Intervention de Laurence Harribey

Commission des affaires européennes — Réunion du 20 octobre 2022 à 8h35
Questions sociales travail santé — Stratégie pharmaceutique pour l'europe - rapport d'information et avis politique de mmes pascale gruny et laurence harribey

Photo de Laurence HarribeyLaurence Harribey, rapporteure :

La pénurie de médicaments est un défi auquel sont confrontés tous les États membres de l'Union. Pour 87 % d'entre eux, la situation s'est même aggravée entre 2018 et 2019. Ces pénuries affectent principalement les médicaments anciens et ont de lourdes conséquences sur la santé des patients. Elles ont de multiples causes, ce qui complique l'action publique destinée à les éviter.

Un rapport de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) et du Conseil général de l'économie (CGE) sur les vulnérabilités d'approvisionnement en produits de santé, qui a été remis au Commissariat général au plan, distingue trois principales sources d'insuffisance dans la fourniture de médicaments.

La première est le défaut qualité : la production n'atteint pas les objectifs en termes de conformité technique ou de délais prévus, ce qui peut résulter de causes internes telles qu'un défaut de l'appareil de production, une erreur humaine ou de causes externes comme la défaillance d'un fournisseur.

La deuxième source d'insuffisance de médicaments consiste en des arrêts de fabrication pour cause de rentabilité insuffisante.

Enfin, la troisième cause peut tenir à une erreur de prévision de la demande ou à une restriction d'accès au marché pour des raisons réglementaires.

Cette analyse confirme qu'il faut agir dans plusieurs directions pour limiter les pénuries.

D'abord, la Commission doit en donner une définition. Il en existe une depuis cette année, dans la législation européenne, mais uniquement dans un cadre d'urgence de santé publique : c'est une situation dans laquelle l'offre d'un médicament qui est autorisé et mis sur le marché dans un État membre ne répond pas à la demande de ce médicament au niveau national, quelle qu'en soit la cause. La législation française, quant à elle, définit la rupture d'approvisionnement, cette fois dans un cadre général, comme l'incapacité pour une pharmacie de dispenser un médicament à un patient dans un délai de soixante-douze heures, après avoir effectué une demande d'approvisionnement auprès de deux entreprises exerçant une activité de distribution de médicaments. Les États membres de l'Union devront donc s'accorder sur une définition commune.

Deuxième piste : définir la notion de médicament critique. Dans leur rapport, l'IGAS et le CGE proposent une méthodologie intéressante, dont la Commission européenne pourrait s'inspirer, consistant à croiser deux catégories de données. Dans un premier temps, il s'agit d'identifier avec des cliniciens l'intérêt thérapeutique majeur et le caractère irremplaçable de certains médicaments, ce qui permet d'évaluer leur criticité sur le plan clinique. Dans un second temps, les données ainsi obtenues devraient être croisées avec les caractéristiques de vulnérabilité des chaînes de production de ces produits, en prenant en compte le nombre d'exploitants, de fournisseurs et de sites de production, ainsi que la localisation de la fabrication des principes actifs et des produits finis, analyse qui permettrait d'évaluer la criticité sur le plan industriel. Cette méthode semble correspondre à la vision de l'Agence européenne des médicaments qui, lors de son audition, a mentionné plusieurs critères à prendre en compte pour établir une liste de médicaments critiques : l'intérêt thérapeutique, les alternatives en Europe et la vulnérabilité de la chaîne d'approvisionnement. Cette liste de médicaments critiques devrait être établie sous l'autorité de l'Agence européenne des médicaments, et validée par la Commission et les États membres par le biais d'un acte d'exécution.

Troisième piste, la mise en place d'un système d'information permettant aux autorités compétentes des États membres et aux entreprises de l'industrie pharmaceutique de signaler les ruptures potentielles ou effectives. Les États membres pourront alors mettre en place les mesures nécessaires pour gérer ou anticiper les pénuries de médicaments critiques. La plateforme en cours de développement pour gérer les pénuries en cas d'urgence de santé publique trouverait ainsi une utilité dans un cadre plus général.

