Si nous nous sommes intéressés à l'ensemble des produits stupéfiants, force est de constater que les flux de cocaïne inquiètent tout particulièrement. Cette déferlante blanche touche particulièrement les pays d'Europe du Nord, notamment la Belgique et les Pays-Bas, décrits dans un récent rapport d'Europol comme les points d'entrée de la cocaïne en Europe.
Nous avons identifié plusieurs axes d'action en vue d'accroître l'efficacité de la douane.
L'un des principaux points d'amélioration, si ce n'est le plus important, réside en l'acquisition de moyens plus modernes. La douane ne dispose que d'un seul scanner fixe pour les conteneurs transitant par le port du Havre : seule une infime partie des camions en transit sont inspectés. Il convient en parallèle d'achever la sécurisation des ports. La vidéosurveillance est quasiment inexistante pour des raisons sociales - les personnels n'en veulent pas.
La douane ne dispose en complément du scanner fixe du Havre que de trois scanners mobiles, qui doivent couvrir à la fois les ports et les grands axes routiers. C'est le seul moyen efficace et rapide pour contrôler un poids lourd de 44 tonnes.
Les aéroports d'Orly, de Roissy et de Cayenne ne disposent pas des équipements nécessaires pour scanner systématiquement tous les bagages. La direction régionale des douanes de Guyane a dû batailler pour obtenir des scanners à ondes millimétriques pour les passagers. Ces matériels avaient bien été acquis, mais la direction générale de l'aviation civile (DGAC) n'a donné son autorisation pour les utiliser afin de repérer la drogue à corps qu'après de longs mois. Pendant longtemps, ces équipements sont restés inutilisés.
De même, alors que le fret postal et express est de plus en plus utilisé par les trafiquants, les scanners en service sont peu performants et ne permettent par exemple pas de disposer d'une image en 3D. À Orly, nous avons assisté au contrôle des colis et des bagages non accompagnés : la procédure demeure très artisanale, avec beaucoup de « faux positifs », du fait d'une qualité d'image loin d'être optimale. Ce travail ingrat suscite le découragement des personnels. Il entraîne également une perte de temps pour les brigades. Au seul centre de tri d'Orly, ce sont près de 74 tonnes de fret qui arrivent chaque année. Nous savons que le fret express et postal est un vecteur privilégié de la fraude fiscale et du transport de marchandises illicites. Les douaniers nous ont même expliqué que de plus en plus d'organisations situées en Belgique et aux Pays-Bas se rendaient en France pour envoyer des colis contenant de la drogue, en profitant de notre réseau postal.
En résumé, la douane manque d'équipements performants. Améliorer le ciblage des colis et des bagages est évidemment crucial, mais pas suffisant. La douane construit ainsi une banque de données des images de colis « positifs », afin que soient ensuite développés des algorithmes capables de reconnaître des formes similaires lors des passages au scanner - encore faut-il disposer des équipements pour.
Je précise que, pour nos recommandations, nous avons souhaité nous inscrire dans le contrat d'objectifs et de moyens de la douane pour la période 2022-2025 et donc tenir compte d'un contexte de dépenses publiques contraint.
Le contrat d'objectifs et de moyens de la douane vise à stabiliser le schéma d'emploi et à diminuer légèrement les crédits. Nous avons toutefois relevé un effort supplémentaire de 148 millions d'euros en vue de l'acquisition de nouveaux équipements ou de la modernisation des systèmes d'information. Nos propositions concernant la réorganisation des effectifs et l'acquisition d'équipements se placent dans cette trajectoire. La douane bénéficie par ailleurs de crédits du fonds pour la transformation de l'action publique et de cofinancements de fonds européens.
Concernant les effectifs, nous savons que la dématérialisation croissante des procédures douanières ainsi que la poursuite du transfert des missions fiscales de la DGDDI à la direction générale des finances publiques (DGFiP) devraient se traduire par la suppression d'équivalents temps plein (ETP). Ces emplois doivent être réorientés vers la branche « surveillance », vers les brigades en charge du fret express et postal ainsi que vers les directions spécialisées.
