Intervention de Franck Menonville

Commission des affaires économiques — Réunion du 5 octobre 2022 à 9h30
Proposition de loi en faveur du développement de l'agrivoltaïsme — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Franck MenonvilleFranck Menonville, rapporteur :

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui présente un grand intérêt, car elle propose, pour la première fois, d'appliquer une orientation stratégique, un cadre légal et un dispositif budgétaire à l'agrivoltaïsme.

Elle se compose d'un article unique, créant un cadre global et cohérent pour accompagner le développement raisonné de l'agrivoltaïsme, encourager les projets alliant véritablement production électrique secondaire et production agricole principale, tout en prévenant le risque de conflits d'usage et d'essor incontrôlé de « projets alibis ».

Pour ce faire, sont proposées dans son article unique les évolutions suivantes.

Un objectif de développement des installations agrivoltaïques s'ajoute aux objectifs énergétiques nationaux, figurant à l'article L. 100-2 du code de l'énergie.

Les installations agrivoltaïques sont définies comme des installations solaires permettant de maintenir ou de développer l'activité agricole. Elles doivent garantir une production significative et un revenu durable aux agriculteurs. Ces installations doivent poursuivre directement deux services, sans porter une atteinte substantielle à un service ou une atteinte limitée à deux services. Ces services sont : l'amélioration du potentiel agronomique ; l'adaptation au changement climatique ; la protection contre les aléas ; l'amélioration du bien-être animal. Démontables, ces installations doivent respecter l'agriculture comme activité principale.

L'article applique à ces installations une obligation d'achat et une procédure de mise en concurrence spécifiques. Il permet aux parcelles agricoles présentant de telles installations de bénéficier des aides issues de la politique agricole commune (PAC). De plus, il offre à ces installations une autorisation de principe au titre du code de l'urbanisme, sous réserve d'un avis systématique des commissions départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF). En contrepartie, il prévoit des garanties financières, pour assurer le démantèlement et la remise en état des sites.

L'essor de l'agrivoltaïsme rend ces dispositions non seulement utiles, mais nécessaires. Ce type de solutions technologiques innovantes permet de développer la production d'énergies renouvelables en zones rurales, en conciliant celle-ci avec les activités économiques traditionnelles, à commencer par l'agriculture.

L'agrivoltaïsme est porteur d'externalités positives pour nos agriculteurs, à qui il apporte une diversification d'activités et un complément de revenus. Il offre également une protection des cultures ou du bétail contre les aléas, tels que les précipitations, les sécheresses ou encore les ravageurs.

Pour autant, s'il n'est pas suffisant régulé, l'agrivoltaïsme présente des risques en matière d'artificialisation ou de renchérissement du foncier agricole, avec de potentiels conflits d'usage entre productions électrique et agricole. Parmi les projets, tandis que certains apportent une valeur ajoutée en matière agricole, d'autres ne sont que des « projets alibis » ne respectant pas la vocation agricole.

L'agrivoltaïsme s'est déjà bien développé dans nos territoires. Si les ministères de l'énergie et de l'agriculture n'ont pas pu fournir d'éléments chiffrés, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) dénombre 167 projets d'agrivoltaïsme pour 1,3 gigawatt, l'Agence française de normalisation (Afnor) 11 projets certifiés et 7 en cours, et la Commission de régulation de l'énergie (CRE) 55 projets soutenus pour 130 mégawatts.

L'agrivoltaïsme présente un potentiel élevé. Le groupe EDF a ainsi rappelé que 6 gigawatts de projets solaires sont en attente. De son côté, le Syndicat des énergies renouvelables (SER) a indiqué que la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) prévoit de réaliser 33 000 à 44 000 hectares d'installations photovoltaïques d'ici à 2028, ce qui correspondrait au maximum à 0,06 à 0,1 % de la surface agricole utile (SAU). À plus long terme, France agrivoltaïsme évalue le potentiel des projets entre 60 et 80 gigawatts, répartis sur 20 000 à 30 000 exploitations en 2050, l'équivalent de 80 000 à 120 000 hectares.

Dans ce contexte, seul un encadrement légal clair peut permettre de promouvoir les bonnes pratiques et de réprimer les mauvaises, de manière à ce que l'agrivoltaïsme se développe toujours au bénéfice des agriculteurs -- il y a là un sujet majeur d'acceptation sociale et territoriale.

