Le rapport que nous vous présentons actualise celui que j'avais rédigé en juin 2020 avec la présidente de la Délégation sénatoriale aux entreprises de l'époque, Élisabeth Lamure.
Nous avions alors formulé 18 recommandations, dont certaines ont été relayées par la Plateforme RSE, qui réunit tous les acteurs concernés par ce sujet, mais également par la Convention citoyenne pour le climat.
Ce rapport a été enrichi à l'occasion de notre 6ème Journée des entreprises le 13 octobre 2022, au cours de laquelle les débats ont montré que la RSE était au coeur de la transformation profonde du modèle européen de l'entreprise.
Pendant la crise sanitaire, certaines entreprises ont mis la RSE en pause. Face aux problèmes d'approvisionnement en matières premières, de tensions inflationnistes et salariales, les entreprises pourraient de nouveau être tentées de reléguer leurs efforts en matière de RSE au second plan. Cependant, cette attitude ne serait guère soutenable.
La vice-présidente et porte-parole du MEDEF, Dominique Carlac'h, que nous avons entendue le 20 septembre 2022, a ainsi souligné « qu'une entreprise qui n'inclurait pas dans sa stratégie des sujets comme l'inclusion, la diversité, et l'innovation managériale ne pourrait plus être performante ou attractive ». Pour le MEDEF, la RSE constitue ainsi de plus en plus « un facteur de différenciation et de compétitivité ».
La ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme, Olivia Grégoire, a quant à elle formulé le constat suivant lors de son audition le 4 octobre 2022 par notre délégation et la commission des Affaires économiques : « Avec la performance extra-financière, qui deviendra la norme d'ici à 2025, faute d'un diagnostic environnemental et social, nos PME pourraient être évincées de certains marchés en tant que sous-traitants. Il faut anticiper ce risque systémique ».
Pourtant, la RSE a connu quelques soubresauts pendant la période du déroulement de notre mission, en particulier au printemps dernier.
Le P.D.G. de Danone, société ayant adopté le statut d'entreprise à mission dès mai 2020, a été « démissionné » en mars 2021, à l'initiative de deux fonds d'investissement activistes, défendant la primauté de la création de valeur à court terme sur les engagements RSE.
Elon Musk, P.D.G. de Tesla, a quant à lui qualifié sur Twitter l'ESG de « vaste arnaque » et « d'escroquerie », suite à l'expulsion en mai 2022 de sa société de l'indice S & P Dow Jones 500, en raison de l'existence de plaintes pour discrimination raciale contre celle-ci, de l'opposition de sa direction à la création de syndicats et de sa gestion d'une enquête gouvernementale après des accidents liés à ses véhicules à pilotage automatique.
The Economist, dans son édition du 23 juillet 2022, a considéré que les investissements ESG étaient devenus « une mode ».
En octobre 2021, le rapport de M. Bris Rocher, consacré au bilan de la loi PACTE, a pointé un risque de « purpose washing », c'est-à-dire d'affichage d'une raison d'être, d'une mission ou d'un engagement social et environnemental, sans que cela soit sincère, effectif et transparent - l'écoblanchiment ou « greenwashing » existant également.
En juillet 2021, une enquête BVA a indiqué que 69 % des salariés considéraient la raison d'être de leur entreprise avant tout comme une « opération de communication » ; et que 46 % des dirigeants considéraient les changements statutaires associés comme « de l'affichage ne garantissant en rien que l'entreprise s'engage vraiment ».
Enfin, un rapport de l'Inspection générale des finances de décembre 2020 a exigé une évolution radicale du label public ISR (Investissement socialement responsable), sous peine d'exposer celui-ci à « une perte inéluctable de crédibilité et de pertinence ».
Depuis les Accords de Paris de 2015, la France veut des entreprises exemplaires en matière de RSE. Cependant, notre pays demeure classé 154ème sur 163 pays pour le respect des Objectifs du Développement Durable en matière climatique, en raison d'externalités négatives. Ces externalités sont notamment dues à notre niveau élevé d'importations ; ces dernières représentent près de la moitié de nos émissions de carbone - ce constat rejoignant celui fait par la mission de notre délégation sur le commerce extérieur.
Depuis notre rapport de 2020, nous avons assisté à un véritable tsunami d'obligations ou de demandes d'informations, qui pèsent en théorie sur les grandes entreprises mais également sur beaucoup de PME dès lors que celles-ci sont prises dans la chaîne de valeur.
Le règlement SFDR, destiné à mesurer l'impact ESG des investissements, concerne surtout le secteur financier mais entraine des conséquences pour les entreprises en renforçant les besoins d'informations extra-financières des investisseurs. Même pour les acteurs du secteur financier et les gérants d'actifs, la complexité et le calendrier accéléré de mise en oeuvre de ce règlement représentent un défi.
La taxinomie européenne, pilier central du Plan d'action pour la finance durable de l'Union européenne de mars 2018, constitue quant à elle un véritable dictionnaire de durabilité pour orienter les investissements, sur lequel s'adossent de nombreuses législations, comme la directive NFRD et la prochaine directive CSRD (toutes deux porteuses d'obligations en matière de reporting extra-financier) ou encore le règlement SFDR précédemment cité. Ces réglementations obligent ou sont appelées à obliger les différents acteurs économiques et financiers à publier des informations quant à la part durable sur le plan environnemental de leurs activités, sur la base des critères de la taxinomie.
La directive CSRD, devant être examinée par le Parlement européen le 9 novembre 2022, a vocation à harmoniser et à standardiser le reporting ESG, comme l'avait demandé notre délégation dans son précédent rapport. La mise en oeuvre et l'applicabilité aux entreprises de cette directive soulève toutefois des préoccupations. Cette directive est appelée à multiplier par cinq le nombre des grandes entreprises et ETI concernées par le reporting ESG en Europe, mais impactera également indirectement les PME situées dans leur chaîne de valeur. Elle est ainsi appelée à accroître la quantité d'informations à publier par les entreprises - informations qui devront être certifiées par un tiers indépendant, autour du concept de double matérialité (financière et non financière).
Après la loi française de 2017, une proposition de directive pourrait par ailleurs assujettir au devoir de vigilance les entreprises de plus de 500 salariés. Le Sénat, dans sa résolution du 1er août 2022, a demandé le doublement de ce seuil. L'imprécision du champ d'application de cette directive et de la définition retenue de « relation commerciale établie » inquiète, à juste titre, les PME.
Avec l'affichage environnemental puis l'affichage social, deux nouvelles obligations font descendre le référentiel RSE de l'entreprise, dans sa globalité, vers ses productions de biens agricoles ou manufacturés. Outre les difficultés méthodologiques, les entreprises sont confrontées à une incertitude quant au coût de ces nouvelles obligations.
Enfin, le bilan des émissions de gaz à effet de serre, pratiqué depuis 2010 par les entreprises de plus de 500 salariés, a été étendu, d'une part, aux entreprises de plus de 50 salariés bénéficiant d'une aide dans le cadre du plan de relance (sous forme simplifiée) et, d'autre part, à celles de plus de 250 salariés, lesquelles devront par ailleurs intégrer l'ensemble de leurs émissions indirectes.