Il y aurait là de quoi déstabiliser cette institution ; je ne pense pas que nos textes le permettent.
Le constat est donc simple : politiquement et juridiquement, un président – ou une présidente –, disposant presque naturellement d’une majorité, pourrait – je dis bien « pourrait » – revenir, en l’état actuel du droit, sur cette avancée historique et démocratique que représente le droit à l’interruption volontaire de grossesse. Tel est le cas chez certains de nos voisins européens.
C’est donc pour des raisons totalement opposées à celles de l’illustre Simone Veil, parce que précisément je redoute l’avenir, que je suis aujourd’hui favorable à ce que l’on élève sa grande loi, celle de 1975, telle qu’aujourd’hui modifiée, sa grande conquête, celle de toutes les Françaises, au sommet de la hiérarchie des normes.
Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux inscrire le droit à l’IVG dans notre Constitution, là précisément où il ne sera pas possible de l’en retirer sans l’accord du Sénat. Je sais que, là encore, il sera, comme toujours, le garant de nos droits les plus fondamentaux. Je le dis, sans aucune flagornerie : inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution, c’est aussi s’assurer que le Sénat, dans sa grande sagesse, soit assuré d’avoir le dernier mot, si d’aventure un président, une présidente, et sa majorité souhaitaient l’abroger. Je crois fermement au rôle presque informel, mais pourtant bien réel et durable, du Sénat en tant que garant de notre bien commun, de notre conscience collective.
On dit souvent que le président Mitterrand a été particulièrement courageux d’abolir en 1981 la peine de mort, alors que nos compatriotes y étaient majoritairement opposés. Ce que l’on ne dit jamais, c’est que le Sénat a lui aussi, tout aussi courageusement, adopté conforme, douze jours à peine après l’Assemblée nationale, la loi défendue par Robert Badinter.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ne vous trompez pas : inscrire aujourd’hui le droit à l’IVG dans notre Constitution n’est pas une mesure gadget, un artifice de communication ou un mouvement de panique face à un exemple étranger lointain. Inscrire le droit à l’IVG, cette liberté fondamentale et inaliénable de la femme, dans la Constitution, c’est une sécurité pour toutes les femmes de ce pays.
Mesdames, messieurs les sénateurs, faites en sorte que personne ne puisse abolir demain ce droit sans que vous soyez consultés. Les temps troublés et les remous ne sont jamais loin sur le frêle esquif de la démocratie, qui mérite toute notre attention.
En tant qu’ancien avocat, mais aussi en tant que citoyen, j’ai toujours essayé de faire en sorte que jamais l’on n’oublie que notre démocratie, notre état de droit et les libertés fondamentales qu’il consacre sont des biens précieux, nos joyaux communs, pour lesquels il est indispensable de se battre sans relâche. En tant que garde des sceaux, il est désormais de mon devoir de les préserver.
C’est pourquoi je dis aux sénatrices et sénateurs que vous êtes de ne pas prendre de risque. Protégeons autant que notre droit le permet cette liberté fondamentale des femmes qu’est le droit à l’IVG.
Que les choses soient claires, il ne s’agit pas là d’une entreprise aisée. Je le dis avec gravité : on ne doit toucher à la Constitution, selon la formule consacrée, que d’une main tremblante.
C’est pourquoi il nous faut avoir à l’esprit que le détail de la rédaction in fine retenue sera déterminant, tout comme le périmètre exact de la réforme. Une rédaction inadaptée pourrait en effet conduire à consacrer un accès sans condition à l’IVG.