Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici réunis pour débattre d’une proposition de loi dont l’objectif est de créer les conditions nécessaires à la mise en place de comités sociaux et économiques à La Poste.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a toujours été opposé à l’installation de ces comités, qui regroupent les anciennes institutions représentatives du personnel – délégués, comités d’entreprise, CHSCT – en une seule instance.
En 2017, lors du vote de la loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, qui précisait les grands objectifs et les différents thèmes sur lesquels porteraient les futures ordonnances, nous avions exprimé de sérieuses craintes. Nous redoutions en particulier qu’il soit porté atteinte à la représentation des salariés. Nous ne sommes pas beaucoup trompés !
Notre pays souffre d’une dégradation générale du dialogue social, ainsi que d’un manque de lien, d’une perte de proximité entre les IRP et les salariés qu’elles représentent.
Force est de constater, dans le même temps, que les questions de santé et de sécurité au travail passent très souvent au second plan, avec la disparition des CHSCT. On ne peut pas dire que les choses aillent dans le bon sens. Depuis l’ordonnance du 22 septembre 2017, les entreprises ont regroupé leurs instances – dont les CHSCT – au sein de CSE. Dans la fonction publique, la loi du 6 août 2019 a substitué les comités sociaux aux comités techniques.
Nous sommes donc contraints de légiférer, mais pas n’importe comment, car La Poste n’est pas n’importe quelle entreprise. Dans les faits, elle est atypique, puisqu’elle est devenue en 2010 une société anonyme tout en continuant à accomplir des missions de service public et d’intérêt général très importantes pour la population, comme le service universel postal, ou le transport et la distribution de la presse. La Poste porte le premier réseau commercial de proximité, si important dans nos territoires.
Le personnel de La Poste jouit d’une pluralité de statuts et dispose d’une représentation et d’un droit syndical dérogatoires, qui sont le fruit de l’histoire et de la singularité de cette entreprise.
Lors de nos récentes auditions, nous avons compris que le projet de la direction de l’entreprise, présenté aux organisations syndicales le mois dernier, prévoit de passer de 145 comités techniques à 28 CSE et qu’il faudra passer de 637 CHSCT à 121 CSSCT.
Tout semble déjà acté, avec un mot d’ordre : faire vite et en finir avec la proximité, à l’instar de ce qui s’est passé dans de trop nombreuses entreprises.
Je rappelle que nous sommes assemblés aujourd’hui pour mettre en place le cadre qui permettra de représenter et de défendre près de 170 000 salariés et fonctionnaires, auxquels s’ajoutent des intérimaires toujours plus nombreux, représentant actuellement quelque 10 000 équivalents temps plein par an.
La Poste, c’est une forte diversité de métiers, répartis sur des sites multiples. Ce qui se prépare est la réforme la plus importante à ce jour d’instances représentatives du personnel d’une entreprise dans le cadre des ordonnances de 2017. Les services de cette entreprise ont vocation à couvrir l’ensemble des territoires métropolitains et ultramarins, six jours sur sept. Ce n’est pas rien !
Les sénateurs que nous sommes, tous attachés à leur département, ne doivent pas considérer le vote de cette proposition de loi comme une simple formalité.
Il ne faudrait pas, par exemple, que la mise en place de ces CSE augure d’une politique déplorable en matière d’emploi dans cette entreprise. Les choses n’allant pas dans le bon sens, il est à craindre que la force syndicale ne soit affaiblie dans le cadre du nécessaire dialogue social.
En pratique, il y aurait de nouvelles suppressions de postes, qui se traduiraient inévitablement par la fermeture de bureaux de poste et de points de contact, et par une accélération de la désertification postale que nous constatons sur nos territoires.
La Poste comptant un nombre non négligeable de fonctionnaires et ne bénéficiant pas encore d’une culture d’entreprise privée aboutie, le passage aux CSE y provoque déjà, légitimement, beaucoup d’inquiétudes.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain estime qu’il faut laisser un peu plus de temps à la négociation et que le calendrier proposé est trop serré, même après l’adoption en commission d’un amendement tendant à le prolonger. Il faut laisser le temps nécessaire à la conclusion d’accords ambitieux et protecteurs.
Je le répète, La Poste n’est pas n’importe quelle entreprise. Rien de bon ne s’y fera sans un minimum d’ancrage territorial, qui doit être inscrit dans la loi.
Avec le passage aux CSE et la réduction du rôle des IRP et des représentants du personnel, nul ne peut nier qu’il sera plus difficile de conduire des échanges avec ces derniers. La proximité, essentielle pour une bonne représentation des salariés, sera mise à mal.
J’ai une pensée toute particulière pour les territoires ultramarins, dont l’éloignement et les spécificités sont totalement ignorés à ce stade.
Par voie d’amendement, nous proposons d’envisager la mise en place d’un droit syndical de transition durant la première mandature des CSE. C’est un sujet important, en particulier parce que plus de 1 000 représentants syndicaux vont voir leur détachement prendre fin à la date de mise en place des CSE.
Tant de questions restent en suspens, et pas des moindres : je pense, par exemple, au devenir des activités sociales et culturelles, dont le budget est aujourd’hui géré par le Cogas. Les rémunérations sont faibles, notamment pour les facteurs et les guichetiers. Il serait préjudiciable que le cadre que nous mettons en place aboutisse à un effondrement de l’offre sociale, accru par de possibles disparités entre CSE.
Nous avons déposé quelques amendements pour améliorer ce texte et poser les bases de discussions futures entre la direction de La Poste et les représentants actuels du personnel. Cependant, pour toutes les raisons que je viens d’exposer, cette proposition de loi n’est pas acceptable pour nous en l’état. Nous voterons donc contre son adoption.