D'autres mesures permettraient d'anticiper et de gérer au mieux les pénuries. D'un point de vue réglementaire, il est nécessaire de simplifier les modifications d'autorisation de mise sur le marché (AMM) lorsque celles-ci concernent une question liée au processus de fabrication. Par ailleurs, en cas de rupture d'approvisionnement pour les médicaments critiques, des notices numériques pourraient être utilement établies pour ces médicaments et délivrées aux patients pour faciliter la circulation des médicaments entre États membres de l'Union européenne.

De plus, les obligations des titulaires d'AMM doivent être renforcées. Il leur appartient tout d'abord d'identifier les risques de qualité liés à leur production : d'une part, des risques de qualité internes qui concernent le processus de fabrication et les outils de production ; d'autre part les risques de qualité externes relatifs aux fournisseurs.

Face à ces risques, il incombe aux titulaires d'AMM d'élaborer des plans de continuité d'activité. La maintenance de l'outil de production et, dans la mesure du possible, la diversification des approvisionnements sont autant de moyens de limiter les risques. En parallèle, les titulaires d'autorisation de mise sur le marché devront élaborer des plans de gestion des pénuries pour les médicaments critiques.

Nous suggérons aussi une obligation de stocks à l'échelle de l'Union européenne, accompagnée d'un soutien financier aux entreprises pharmaceutiques.

Enfin, la pandémie a mis en avant les difficultés de l'Union européenne à répondre aux besoins des patients de manière autonome. L'Agence européenne des médicaments évalue à 40 % la part des médicaments finis commercialisés dans l'Union européenne provenant de pays tiers. Par ailleurs, 80 % des fabricants de substances pharmaceutiques actives utilisées pour des médicaments disponibles en Europe sont établis en dehors de l'Union, contre 20 % il y a trente ans.

Cette perte d'indépendance risque de se matérialiser par une pénurie en cas de crise internationale. On observe une demande de médicaments de plus en plus forte en Asie du Sud-Est, alors que le prix relativement bas des médicaments dans certains États membres de l'Union, dont la France, rend ces marchés moins attractifs. En cas de pénurie conjoncturelle mondiale liée, par exemple, au défaut d'un fournisseur ou à une hausse de la demande, la logique patriotique des États producteurs de médicaments fait que l'Union ne serait pas prioritaire pour recevoir les médicaments nécessaires, surtout si les prix y sont inférieurs. Ainsi, si l'éloignement de la production du territoire de l'Union n'est pas la cause première de la pénurie, il place l'Union européenne dans une situation de dépendance vis-à-vis d'États tiers.

Différents interlocuteurs des rapporteurs ont confirmé qu'il n'est pas envisageable de produire toute la pharmacopée dans l'Union. Cependant, il demeure indispensable de sécuriser l'approvisionnement des médicaments critiques, d'où l'importance de les définir. Pour assurer l'autonomie stratégique ouverte de l'Union européenne, il faut des mesures d'incitation financière et fiscale pour le maintien ou la relocalisation des sites de production en Europe. Cela passe par la conduite d'une vraie politique industrielle, comme l'Union européenne est en train de le faire pour les semi-conducteurs. Les aides ne doivent cependant pas se concentrer sur la production de médicaments innovants : elles doivent également faciliter la relocalisation de tous médicaments exposés à des ruptures d'approvisionnement.

Toute aide publique devrait donc avoir pour objectif principal de répondre aux besoins des patients et être conditionnée à des obligations d'approvisionnement. En outre, il faudrait envisager des partenariats public-privé pour la production de médicaments critiques, dans le respect du droit des brevets. En France, c'est un partenariat de ce type qui a permis la production de curare pendant la pandémie ; aux États-Unis, le projet Civica consiste à faire produire par neuf cents hôpitaux sur l'ensemble du territoire les médicaments régulièrement exposés à des tensions d'approvisionnement.

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