de notre modèle social ou de la transition écologique.

Au-delà de ces trois enjeux traditionnels de l'AMF, d'autres sont apparus. Les risques qui pèsent sur l'intégrité des marchés, faits d'asymétrie d'informations et d'arnaques et de fraude, sont importants. Il nous appartient dès lors d'identifier le plus rapidement possible les lieux visés et de mettre au point une action efficace contre ces pratiques. Un enjeu plus nouveau a trait à la protection des données personnelles et à la cyber sécurité. On s'aperçoit aussi qu'il peut y avoir des tensions entre la protection des données et l'efficacité de la sanction des régulateurs. Quant à l'innovation, elle doit être encouragée et accompagnée, mais aussi efficacement encadrée.

Le verdissement réel de la finance est l'un des grands objectifs sur lequel l'AMF s'est beaucoup investie depuis 2019. Elle dispose pour ce faire d'outils importants, qui passent aussi par la réglementation européenne.

Les enjeux d'égalité professionnelle et de la diversité dans le monde financier sont aussi des enjeux non pas nouveaux mais que nous devons développer pour mieux refléter la société et éviter des fuites vers d'autres univers moins régulés.

Le dernier enjeu, le plus difficile, est d'obtenir la confiance des épargnants et du grand public, à l'heure des fake news et de la décrédibilisation généralisée de la parole des experts. Je n'ai pas forcément de réponse à ce sujet, mais notre action devra s'exercer dans ce contexte. L'AMF doit savoir sanctionner lorsque cela est nécessaire, la sanction ayant aussi un aspect dissuasif, et elle doit veiller à renforcer constamment la sécurité juridique de son action et la performance de ses outils, notamment numériques.

Autre défi important, l'AMF doit disposer des moyens, notamment humains, de mener à bien ses missions. Les enjeux budgétaires existent mais l'enjeu majeur est selon moi un enjeu de ressources humaines. On peut se fixer un programme ambitieux et adapté aux besoins des épargnants, des marchés et du financement de l'économie, mais si on n'a pas les équipes et pas le dialogue social pour aboutir à des compromis, on n'arrivera pas à grand-chose. L'un de mes principaux enjeux en tant que présidente sera de réfléchir et de travailler à la mobilisation des équipes ainsi qu'à l'exemplarité interne, l'un des leviers les plus puissants pour y parvenir.

Je suis également convaincue que l'AMF doit accompagner la place financière française et la tirer vers le haut. Les meilleurs financiers sont ceux qui savent qu'un gendarme sévère, mais juste et compétent, est à terme la meilleure garantie de pérennité et de développement d'une place financière. C'est le choix qui a été fait sur la place de Paris, et il nous appartient maintenant de convaincre ceux qui n'y croient pas. Nous avons les moyens de le faire et d'imposer ce choix stratégique, qui est un choix de moyen et de long terme. C'est d'autant plus important que le Brexit a ouvert de réelles opportunités de développer ces activités financières, non pas pour elles-mêmes, mais pour s'assurer que nous avons en France les moyens de drainer notre épargne abondante vers le financement prioritairement de nos acteurs et d'assurer l'attractivité et la soutenabilité de notre économie, ainsi que la localisation des centres de décision sur notre territoire, et in fine, d'assurer notre souveraineté.

L'attractivité ne peut se faire au détriment de l'intégrité. La tentation, réelle ou supposée, est celle d'une compétition vers le moins-disant réglementaire, même si je ne crois pas à cet argument de vente pour les places financières. Nous pouvons faire prévaloir une approche de long terme, protectrice, soucieuse d'intégrité et qui nous permet d'ailleurs d'être aux avant-postes en matière de finance verte.

Pour terminer, j'insisterai sur l'importance de la crédibilité de l'AMF en Europe et à l'international, notamment pour peser dans les batailles réglementaires, dont j'ai appris à comprendre les enjeux concurrentiels. Il arrive en effet que derrière une virgule, une phrase manquante dans une directive européenne, on favorise ou on défavorise tel ou tel modèle économique ou financier. Nous devons donc être très vigilants : il faut non seulement savoir lire entre les lignes mais aussi nous battre avec des armes inhabituelles.

L'AMF dispose d'une grande crédibilité dans les cénacles européens et internationaux, pourtant encore largement dominés par le monde anglo-saxon. J'aurai à coeur de maintenir et de développer cet atout, que nous devons largement à Robert Ophèle. La crédibilité s'acquiert avec le temps, la fiabilité, la transparence, la compréhension des enjeux, la capacité à négocier des compromis. Cela passe aussi par l'affirmation de nos spécificités. Défendons nos objectifs sans présupposer qu'ils soient compris et connus, voire partagés. Je veillerai à travailler en ce sens.

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