Intervention de Éric Dupond-Moretti

Réunion du 19 octobre 2022 à 15h00
Droit fondamental à l'ivg et à la contraception — Rejet d'une proposition de loi constitutionnelle

Éric Dupond-Moretti :

En ces temps de division, de perte des repères, existe-t-il plus beau message, envoyé à plus de la moitié de la population française, pour lui dire que la Constitution lui garantit le droit à disposer de son corps, et donc le droit à l’émancipation ? Car oui, au-delà du symbole, les conséquences sont concrètes. Alors que le Conseil constitutionnel a rattaché l’IVG à « la liberté de la femme qui découle de l’article II de la Déclaration de 1789 », inscrire l’IVG dans la Constitution permettrait de le consacrer enfin comme un droit fondamental et non simplement comme une liberté-autonomie, comme disent les juristes constitutionnels.

Il existe une autre raison, plus pragmatique, sur laquelle, en tant que garde des sceaux, je veux insister quelques instants. Cette raison est évidente : changer la Constitution est beaucoup plus difficile que changer la loi. Aujourd’hui consacré par la loi, si le droit à l’IVG était demain protégé au niveau constitutionnel, il ne pourrait être remis en cause que par le pouvoir constituant.

Cela nécessiterait à tout le moins que les deux chambres – vous connaissez la règle – y consentent. Voilà une première difficulté, et pas des moindres ! Dans un second temps, il faudrait que le Parlement, réuni en Congrès, ou nos concitoyens, par référendum, valident ce qui serait une régression terrible pour la condition des femmes.

Je veux m’appesantir un instant pour vous dire le fond de ma pensée, du fond de mes tripes – je vous prie de me pardonner cette familiarité. Je veux vous montrer comment la « course des choses », comme disait Alain, justifie que nous soutenions l’inscription de l’IVG dans notre Constitution.

Alors que Simone Veil s’exprimait le 26 novembre 1974 devant l’Assemblée nationale pour présenter cette grande loi, elle inscrivait son projet sous le signe de l’espérance. Permettez-moi, humblement, de reprendre ici ses mots, alors qu’elle concluait son discours pour convaincre les députés encore hésitants : « Je ne suis pas de ceux et de celles qui craignent l’avenir. »

C’est simple, Simone Veil croyait profondément que la loi qu’elle défendait alors permettrait à la société française de progresser. L’avenir lui a, bien heureusement, donné raison ; mais, mesdames, messieurs les sénateurs, j’aimerais tant vous dire à cette tribune, un 19 octobre 2022, presque cinquante ans après la légalisation de l’avortement, que non, moi non plus, je ne redoute pas l’avenir. J’aimerais tant aujourd’hui ne pas être de ceux qui tremblent face à l’avenir et aux incertitudes qu’il charrie. J’aimerais tant être de ceux qui, tranquilles et d’un pas assuré, avancent insouciants sur le chemin de la vie, croyant que ce qui est acquis est acquis, et que ce qui est là le sera pour toujours. J’aimerais tant, enfin, être de ceux qui, d’un revers de main, balayent les exemples étrangers – en particulier l’exemple américain –, où le droit recule, et avec lui, souvent, la condition des femmes. Qui peut aujourd’hui dire que ce qui s’est produit aux États-Unis ne pourrait pas se produire en France ?

Soyons clairs ! Qu’est-ce qui a amené la décision de la Cour suprême américaine ? C’est l’élection d’un président populiste, certes légitimement élu, disposant d’une majorité au Sénat américain et qui a pu nommer au cours de son mandat quatre juges de la Cour suprême.

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