Concernant les crédits, nous souhaitons que les crédits non consommés soient reportés d'une année sur l'autre et affectés exclusivement à l'acquisition d'équipements récents et à la modernisation des systèmes d'information. Nous estimons également qu'il existe des marges d'amélioration quant à l'efficacité de la dépense. Les ventes de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) sont en forte augmentation. Une partie de ses recettes pourrait être affectée à l'achat de nouveaux matériels, c'est en tout cas une réflexion qui pourrait être menée.
Nous proposons également une rationalisation des emprises immobilières de la douane et la simplification de sa politique de logement. La DGDDI dispose encore d'un parc immobilier de logement. Celui-ci est désormais peu adapté aux besoins des agents. Il est souvent vétuste et les taux de vacances sont jusqu'à trois fois plus élevés que dans le secteur du logement social locatif.
Un autre exemple de rationalisation de la dépense concerne l'acquisition des moyens aéromaritimes par la douane, tels que les vedettes, les hélicoptères ou les navires. Ces moyens sont absolument essentiels, notamment dans les Antilles : ils permettent de repérer des mouvements suspects en mer, de procéder à des saisies en haute mer et de lutter contre le troc consistant à échanger de la résine de cannabis contre de la cocaïne. Pourtant, l'acquisition de ces moyens n'a pas toujours été optimale : des retards de livraison, des dysfonctionnements ou des malfaçons ont souvent été constatés. La douane devrait donc davantage recourir à la mutualisation, en particulier avec les ministères des armées et de l'intérieur. Si celle-ci est impossible en raison de besoins et de champs d'action trop différents, la douane peut au moins bénéficier de l'expertise de ces ministères et mutualiser la formation ou l'entretien des appareils.
Nous ne sommes pas sûrs que le choix de recourir à la location soit le plus judicieux pour les hélicoptères de la douane : les appareils ne seront pas considérés comme des aéronefs d'État et seront donc soumis aux règles de l'aviation civile, ce qui pose plusieurs difficultés opérationnelles. Certes, il faut agir en urgence, puisque certains appareils sont parfois âgés de plus de 30 ans, mais en retenant la solution la plus efficace. Là encore, il s'agit d'un défaut d'anticipation dans le renouvellement des équipements opérationnels.
Il est enfin difficile d'évaluer l'action de la douane en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants : nous ne savons pas combien d'effectifs sont dédiés, à titre principal ou exclusif, à cette mission. Nous connaissons seulement le nombre d'agents rattachés à la DGDDI - environ 16 000 personnes -, avec des compétences spécialisées et une répartition par branche, entre la surveillance et les opérations commerciales. Le même problème se pose pour les crédits.
J'en viens à une autre difficulté dans l'évaluation du rôle de la douane : eu égard au caractère illicite des marchandises, nous ne pouvons pas savoir quel est le ratio d'efficacité des services douaniers. Nous savons juste, selon plusieurs observateurs, que la demande de produits stupéfiants est en hausse sur le marché européen et que les réseaux sont de plus en plus compétitifs et efficaces pour trouver des points d'entrée en Europe. La cocaïne fait des ravages dans tous les milieux sociaux et dans toutes les régions de France. La hausse des saisies traduit-elle une augmentation de la consommation ou une plus grande efficacité des douanes ? La réponse se situe sans doute un peu entre les deux. Nous recommandons donc que la douane produise des analyses d'efficience. Celles-ci recenseraient les quantités saisies par rapport aux coûts de toute nature encourus par la DGDDI pour accomplir cette mission. Elles nous permettraient aussi de mieux apprécier le rôle de la douane dans la lutte contre le trafic de stupéfiants.
Les douaniers sont découragés : ils assurent le meilleur travail possible, en faisant preuve de la meilleure volonté possible, mais avec des moyens inadaptés. En saturant les voies aériennes et maritimes, les trafiquants l'ont bien compris.