– Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, indépendamment de la mission de structuration et de coordination du CNM se trouve dans la loi l’idée de promouvoir et de mettre en œuvre une politique ambitieuse. C’est cette ambition qui nous a tous amené à soutenir le CNM, et j’aimerais que cette ambition se traduise concrètement.
Par modestie, Jean-Philippe Thiellay n’a pas dit que le CNM a joué un rôle essentiel pendant la crise. Comment aurions-nous fait sans lui ? Le fonds de secours pour les créateurs, qui représente 20 millions d’euros, a aidé plus de 8 000 personnes qui ne pouvaient plus vivre, payer leur loyer, et qui nous appelaient tous les jours parce qu’elles ne pouvaient plus exercer leur métier, principalement le spectacle vivant. Sans l’aide du CNM et du Parlement, qui a introduit, au titre de l’article 324-17, un critère qui a permis de débloquer des fonds pour les créateurs en détresse, la Sacem n’aurait pas consacré 15 millions pour aider ces créateurs en détresse. Le rôle du CNM a été essentiel pendant la crise, et même après la crise. Je pense aux bourses pour les auteurs, aux aides pour les éditeurs, qui sont pour nous essentielles et permettent de développer et de garantir la diversité culturelle.
Je ne reviendrai pas sur les modes de financement, ni sur les difficultés. Il existe aujourd’hui trois sources de financement, le spectacle vivant, l’État et les organismes de gestion collective. Le dispositif des organismes de gestion collective est aujourd’hui menacé pour plusieurs raisons : la première, c’est qu’on a dû faire face à la crise sanitaire. La Sacem a perdu en deux ans, tout cumulé, 200 millions d’euros de collecte, soit 200 millions d’euros de moins pour les créateurs.
Cette perte cache une autre réalité : pour le spectacle vivant, ce sont 300 millions d’euros qui ont été perdus, dont une partie a été compensée par les revenus numériques, car nous avons fait mieux en la matière. Malheureusement, lorsque vous passez un contrat avec Spotify, Deezer ou un label de musique dans 180 pays, ce n’est pas forcément le répertoire francophone qui profite de cette augmentation.
En revanche, en matière de spectacle vivant, ce sont principalement nos talents qui se produisent en France. Une baisse sur le spectacle vivant se fait donc ressentir de manière beaucoup plus dure pour les membres de la Sacem. Nous sommes à notre niveau le plus bas de répartition depuis 2012, malgré un amortissement de la chute. On est donc dans une situation compliquée.
Par ailleurs, vous le savez, le dispositif de rémunération pour copie privée fait l’objet d’attaques constantes, récurrentes, injustifiées, tant au niveau européen qu’au niveau national, ce qui met en péril toute l’aide culturelle : une année de copie privée, je le rappelle, c’est 12 000 projets aidés et 3 000 pour la Sacem, soit environ 70 millions d’euros pour l’ensemble des OGC. Si l’on considère simplement celles qui interviennent dans le secteur de la musique, cela représente 40 millions d’aides. À chaque fois qu’on fragilise un dispositif qui représente 1 % du prix d’un iPhone, on remet en cause de nombreuses aides à des festivals, à de la création, à de l’éducation artistique et culturelle, qui sont par ailleurs des missions que poursuit aussi le CNM. Il est donc aujourd’hui très important de stabiliser ce dispositif. S’il est menacé, c’est tout l’ensemble de ce cercle vertueux qui sera mis en péril.
Venons-en aux sources de financement du CNM. Les besoins méritent incontestablement d’être discutés pour éviter de laisser penser que certains chercheraient à capter la valeur du streaming à leur profit exclusif, au détriment des autres. Je pense que c’est ce qui a quelque peu empoisonné le débat ces dernières semaines, alors qu’aucun inventaire précis des besoins n’a été fait, même si le CNM a déjà avancé sur la question. Il est donc indispensable de définir ces besoins. C’est un préalable.
