Monsieur le président, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, il nous faut aujourd’hui trouver des solutions pour concilier souveraineté alimentaire et indépendance énergétique. Tel est, au fond, tout l’enjeu du débat que nous allons avoir sur cette proposition de loi inscrite à l’ordre du jour du Sénat sur l’initiative du groupe Les Indépendants – République et Territoires, que je remercie.
La guerre en Ukraine, qui affecte à la fois les marchés agricoles et énergétiques, illustre l’importance de traiter ces deux enjeux conjointement.
La transition énergétique doit permettre de limiter la trajectoire de réchauffement climatique et de gagner autant en indépendance énergétique qu’en résilience, à la fois pour nos concitoyens et nos agriculteurs.
Ceux-ci sont les premiers à subir les effets croissants du dérèglement climatique dans nos territoires, mais ils sont également des acteurs à part entière de l’adaptation à ce changement.
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) nous dit que nous pouvons encore inverser la tendance. Il faut pour cela reprendre en main notre destin énergétique, ce qui implique de remplacer 65 % de notre consommation d’énergie finale, qui vient encore aujourd’hui du bout du monde sous forme d’énergie fossile, par une production nationale ou européenne, décarbonée et, dans la mesure du possible, disponible pour un coût abordable. Ainsi, nous contribuerons à maintenir le réchauffement en deçà du seuil des 2 degrés.
Pour y parvenir, nous disposons de plusieurs solutions, dont une concerne particulièrement le monde agricole : l’agrivoltaïsme.
Je voudrais saluer le travail du Sénat, engagé de longue date sur ce sujet, à la recherche des mêmes équilibres.
Je pense naturellement à la résolution adoptée sur l’initiative de MM. Jean-François Longeot et Jean-Pierre Moga, qui a fait l’objet d’un large consensus sur ces travées.
Je pense également à la proposition de loi de M. Jean-Pierre Decool – je le salue – dont nous discutons aujourd’hui. Elle entre en résonance avec le travail enclenché par le Gouvernement sur le projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, défendu par ma collègue, Mme Agnès Pannier-Runacher. Ce texte prépare ainsi utilement les débats que nous aurons sur ce texte.
En tant que ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, je salue aussi cette initiative, car l’agrivoltaïsme, c’est-à-dire une énergie photovoltaïque produite en synergie avec nos activités agricoles, constitue selon moi une solution vertueuse. Aucune des transitions à l’œuvre – transitions nécessaires ! – ne pourra se faire sans notre agriculture.
Nous ne le disons pas suffisamment : nos agriculteurs détiennent une partie de la réponse au problème de la lutte contre le réchauffement climatique. Ils portent au quotidien, dans tous nos territoires, des projets qui contribuent à cette lutte, par la production d’énergies renouvelables qui se substituent aux énergies fossiles, comme les biocarburants ou la méthanisation.
Les technologies agrivoltaïques permettent dans le même temps d’apporter des services aux agriculteurs, en protégeant davantage les cultures contre les aléas météorologiques, en régulant leur exposition au soleil, ou encore en les protégeant contre un excès de précipitations ou des épisodes de grêle. L’objectif est simple : accélérer l’adaptation de notre modèle agricole au changement climatique, grâce à des pratiques plus résilientes et durables.
C’est pourquoi le Gouvernement soutient déjà l’agrivoltaïsme. L’Ademe a formalisé, après plusieurs mois de travail et d’expertise, une définition qui, je crois, fait largement consensus.
Chaque année nous lançons des appels d’offres « innovation » permettant de soutenir de manière ad hoc les technologies innovantes. De plus, en 2022, le Gouvernement a décidé d’étendre ce soutien en permettant aux porteurs de projets agrivoltaïques de répondre aux appels d’offres photovoltaïques sur les bâtiments. Cela a d’ores et déjà permis à de premiers projets d’émerger, dans les territoires, en concertation avec l’ensemble des acteurs impliqués.
Cependant – et c’est la raison pour laquelle je considère que cette proposition de loi est très importante –, il est nécessaire d’aller plus loin pour accélérer et garantir le développement cohérent et maîtrisé de ces projets agrivoltaïques dans nos territoires.
Or il n’existe toujours pas de définition réglementaire de l’agrivoltaïsme. Elle est aujourd’hui nécessaire. Le Président de la République a d’ailleurs – vous l’avez rappelé – pris des engagements à ce sujet devant le monde agricole, pour plus de clarté et de visibilité, mais également pour plus de sécurité, afin d’éviter tout projet alibi qui s’éloignerait de l’équilibre recherché par tous.
