Intervention de Vincent Segouin

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 12 octobre 2022 à 9h00
Proposition de loi visant à mieux valoriser certaines des externalités positives de la forêt — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Vincent SegouinVincent Segouin, rapporteur :

Cette proposition de loi sera examinée en séance publique la semaine prochaine, le jeudi 20 octobre. Comme vient de le rappeler le président, elle a été déposée dans le cadre de l'ordre du jour réservé au groupe LIRT, elle est examinée dans les conditions du gentleman's agreement, qui suppose que les modifications qui pourraient intervenir en commission doivent recueillir l'accord de l'auteur. Les amendements que je propose ont donc été soumis au préalable à notre collègue Vanina Paoli-Gagin, qui les a acceptés et qui voudra s'en doute s'exprimer après mon rapport. Je tiens d'ailleurs ici à souligner la qualité de nos échanges menés en amont de l'examen du texte. Notre travail a été constructif.

Il se devait de l'être, car la proposition de loi s'inscrit dans un contexte lourd, que nous connaissons tous : l'augmentation de la fréquence des événements climatiques extrêmes et des incendies qui y sont associés ainsi que la crise sanitaire due aux scolytes - ces parasites qui ravagent nos bois depuis 2018 - ne nous rappellent que trop que la forêt doit être bien gérée, et gérée durablement. Si cette gestion durable ne constitue pas la garantie d'une défense absolue contre tous les dangers qui assaillent une forêt, vulnérable par définition, elle permet de les ralentir et de les contenir.

Dans ce cadre, les Assises de la Forêt et du Bois, conclues en mars 2022, ont mis en exergue un besoin de financements complémentaires au profit de la forêt. Les communes sont concernées au premier chef par le sujet puisqu'elles détiennent plus de la moitié des forêts publiques - représentant elles-mêmes 25 % de la forêt française.

Havre de biodiversité et puits de carbone, la forêt constitue un bien qui n'est pas estimé à sa juste valeur par le marché : les articles 1 à 3 visent ainsi à mieux valoriser certaines de ses externalités positives en incitant les particuliers et les entreprises à donner aux communes et syndicats forestiers pour financer certaines des opérations de gestion de leur forêt. L'article 4 prévoit d'intégrer les opérations de restauration des domaines forestiers parmi les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité susceptibles d'être mises en oeuvre sur des sites naturels de compensation.

Avant d'entrer dans l'examen du texte proprement dit, j'aimerais rappeler brièvement comment sont gérées les forêts communales et comment est financée cette gestion.

Les forêts communales représentent près de 2,8 millions d'hectares sur les 31 millions que constitue la forêt française, et sont gérées dans le cadre du régime forestier. Bien que pour 200 000 à 900 000 hectares de forêt communale ce régime ne soit pas appliqué, il est obligatoire. Il définit les grandes règles qui visent à assurer la conservation et la mise en valeur du patrimoine forestier.

Sa mise en oeuvre est confiée par la loi à un opérateur unique, l'Office national des forêts (ONF), qui est chargé de garantir une gestion durable et multifonctionnelle de la forêt : économique par la vente de bois, écologique, notamment par la préservation de la biodiversité, et sociale par l'accueil du public.

Le régime forestier repose sur un financement commun des communes et de l'État.

D'une part, les communes versent à l'ONF 12 %, ou 10 % dans les zones de montagne, du montant des produits de leurs forêts au titre des frais de garderie, ainsi qu'une contribution annuelle de deux euros par hectare de terrain relevant du régime forestier. Oscillant généralement entre 25 et 32 millions d'euros, le montant des frais de garderie s'est élevé à 27 millions d'euros en 2022.

D'autre part, l'État octroie un versement compensateur, qui vise à couvrir la différence entre le coût pour l'ONF du régime forestier et les contributions des communes. Il prend en charge environ 85 % du coût de la mise en oeuvre du régime forestier. Fixé à 140,4 millions d'euros en 2022, il devrait augmenter de 7,5 millions en 2023 pour atteindre 147,9 millions d'euros.

Le surcoût des actions d'aménagement excédant celles prévues par le régime forestier est assumé par les communes sur leurs ressources propres, avec le soutien éventuel d'autres collectivités ou de l'État. Les dépenses du bloc communal pour l'entretien des forêts s'élevaient à environ 110 millions d'euros en 2021.

La situation financière des communes forestières dépend fortement de leur climat et des essences qui y sont présentes. Si certaines parviennent à percevoir des recettes conséquentes, comme celles des Landes, c'est moins le cas des communes situées en Bretagne ou en Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA), où les surfaces sont plus petites et les essences moins productrices.

De façon générale, la crise des scolytes, qui a commencé en 2018 dans le Grand Est et s'est progressivement étendue sur tout le territoire, a entraîné une chute des recettes forestières des communes au moment où elles en ont le plus besoin. Si un mécanisme de soutien exceptionnel prenant la forme d'une subvention attribuée par le préfet aux communes en difficulté a été introduit par la loi de finances pour 2022, celui-ci paraît insuffisant au regard des enjeux nouveaux auxquels est confrontée la forêt.

Les Assises de la Forêt et du Bois ont ainsi bien mis en évidence, lors de leur clôture en mars 2022, le besoin de financements supplémentaires de la forêt. Un besoin qui rencontre une demande de la part des habitants désireux de soutenir leur commune.

