Notre conviction est que la RSE doit être un atout pour les entreprises et non un handicap. Or nos entreprises se heurtent aujourd'hui à un défaut d'harmonisation en la matière, au sein de l'Union européenne et vis-à-vis du reste du monde, dans un environnement compétitif dégradé par la crise énergétique.
Les normes RSE ne doivent pas créer un décalage compétitif supplémentaire particulièrement dommageable entre les entreprises européennes et extra-européennes. Il faut donc engager résolument un chantier non seulement d'harmonisation mais aussi de simplification en la matière, y compris pour limiter les rentes de complexité se développant au gré de l'inflation des normes et aux dépens des entreprises.
Dans son rapport de 2020, la Délégation aux entreprises avait demandé un moratoire sur les nouvelles informations extra-financières qui pourraient être demandées aux entreprises. Or l'inverse s'est produit. Le coût de ces nouvelles obligations en matière de RSE pour les entreprises est par ailleurs peu pris en compte.
Même les grandes entreprises paraissent à la peine pour satisfaire ces obligations - l'Autorité des marchés financiers ayant mis en évidence que « très peu d'informations relatives aux impacts du changement climatique apparaissent aujourd'hui dans les états financiers » de 19 sociétés françaises cotées membres du SBF 120. Les PME et ETI sont également inquiètes face à ces nouvelles obligations, même lorsqu'elles pratiquent la RSE sans le savoir.
Dans ce contexte, pour que les entreprises aient une vision claire du coût direct et indirect de ces obligations, notre recommandation n° 1 serait que l'État réalise et publie une étude d'impact du coût financier et organisationnel de leur cumul, par catégorie d'entreprises.
Face au choc de complexité annoncé en matière de reporting, notre recommandation n° 2 serait de poser, dans le cadre de la transposition de la future directive CSRD, un principe de proportionnalité du contenu des informations extra-financières demandées aux entreprises, en fonction de leur taille et de leurs moyens - ce principe ayant déjà été posé dans la résolution du Sénat du 1er août 2022 pour ce qui concerne le devoir de vigilance.
Dans le cadre de l'expérimentation du nouvel affichage social prévu par la loi Climat, nous demeurerons attentifs au coût de celui-ci pour les PME, ainsi qu'à son articulation avec les autres obligations en matière de RSE.
Pour permettre à toutes les entreprises de répondre aux exigences de la future directive CSRD, notre recommandation n° 3 serait d'accompagner les ETI et PME par une simplification des normes et une approche sectorielle différenciée. Notre recommandation n° 4 serait d'appliquer progressivement les nouveaux référentiels RSE dans les ETI et PME, après avoir confié la réalisation d'un test d'opérationnalité à un tiers indépendant. Notre recommandation n° 5 serait d'assurer un traitement identique de reporting pour les entreprises non européennes.
Actuellement, il est prévu que seules les entreprises non européennes au chiffre d'affaires net supérieur à 150 millions d'euros et exerçant une activité au sein du marché unique européen doivent publier un reporting sur leurs impacts ESG. Or il conviendrait que les entreprises non européennes soient soumises aux mêmes obligations de publication d'informations que les entreprises européennes de même taille. L'enjeu sera par ailleurs de veiller à ce que la vérification dans les pays non européens par des tiers indépendants soit robuste. À défaut, les PME européennes risquent d'être handicapées pour la préservation de leurs parts de marché ou la conquête de nouveaux marchés, au sein comme en dehors de l'Union européenne.
Pour les entreprises de l'Union européenne, la RSE a vocation à constituer un outil de différenciation. Les normes européennes en la matière sont les plus en avance. L'enjeu serait donc de préserver leur souveraineté et de défendre l'autonomie de l'Europe dans leur définition, au risque de voir, comme pour les normes financières, une harmonisation s'opérer sur la base de standards nord-américains, dans un contexte de rachat massif des agences de notation européennes par des fonds américains.
La directive CSRD est appelée à élargir le champ d'application des normes RSE à de nombreuses entreprises, dont un certain nombre d'ETI (avec un seuil ramené à 250 salariés) et de PME (indirectement, de par leur inclusion dans la chaine de valeur des entreprises assujetties).
Dans ce cadre, il est positif que la crédibilité des informations extra-financières puisse être renforcée et qu'une plus grande ouverture de ces données puisse être envisagée. Toutefois, les entreprises font valoir le risque de devoir divulguer des informations commercialement sensibles alors que leurs concurrents non européens ne sont pas contraints au même degré de transparence.
Avec une mesure de la performance au regard du principe de durabilité ou de soutenabilité, la stratégie économique des entreprises devra par ailleurs s'aligner sur la résilience de leur modèle. Leurs plans devront garantir la compatibilité de leur stratégie et de leur modèle avec la transition vers une économie durable et neutre sur le plan climatique, en cohérence avec les objectifs de l'Accord de Paris de limitation du réchauffement planétaire à 2°C maximum à l'horizon 2100.
L'efficacité de cette directive destinée à concrétiser le concept de RSE sera conditionnée à l'établissement de normes européennes d'information en matière de durabilité, avec un risque de concurrence entre les standards européens et nord-américains.
Pour préserver l'autonomie de l'Union européenne en la matière, notre recommandation n° 6 serait de confier l'évaluation de ces normes à l'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA), comme le préconisait déjà le rapport de la Délégation de 2020.
Notre recommandation n° 7 serait de poursuivre le dialogue avec les entités nord-américaines chargées de la normalisation RSE, en veillant à ne pas renoncer au concept de double matérialité financière et extra-financière, permettant d'analyser à la fois l'impact des risques ESG sur l'entreprise et l'impact de l'entreprise sur la société.
L'entreprise de demain qui réussit pourra ainsi être celle qui met la question de son impact positif au coeur de sa gouvernance.