Le cadre législatif posé ici pour l’agrivoltaïsme permettra ensuite d’asseoir une approche territorialisée, dans chaque département, avec les acteurs locaux – les maires au premier chef, mais aussi les agriculteurs, ou encore les chambres d’agriculture.
C’est peut-être une évidence, mais l’agrivoltaïsme que nous promouvons va de pair avec la préservation de terres agricoles productives, essentielles pour notre souveraineté alimentaire. Je sais que le Sénat est particulièrement attentif à ces enjeux.
Ce juste équilibre est, à mon sens, en passe d’être trouvé aujourd’hui grâce à votre proposition de loi, qui offre une définition et un cap clairs, mais pose aussi des conditions et un cadre qui le sont tout autant : non-artificialisation des sols, conservation des fonctions écologiques et du pouvoir agronomique du sol, maintien d’une activité agricole significative, réversibilité totale des projets, capacité du préfet de contraindre à la constitution de garanties financières, avis systématique de la CDPENAF et, évidemment, service ajouté réel apporté à l’agriculteur. Ce cadre, ainsi posé, constitue un véritable progrès par rapport à la situation actuelle.
Le Gouvernement considère que la définition proposée dans ce texte va véritablement dans la bonne direction, notamment grâce à un encadrement clair des projets permettant d’éviter tous les détournements. Un agriculteur doit rester un agriculteur et l’agrivoltaïsme doit rester de l’agrivoltaïsme !
Ces règles strictes permettront de lutter contre les projets alibis et contre les abus, tout en améliorant la sécurité juridique pour toutes les parties prenantes, et ainsi, d’accompagner le développement concerté de l’agrivoltaïsme. C’est bien l’équilibre que je défends, avec Agnès Pannier-Runacher et toutes les parties prenantes.
Je voudrais saluer tout particulièrement les travaux de votre rapporteur. De la même manière, je partage l’esprit des travaux menés par la commission des affaires économiques et sa présidente.
Je partage cette volonté de parvenir à un point d’équilibre entre des règles qui permettront d’éviter les dérives, des mesures visant à favoriser de tels projets et une marge d’appréciation appuyée sur une gouvernance locale autour des CDPENAF. Le Président de la République l’a rappelé : concertation et accélération ne sont pas incompatibles, bien au contraire !
Le rôle de ces instances fera l’objet de débats à l’occasion de l’examen de divers amendements, mais je crois pouvoir dire que nous nous rejoignons collectivement pour imposer un avis systématique de ces commissions, qui constituent, à mon sens, des instances locales de dialogue pertinentes, notamment pour apprécier la synergie entre les deux activités – agricole et énergétique –, prendre en compte les spécificités des territoires et inscrire les projets dans la durée.
Nous travaillons aujourd’hui pour les générations de demain ; cela nous oblige tous.
Nous devons donc aussi penser à la transmission. En aval, les conditions de retour à l’activité agricole des surfaces sur lesquelles des installations agrivoltaïques auront été implantées doivent être anticipées. C’est l’enjeu de la réversibilité, qui est traitée dans cette proposition de loi. Se posent des questions de pérennité des investissements, notamment au moment de la transmission des exploitations, de solvabilité des installateurs à terme et de responsabilité.
Enfin, concernant l’éligibilité aux aides de la politique agricole commune, l’engagement du Gouvernement est clair : à partir du moment où l’agrivoltaïsme aura été défini avec précision et justesse dans la loi, nous définirons l’éligibilité des projets aux aides de la PAC. Cela suppose, toutefois, pour être en conformité avec le droit européen, d’avoir la définition la plus précise possible de l’agrivoltaïsme. C’est pourquoi il est important de s’en tenir précisément à la définition issue des travaux de l’Ademe. Le plan stratégique national (PSN) de la France, approuvé le 31 août dernier par la Commission européenne, précise à cet égard que « l’admissibilité des surfaces couvertes par des panneaux photovoltaïques sera précisée dans la réglementation nationale ».
Le projet d’arrêté devant entériner cela est en cours d’élaboration, parallèlement à vos travaux. Inscrire cela dans la loi n’est donc, à notre sens, ni nécessaire ni souhaitable. Nous comptons évidemment vous associer aux travaux réglementaires que nous mènerons.
Voilà tracées les grandes lignes de ce débat. Je forme le vœu qu’il permette, en lien étroit avec les organisations professionnelles agricoles et avec l’ensemble des acteurs du monde rural – je pense en particulier aux élus – de préparer un dispositif équilibré en vue des débats à venir sur le projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables.
Face aux défis combinés de la souveraineté alimentaire et énergétique, nous devons œuvrer à trouver une réponse efficace, équilibrée et ambitieuse. En ce sens, cette proposition de loi fait œuvre utile.