Le dispositif de réduction d'impôt introduit par les articles 1 et 2 de la proposition de loi arrive ainsi à point nommé. Ces articles visent à appliquer la réduction d'impôt au titre du mécénat des particuliers et des entreprises aux dons versés aux communes et syndicats intercommunaux de gestion forestière, et destinés à l'entretien, à la restauration et l'acquisition de domaines forestiers bénéficiant de certificats pour leur gestion durable.

Certes, ce dispositif paraît en partie satisfait, dans la mesure où la réduction s'applique aux dons versés à des organismes d'intérêt général concourant à la défense de l'environnement naturel. Lorsque les opérations de gestion forestière des communes ne sont pas lucratives, au sens de l'administration fiscale, et qu'elles ne sont pas réservées à un cercle restreint de personnes, la gestion des collectivités étant présumée désintéressée, les dons qui pourraient financer ces opérations bénéficieraient de la réduction d'impôt.

Toutefois, ce dispositif est peu utilisé. Il est peu ou pas connu des particuliers et des entreprises, qui préfèrent donner à des fonds de dotation bénéficiant d'une meilleure visibilité comme « Agir pour la forêt » ou « Plantons pour l'avenir ». De même, les communes forestières qui disposent de peu de moyens juridiques ne sont probablement pas en état de saisir que les opérations de gestion forestière qu'elles mènent sont susceptibles d'être financées par des dons éligibles à une réduction d'impôt.

La mise sur pied d'un système de financement pouvant s'appuyer sur ces dons serait d'ailleurs lourde et incertaine. Supposant le recours au rescrit fiscal, elle dépendrait alors de l'interprétation casuistique de l'administration fiscale.

De ce point de vue, les articles 1 et 2 présentent une réelle utilité, dans la mesure où ils viennent clarifier l'intention du législateur sur un enjeu majeur. Leur portée gagnerait toutefois à être renforcée. Je vous proposerai donc des amendements qui prévoient d'étendre la réduction d'impôt aux dons versés aux syndicats mixtes et groupements syndicaux forestiers, qui respectivement peuvent comprendre une commune ou avoir été constitués avec l'accord d'une commune ; de préciser que la « restauration » s'entend des opérations de reconstitution et de renouvellement des bois et forêts ; s'agissant des forêts pour lesquelles le financement d'opérations de gestion de forestière donne lieu à réduction d'impôt, de s'assurer non pas qu'elles soient certifiées par des organismes privés, mais qu'elles présentent des garanties de gestion durable définies par le code forestier ; et enfin d'inclure dans le périmètre l'acquisition de forêts gérées non durablement, mais qui ont vocation à le devenir.

Enfin, dans leur rédaction, ces articles n'empêchent pas les dons éligibles à la réduction d'impôt de financer une activité lucrative, voire de profiter à un cercle restreint de personnes. Tenant particulièrement à la philosophie du mécénat, je vous proposerai dans ce cadre d'exclure du périmètre de la réduction d'impôt les dons finançant les activités lucratives.

J'en viens aux articles 3 et 4, pour lesquels - encore une fois avec l'accord de l'auteur - je vous proposerai des amendements de suppression.

Afin de récompenser les entreprises vertueuses qui donnent suffisamment aux communes pour la gestion de leur forêt, l'article 3 prévoit la création d'un label. En introduire un nouveau, en plus de ceux qui existent déjà dans le secteur forêt-bois, semble apporter plus de confusion que de visibilité. Au demeurant, le label prévu par l'article 3 se positionne sur un créneau proche de celui du label bas-carbone, avec lequel il risque d'entrer en concurrence, ce qui pourrait entraver son plein déploiement au moment où les acteurs commencent à se l'approprier. Enfin, un tel label ne paraît pas indispensable pour mettre en avant l'action d'une entreprise au service de sa commune. D'autres canaux sont possibles sans qu'il soit besoin d'un label : qu'on pense à l'affichage des entreprises donatrices dans le cadre certaines opérations de restauration des bâtiments. Je vous proposerai donc de le supprimer.

L'article 4 vise à intégrer les opérations de restauration des domaines forestiers dans le périmètre des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité susceptibles d'être mises en oeuvre dans le cadre de la compensation par l'offre.

Partant d'une intention qu'il faut saluer, cette mesure est satisfaite : les milieux forestiers peuvent déjà faire l'objet de mesures compensatoires de cette nature. Rien n'exclut, par exemple, qu'un défrichement soit compensé par des opérations de boisement et de reboisement, et de façon anticipée et mutualisée sur un site naturel de compensation.

En outre, la disposition envisagée met en avant la restauration des milieux forestiers au détriment d'autres mesures de compensation tout aussi légitimes. Elle pourrait même faire croire, selon une certaine lecture, et à défaut de citer les autres milieux éligibles, que les sites naturels de compensation se limitent aux milieux forestiers.

Compte tenu de ces risques et de l'utilité contestable d'une redite dans le droit, je vous proposerai de supprimer cet article.

Une fois ces modifications apportées, je vous proposerai d'adopter ce texte. Ses deux premiers articles, peut-être modestes, apportent une pierre nécessaire à l'édifice et vont, de toute évidence, dans le bon sens. Si l'on peut ainsi pousser les particuliers et les entreprises à réaffirmer par le mécénat le lien qu'ils entretiennent avec leur commune et avec leur forêt, on aura fait oeuvre utile.

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