Intervention de Laurence Cohen

Réunion du 19 octobre 2022 à 15h00
Droit fondamental à l'ivg et à la contraception — Discussion générale

Photo de Laurence CohenLaurence Cohen :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires d’avoir inscrit dans sa niche parlementaire cette proposition de loi, cosignée par 114 sénatrices et sénateurs, dont les membres de mon groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Cette volonté de constitutionnaliser le droit à l’IVG n’est pas nouvelle. Cela fait dix ans, depuis 2012, que le parti communiste défend cette idée. Mon groupe avait déposé une proposition de loi en ce sens dès 2017 – avant même le récent arrêt de la Cour suprême des États-Unis. Et faute d’avoir pu l’inscrire dans notre espace réservé, nous avions proposé un débat sur ce thème, qui s’était tenu dans cet hémicycle.

Avions-nous tort de vouloir protéger davantage ce droit ? Nos craintes face à la montée de mouvements conservateurs et réactionnaires étaient-elles infondées, exagérées ? Malheureusement non ! Je ne redonnerai pas la liste des pays qui, depuis, ont pris ou prennent un chemin inquiétant, mais personne ne peut affirmer ici que le monde actuel s’apaise et va vers un renforcement des droits des femmes.

Avec cette proposition de loi, importe-t-on, comme cela a été reproché en commission des lois, un débat lié notamment à l’organisation constitutionnelle propre aux États-Unis ?

Mes chers collègues, en France, pays des Lumières, des droits de l’homme, il me semble que des signes concrets et inquiétants existent ; et nous venons d’en avoir encore une preuve…

De la Manif pour tous aux groupes pro-choix, aux mensonges déversés sur internet pour culpabiliser et détourner les jeunes femmes de leur projet d’avortement, en passant par l’élection récente de 89 députés de la droite extrême, la remise en cause du droit à l’IVG est constante et s’inscrit dans un tout cohérent d’atteintes aux libertés individuelles. D’autant que l’on ne peut ignorer la fermeture de 58 centres d’interruption volontaire de grossesse (CIVG) en 2018, après celle de 130 d’entre eux de 2000 à 2010.

À cette casse organisée s’ajoute le manque de gynécologues, qui renforce les difficultés d’accès à l’IVG. Je pourrais aussi citer l’existence de la double clause de conscience ou encore la non-parution des décrets autorisant les sages-femmes à pratiquer des IVG instrumentales.

Ainsi en France, le droit à l’IVG est sans cesse menacé, malgré quelques récentes dispositions législatives favorables, obtenues contre l’avis de la majorité sénatoriale – je pense particulièrement à la loi Gaillot.

Maîtriser le corps des femmes, vieille lune du patriarcat, est un enjeu de pouvoir. Sinon, comment comprendre que ce droit soit remis en cause partout ? Toutes ces attaques sont révélatrices du fait que les femmes sont toujours considérées comme des êtres mineurs qu’il faut encadrer, contrôler, car elles ne peuvent décider seules.

Alors que le droit à l’IVG est inscrit dans le code de la santé publique, la question qui nous est posée aujourd’hui est la suivante : ce droit chèrement conquis par la lutte des féministes, des progressistes, a-t-il besoin d’être protégé ? Au regard des quelques éléments que je viens de citer, cela ne fait aucun doute. La question de l’inscription dans la Constitution est donc en réalité secondaire et ne peut servir de prétexte pour ne pas soutenir ce texte.

De quoi avez-vous peur, mes chers collègues ? De dénaturer notre Constitution ? Je remarque que celles et ceux qui s’opposent à la constitutionnalisation du droit à l’IVG et à la contraception, sous le prétexte juridique qu’elle ne serait pas nécessaire, sont les mêmes qui s’opposent systématiquement au renforcement de ce droit et, d’une manière plus générale, à la conquête de nouveaux droits pour les femmes.

Depuis des années et aujourd’hui encore, que cela vous plaise ou non, les femmes veulent maîtriser leur fécondité et choisir ou non de mener à bien une grossesse. « Notre corps, nos choix, nos droits ! », disent-elles.

Mes chers collègues, il est l’heure de regarder objectivement ce qui se passe en France, à l’aune de ce que l’on observe également en Europe ou dans le monde. Ne croyons pas que nous vivions dans un État de droit qui serait meilleur et plus solide qu’ailleurs – le garde des sceaux l’a souligné. Utilisons, au contraire, tous les outils à notre disposition pour renforcer notre législation actuelle face à un droit de toute part menacé.

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