Une fois les besoins déterminés, il faudra définir les modalités d’une possible taxe sur le streaming. La question est ouverte. Pas besoin d’être expert en matière musicale pour savoir que le streaming est aujourd’hui la source principale de revenus et de croissance de la musique enregistrée. C’est donc un gisement, mais ce n’est peut-être pas le seul. Il faudra donc s’interroger sur d’autres sources de financement. On a parlé de la taxe sur les objets connectés. Pourquoi pas, à partir du moment où elle ne vient pas percuter le principe de rémunération pour copie privée, ce qui ne servirait à rien puisque les deux taxes s’annuleraient.
Je suis ouvert à des contributions. J’observe que les diffuseurs traditionnels sont des contributeurs massifs au financement du Centre national du cinéma (CNC). Pourquoi ne le seraient-ils pas pour le CNM ? La question mérite d’être posée, même si je ne dis pas qu’il faut le faire.
Si l’on devait aller vers une taxe sur le streaming – option intéressante, je tiens à le préciser –, il faudrait tenir compte de plusieurs paramètres. En premier lieu, cette taxe devrait s’appliquer à tous les acteurs du streaming. J’observe d’ailleurs un consensus autour d’une contribution sur le streaming au sein de la filière, mais il existe de vifs désaccords sur les modalités de mise en œuvre de cette taxe. Pour nous, il est essentiel que les plateformes de partage de contenus – YouTube, TikTok, Facebook – contribuent à cette taxe, si taxe il devait y avoir. Il est inenvisageable d’octroyer un avantage concurrentiel à des plateformes qui rémunèrent très mal la création.
Le Groupement européen des sociétés d’auteurs et compositeurs (GESAC) a publié une étude il y a deux semaines. D’après les chiffres, qui sont concordants avec les nôtres, un million de streams sur une plateforme comme YouTube ne représentent que 100 euros en droits d’auteur. En moyenne, quatre auteurs-compositeurs participent à une chanson. Pour un million de streams, vous vous partagez cinquante euros à quatre. C’est le niveau de rémunération d’une plateforme financée exclusivement par la publicité.
Ce niveau augmente évidemment lorsque vous avez un abonnement payant. Il est en moyenne de 1 200 euros pour un million de streams et peut aller, pour un abonnement individuel, jusqu’à 2 000 euros. Sur les plateformes de partage de contenus qui appartiennent à des mastodontes du numérique, c’est à peine 200 euros. Ces plateformes doivent donc participer au financement du CNM.
Se pose donc la question de savoir si les plateformes éditorialistes pourraient également participer. C’est une question d’équité et de logique : à partir du moment où on embrasse le streaming il faudrait prendre toutes les formes en compte et avoir une taxe affectée sur l’ensemble des revenus.
Je pense qu’il est important que le spectacle vivant, au sein de la filière musicale, ne soit pas le seul contributeur du CNM. C’est essentiel. C’est à la fois une question d’équité, mais aussi d’ambition par rapport à une véritable politique, qui irait bien au-delà des problématiques du spectacle vivant, qui embrassent la musique enregistrée, les plateformes l’innovation, etc. Ce sont là énormément de points transverses.
Selon moi, la priorité reste l’export. Aujourd’hui, grâce au numérique, la Sacem a la capacité d’appréhender des revenues à l’export, ce qui était une illusion il y a quelques années. Un artiste qui génère des streams dans le monde entier est en capacité d’être rémunéré par sa société d’auteurs. Pour nous, il faudra choisir des priorités parmi tous les enjeux qui ont été cités. On ne peut pas tout faire au même moment, mais cela constitue une formidable priorité qui réunit l’ensemble de la filière et intéresse aussi bien la musique enregistrée que le spectacle vivant.
Nous sommes donc vraiment très favorables à votre mission, monsieur Bargeton, et à regarder dans le détail comment envisager une telle contribution.