Intervention de Christian Redon-Sarrazy

Réunion du 20 octobre 2022 à 14h30
Développement de l'agrivoltaïsme — Discussion générale

Photo de Christian Redon-SarrazyChristian Redon-Sarrazy :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre Haute Assemblée se penche une nouvelle fois sur le développement de l’agrivoltaïsme, une activité qui, en fournissant un revenu complémentaire aux agriculteurs, participe à la transition énergétique en incluant nos exploitations agricoles dans la production d’énergies renouvelables.

En janvier dernier, lors de l’examen de la proposition de résolution sur le même sujet, nous avions déjà dénoncé un manque d’encadrement des risques liés à la croissance de cette activité.

Notre raisonnement et nos constats sont les mêmes aujourd’hui, car la proposition de loi que nous examinons ne comble pas suffisamment ce manque, à notre sens, et les inquiétudes demeurent, notamment dans le monde agricole.

Le Gouvernement semble envisager d’introduire par voie d’amendement une définition exacte de l’agrivoltaïsme dans le projet de loi sur l’accélération de la production d’énergies renouvelables. §Cela confère à nos échanges de ce jour toute leur valeur et leur nécessité.

En effet, s’il faut encourager le développement des énergies renouvelables, auquel l’agrivoltaïsme contribue sans doute, nous devons préciser son cadre réglementaire, qui demeure flou, voire inexistant. L’émergence d’installations suscite déjà bien des inquiétudes, voire des oppositions, tant notre foncier agricole est déjà soumis à une pression croissante.

L’installation de panneaux photovoltaïques sur les terres agricoles emporte des risques multiples. Elle peut déséquilibrer les dynamiques économiques agricoles locales, conduire à artificialiser davantage les sols, compromettre l’installation de jeunes agriculteurs en accaparant le foncier, sans garantie de réversibilité ni de transmission des parcelles, porter atteinte à la biodiversité et à l’esthétique des paysages ; enfin, elle pourrait fragiliser notre souveraineté alimentaire par un glissement sournois, à terme, de ces surfaces vers la seule production d’énergie.

La question du cadre réglementaire est donc fondamentale. À notre sens, elle s’articule selon cinq points, sur lesquels nous avons tenté d’apporter des réponses par voie d’amendement.

Le premier concerne la définition des installations agrivoltaïques et leur réversibilité. Pour être considérées comme telles et bénéficier pleinement à une exploitation agricole, tout en contribuant à nos objectifs de neutralité carbone à l’horizon 2050, ces installations doivent apporter au moins un service à l’exploitation : amélioration du potentiel et de l’impact agronomique, adaptation au changement climatique, protection contre les aléas, ou amélioration du bien-être animal.

Une autre condition est qu’elles soient réversibles. La priorité doit être accordée à la production alimentaire ; aussi les parcelles converties en agrivoltaïsme doivent-elles pouvoir retourner à leur vocation d’origine si nécessaire. Il s’agit d’un point de vigilance majeur ; nous avons donc déposé un amendement visant à rendre automatique la constitution des garanties financières nécessaires au démantèlement et à la remise en état d’un site pour les projets dont la limite de puissance installée est supérieure à 1 mégawatt.

Le deuxième point porte sur le contrôle des installations et de leur financement. Cette question incontournable est sans doute l’une des plus difficiles à résoudre, dans la mesure où elle touche aux finances publiques. Une fois les installations autorisées et mises en service, qui veillera au respect des critères que je viens d’énoncer, notamment à l’apport des services ? Avec quels moyens humains et financiers ?

Dans un souci de préservation de l’activité agricole, il faut introduire des dispositions de suivi et de contrôle, ainsi que des possibilités de démantèlement en cas de non-respect de la loi. L’absence de contrôles opérés par l’État donnera lieu sans aucun doute à des dérives ; nous nous y opposons.

Le troisième enjeu du cadre réglementaire est le danger que représentent les projets agrivoltaïques pour les régions à faible potentiel agronomique, susceptibles de devenir les cibles de « chasseurs de territoires ».

Pour éviter cet écueil, nous estimons qu’il est indispensable d’impliquer tous les acteurs participant au projet d’installation – exploitant agricole, propriétaire du foncier agricole et porteur du projet – et d’obtenir leur accord, dans le cadre d’une large concertation qui devra également associer les élus locaux.

Nous avons formulé cette proposition par voie d’amendement, afin que les communes soient toujours informées en amont lorsqu’un groupement propose la réalisation d’un projet agrivoltaïque sur leur territoire. À cet égard, nous tenons à souligner que la répartition de la fraction de l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (Ifer) va devenir un sujet central ; il faudra donc veiller à sa répartition équilibrée entre communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).

Les deux derniers points de vigilance que nous souhaitons aborder sont la relation entre la qualification d’agrivoltaïsme et le statut d’actif agricole, ainsi que l’encadrement de la transmission des parcelles placées en agrivoltaïsme.

Le détournement du statut d’actif agricole, notamment via le travail à façon, ne peut être négligé, tant ce cas de figure pourrait émerger dans le cadre de projets d’agrivoltaïsme. La tentation de l’agricapitalisme est réelle ; on l’observe déjà dans bien des filières.

Il est également impératif de réfléchir aux modalités de transmission, dans le cas d’un exploitant fermier comme dans celui d’un exploitant propriétaire. Le repreneur, en pleine propriété ou en fermage, doit pouvoir bénéficier des mêmes avantages que l’exploitant actif au moment de la mise en place des installations agrivoltaïques.

Nous formulons donc les propositions suivantes : il convient de subordonner la qualification d’agrivoltaïsme à celle d’agriculteur actif et d’encadrer la transmission des parcelles en agrivoltaïsme, notamment en prévoyant les conditions du départ à la retraite ou de la cessation d’activité de l’exploitant dans le contrat initial. Il s’agit selon nous de garanties indispensables pour éviter une artificialisation masquée et assurer une transmission réussie de ces parcelles.

Notre principale ligne directrice est d’éviter à tout prix que notre autonomie alimentaire et notre autonomie énergétique n’entrent en conflit au point que l’une s’efface au profit de l’autre. À ce titre, établir par décret « la méthodologie définissant la production agricole significative et le revenu durable en étant issu », ainsi que le prévoit le texte, revient tout simplement à signer un chèque en blanc et à hypothéquer plusieurs dispositions de cette proposition de loi.

En janvier dernier, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’était abstenu lors de l’examen de la proposition de résolution sur le même thème en séance publique, estimant que le sujet du développement de l’agrivoltaïsme nécessitait de mettre en place « des garde-fous afin de prévenir toute dérive irréversible sur notre modèle agricole » et de ne pas favoriser l’émergence « d’énergieculteurs ».

Nous avions néanmoins souligné que nous étions disposés à accompagner le développement de l’agrivoltaïsme, dès lors qu’il s’agirait bien de techniques ayant d’abord pour but d’améliorer la production agricole et non de l’utiliser comme alibi au profit d’une production plus rentable.

Nous restons vigilants quant aux dérives possibles ; la suite qui sera donnée à nos amendements déterminera le vote du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sur cette proposition de loi.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion