Intervention de Jean-Philippe Thiellay

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 19 octobre 2022 à 9h35
Situation du centre national de la musique – audition

Jean-Philippe Thiellay, président du CNM :

– Vous avez rappelé, monsieur le président, le lien qui existe entre le CNM et le Parlement, grâce aux travaux qui ont conduit à l’adoption de la proposition de loi, dans le climat de consensus que vous avez décrit, après près de 40 ans de tergiversations et d’hésitations.

Je me joins également aux remerciements que vous avez adressés au sénateur Hugonet.

Tout d’abord, la situation de la filière est assez contrastée. Jeudi dernier, à l’occasion de la convention « MaMA », nous avons rendu publics les chiffres de fréquentation des salles de spectacle en 2021 et sur les neuf premiers mois de 2022. On constate un recul modéré, de l’ordre de 10 % en moyenne en termes de billetterie, qui traduit des contrastes extrêmement forts. En 2021 et 2022, nous avons plus de stades et d’Arena qu’en 2019 mais, en revanche, tout ce qui est en deçà de ces grandes jauges souffre terriblement, avec des baisses pouvant aller jusqu’à – 50 %.

Je rappelle que 60 % des concerts qui ont lieu en France se tiennent dans des salles de moins de 800 places. Or ce qui compte, notamment pour l’emploi, ce sont les cachets, non la recette de billetterie. Si l’ensemble de ces salles souffrent énormément, on ne le voit pas tellement dans les chiffres moyens alors que, notamment dans les territoires, les salles sont gravement fragilisées, endettées pour certaines, avec des coûts qui explosent et des factures énergétiques multipliées parfois par douze. Le coût de l’énergie est extrêmement préoccupant, mais c’est aussi le cas des transports, des matières premières, et l’on rencontre des difficultés de recrutement avec, dans les musiques actuelles, une forte hausse des cachets.

Cela se manifeste par une crise en ciseaux, avec des coûts qui augmentent de plus en plus et des recettes qui baissent ou stagnent. C’est un vrai risque pour l’hiver 2022-2023 et pour l’année 2023, après deux années catastrophiques. Je rappelle qu’on a encore connu, début 2022, des interdictions de spectacles. Le temps passe et on oublie les vagues et les différentes mesures…

La crise s’est également fait sentir du côté du phono. Il existe en effet un lien de plus en plus fort entre le phono et le live. Combien de projets et de disques enregistrés n’ont pu vivre leur vie, se développer, rencontrer le public dans les salles et les festivals afin de générer ensuite des revenus ? Il n’en reste pas moins – et c’est une bonne nouvelle pour tout le monde – que le marché de la musique, d’après les chiffres communiqués par le SNEP au mois de septembre, a marqué une avancée globale de 8,2 % par rapport au premier semestre 2021, avec une progression du streaming payant et gratuit de 15 %, et de 13 % pour le streaming par abonnement. C’est une bonne nouvelle, car il y a là des éléments de création de valeurs à nouveau très importants.

Il faut aussi dire que, grâce au soutien du ministère de la culture et de l’État, il n’y a pas eu de faillite. Certes, des emplois n’ont pas été créés, de la valeur a été détruite irrémédiablement, mais le paysage existe et on a échappé à la catastrophe.

Vous avez, monsieur le président, eu l’amabilité de dire que le CNM avait été le seul financeur dans la crise. C’est le financeur principal, mais les collectivités territoriales ont vraiment joué le jeu, l’État aussi, dans une certaine mesure, pour une partie de ses compétences. On s’est souvent demandé ce qui se serait passé si le CNM n’avait pas existé, mais nous n’avons pas été seuls.

Je n’ai pas évoqué la question du financement de la vie musicale par les collectivités territoriales mais, là aussi, les mauvaises nouvelles s’enchaînent dans le Grand Est, en Auvergne-Rhône-Alpes depuis déjà quelque temps, dans certaines villes ou métropoles, et cela participe à nouveau d’un risque d’attrition car, pour faire des économies, il n’y a pas d’autre solution que de moins jouer.

S’agissant du financement du CNM, je voudrais, de la manière la plus claire possible, dire qu’il n’existe pas de questions à ce sujet, mais des problèmes pour certaines missions. Le plafond d’emplois de l’établissement public n’a pas bougé pendant la crise, alors même qu’au lieu de gérer une cinquantaine de millions, nous en avons géré 200 par an. Je ne peux d’ailleurs pas prendre la parole en public sans dire que je suis fier de l’équipe que je dirige, car les mots que vous avez eus, monsieur président, s’adressent à eux.

Le budget de fonctionnement du CNM est le même depuis 2020, avec la fusion des cinq structures, et c’est la subvention de l’État qui couvre le budget de fonctionnement, qui s’élève à environ 18 millions d’euros. Il n’y a donc pas de problème de financement du CNM comme dans d’autres établissements publics.

J’ajoute que le CNM n’a pas encore trouvé son rythme de croisière. Nous nous sommes installés l’an dernier dans des locaux dans le 13e arrondissement. Nous avons investi dans différents systèmes d’information dont bénéficient les entreprises et les structures affiliées au CNM, et je crois que l’établissement fonctionne.

J’en profite pour dire qu’il y a eu quelques interrogations, surtout à l’Assemblée nationale, me semble-t-il, sur une prétendue opacité et absence de transparence. Je ne sais pas ce que cela veut dire : nous avons un agent comptable, nous avons un contrôleur budgétaire et comptable ministériel (CBCM), nous avons la Cour des comptes, que nous avons vue beaucoup depuis deux ans et demi. Toutes les aides que nous versons sont publiées : en trois clics, on tombe sur un tableau Excel qui fait 4 491 lignes pour ce qui est des aides 2021. C’est la transparence que doit tout établissement public, et je ne crois pas qu’on aurait pu faire beaucoup mieux.

Je tiens aussi à dire qu’un des sujets importants réside dans les crédits d’impôt. Depuis octobre 2020, nous délivrons au nom de l’État les agréments pour les crédits d’impôt. Il n’y a pas eu de rupture, et c’est extrêmement important pour toute la filière musicale.

Le Sénat et l’Assemblée nationale ont voté l’an dernier un nouveau crédit d’impôt en faveur des éditeurs de musique, qui n’est pas entré en vigueur, les textes d’application n’ayant pas été pris. Nous sommes dans l’attente de ce dispositif.

Troisième et dernier point extrêmement important sur les besoins et les sources de financement pour les missions du CNM : j’ai indiqué que le fonctionnement du CNM était assuré. Sans m’appesantir, le CNM n’est toutefois pas qu’une caisse d’aides. Il fait également de l’observation et de l’analyse. Nous avons ainsi travaillé sur l’user centric et sur la place des femmes dans les festivals. Nous travaillons actuellement sur les faux streams et la manipulation des streams sur les plateformes, etc. Toutes ces missions, comme la formation professionnelle, sont extrêmement importantes face aux grands enjeux auxquels la filière est confrontée.

Il n’en reste pas moins que des questions se posent sur le volet financier. Avant de se demander où trouver des ressources, il faut établir les besoins, qui correspondent à des lignes budgétaires à placer en regard des missions que vous avez définies à l’article 1er de la loi du 30 octobre 2019. Début 2020, avant la crise, nous nous sommes concertés avec les professionnels, dont ceux qui sont ici présents, pour analyser les besoins de la filière, compte tenu de l’évolution des métiers, des opportunités à l’international, de la compétition des contenus. Nous nous sommes demandés ce qu’il fallait pour que l’équipe de France de la musique soit plus forte.

Cette concertation a abouti, en s’appuyant sur les travaux parlementaires préparatoires à la création de la loi, sur le rapport de Roch-Olivier Maistre ou de Franck Riester et autres, en 2010. On arrive à un périmètre d’intervention d’une cinquantaine de millions d’euros pour l’établissement public, hors fonctionnement et droits de tirage, les droits de tirage ne constituant pas une aide et échappant à toute orientation politique. Cette cinquantaine de millions d’euros est destinée à soutenir le live, la diversité, à investir dans les salles, à aider les tournées, etc., au nom de la diversité, mais aussi à aider la filière du phono, dans la mesure où, avec les opportunités liées au streaming, énormément de labels indépendants se sont montés partout sur le territoire, notamment dans certaines esthétiques plus fragiles que d’autres, qui n’existeraient pas sans le crédit d’impôt ou les aides sélectives, auparavant gérés par le fonds pour la création musicale (FCM) ou, pour la production internationale, par le Bureau Export de la musique française.

Certains sujets transversaux nouveaux que la loi avait bien cernés prennent une importance capitale, comme la transition écologique. Je n’ai pas besoin de vous faire un dessin : nous avons passé un été un peu particulier, avec des annulations pures et simples de festivals ici ou là, et des enjeux en termes d’évolution des modèles, dans le phono et la production, où il est nécessaire d’analyser les choses et d’observer pour aider les professionnels à prendre ce virage en matière d’égalité femmes-hommes ou de transition digitale, autant d’enjeux transversaux qui figurent dans la loi et donnent à l’établissement public sa légitimité.

Pour 2023 en tout cas, compte tenu de la baisse modérée du rendement de la taxe, on estime qu’on va avoir une trentaine de millions d’euros, dont il faut retrancher les deux tiers au titre du droit de tirage, ce qui n’en fait plus qu’une dizaine, en y ajoutant les dotations de l’État, qui a respecté ses engagements, plus les dotations des organismes de gestion collective qui, auparavant, finançaient les structures que nous avons fusionnées. Celles-ci ont également subi la crise et l’arrêt « rap », sur lequel je ne m’appesantirai pas, qui a constitué en quelque sorte une tempête dans le tsunami. Nous pensons ainsi que nous arriverons, en 2023, à une grosse vingtaine de millions d’euros en cash disponible, si je puis m’exprimer ainsi.

La ministre de la culture, dont je partage l’opinion, a indiqué à l’Assemblée nationale qu’avec quelques sous-consommations sur la fin des crédits France Relance, nous pourrions redéployer, ici ou là, une trentaine de millions d’euros, dans le cadre d’une mesure que je ne peux vous exposer aujourd’hui, car nous sommes en pleine phase de prévision, d’exécution et de préparation du budget. J’en accepte l’augure bien volontiers.

Nous travaillons dans ce sens avec le ministère de la culture, mais on est loin des 50 millions d’euros. On n’abandonnerait pas vraiment de missions mais, au lieu de consacrer 4,5 millions d’euros à l’export, on redescendrait à ce que faisait le Bureau Export de la musique française, soit 1,5 million d’euros.

En matière d’égalité femmes-hommes, nous étions à 250 000 euros en 2020 et étions passés à 1,7 million d’euros en 2022. On ne sera pas dans ce cas, alors même que ce sont des transitions pour lesquelles on ne peut considérer avoir réglé le sujet.

Si on arrive en forçant les choses à 30 millions d’euros, énormément de projets, de spectacles et d’enregistrements n’existeront pas. C’est aussi simple que cela. Une OGC comme la Société civile pour l’administration des droits des artistes et musiciens interprètes (Adami) n’aide plus aucun label discographique du fait de la crise et de l’arrêt « Recorded Artists Actors Performers » de la Cour de justice. L’Adami se tourne vers nous pour savoir si nous allons compenser. Nous n’avons évidemment pas ces 25 millions d’euros par an.

Pour 2024, c’est encore pire. Si on arrive à 30 millions d’euros grâce au redéploiement de sommes que nous allons soit sous-consommer, soit récupérer, ce sera en toute hypothèse en 2024. Le risque qu’on arrive à un CNM minoré, très loin des ambitions de la loi, me semble très important.

Nous avons connu, depuis plusieurs années, maintes propositions de taxes sur les objets connectés, de projets de taxe YouTube ou de taxe sur les plateformes de streaming. J’ai toujours été agnostique : nous avons besoin d’une vingtaine de millions d’euros pour assumer les missions fixées par la loi. Une taxe affectée à la musique, et qui irait à la musique, me semble être une bonne logique, dans la mesure où cela échappe aux discussions interministérielles. Cela paraît vertueux parce que cela permet de montrer que l’aval finance l’amont et que la diffusion finance la création.

Nous avons estimé, avec la ministre, qu’une taxe streaming n’était pas mûre pour 2023.

Une certaine agitation a pris des formes que je regrette – on a affirmé que le CNM n’aidait pas le rap : c’est purement et simplement faux ! Peu importe, c’est le passé. La bonne nouvelle, c’est la mission qui a été confiée au sénateur Bargeton. Nous espérons, dans les six mois, pouvoir clarifier tous ces points et arriver à l’été 2023, en vue du PLF 2024, avec un dispositif consensuel qui permettra à l’établissement d’assumer ses missions.

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