C'est pourquoi je vous propose d'adopter la proposition de loi, que j'ai entendu consolider par neuf amendements - acceptés par l'auteur du texte et son groupe.

La cinquantaine de personnes que nous avons entendues, au cours d'une vingtaine d'auditions, nous ont convaincus de la nécessité de ces amendements.

Je rappelle que nous avons auditionné les organisations professionnelles agricoles, les professionnels des énergies renouvelables, les associations d'élus locaux et les services de l'État. Nous avons également entendu l'Ademe, qui a conduit un travail de définition, et l'Afnor, qui a mené un travail de certification. Ces travaux, récents et consensuels, font autorité. Nous les avons donc utilisés.

Dans ce contexte, les amendements COM-1 et COM-3 viseront à compléter l'objectif et la définition de l'agrivoltaïsme, dans un sens plus respectueux des travaux de l'Ademe et des intérêts des agriculteurs. Il me paraît crucial que cette définition intègre la notion de réversibilité et soit assortie de modalités de suivi, de contrôle et de sanction. De plus, la notion d'activité agricole principale doit pouvoir être appréciée, non seulement au regard de l'emprise au sol, mais aussi de la production ou du revenu. Je souhaite également que toutes les modalités d'application réglementaires soient définies conjointement avec les acteurs agricoles.

Mes amendements COM-2, COM-4 et COM-5 tendent à consolider l'obligation d'achat et la procédure de mise en concurrence spécifiques, en veillant à leur conformité avec le droit de l'Union européenne. En effet, les lignes directrices concernant les aides d'État à l'énergie n'autorisent un tel soutien que pour les installations inférieures à 1 mégawatt ou, lorsqu'elles sont détenues par des PME ou des communautés d'énergie renouvelable, à 6 mégawatts. Je souhaite par ailleurs éviter tout doublon avec le droit commun et appliquer les mêmes dispositions de contrôle et de sanction.

En matière d'urbanisme, mon amendement COM-7 vise à revenir sur l'autorisation de principe, qui ne serait pas respectueuse des pouvoirs des élus locaux. À la place, j'entends consolider les dérogations existantes et prévoir l'avis systématique des CDPENAF.

Sur les autres sujets, mon amendement COM-6 confortera le bénéfice de la PAC -- notamment en vue de la PAC 2023-2029 - et mon amendement COM-8 en fera de même pour les garanties financières.

Enfin, mon amendement COM-9 complètera la proposition de loi pour renforcer la territorialisation des projets. Je souhaite que l'agrivoltaïsme soit intégré à la planification, nationale comme locale, et que les élus locaux soient informés au préalable de la mise en oeuvre des projets.

Je forme le voeu que cette proposition de loi, portée par le sénateur Jean-Pierre Decool et traduisant sur le plan législatif la résolution adoptée, le 4 février dernier, à l'initiative du président Jean-François Longeot et du sénateur Jean-Pierre Moga, prospère.

Elle arrive au bon moment, à l'heure où le foisonnement de projets conduit les acteurs de terrain à demander une clarification.

Elle intervient par ailleurs en amont du projet de loi du Gouvernement relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, ce qui offre au Sénat une chance d'imprimer sa marque et d'enrichir le texte à venir de ses travaux.

Je vous propose donc d'adopter cette proposition de loi, ainsi amendée dans le sens d'une plus grande précision de la définition de l'agrivoltaïsme, de ses mécanismes de soutien ou de ses procédures d'autorisation, dont la ligne directrice est la primauté des intérêts agricoles et la préservation des compétences locales.

Avant de procéder à l'examen des amendements, conformément au vade-mecum sur l'application des irrecevabilités en application de l'article 45 de la Constitution, adopté par la conférence des présidents, il nous revient d'arrêter le périmètre indicatif de la proposition de loi.

Sont susceptibles de présenter un lien, même indirect, avec le texte déposé les dispositions relatives : aux objectifs en matière d'agrivoltaïsme ; à la définition de l'agrivoltaïsme ; aux dispositifs de soutien public de l'agrivoltaïsme, ainsi qu'à leurs modalités d'attribution ; aux régimes des autorisations liés aux projets d'agrivoltaïsme ainsi qu'aux attributions de la CDPENAF dans ce domaine ; au régime des garanties financières des installations d'agrivoltaïsme ; aux modalités de prise en compte des installations d'agrivoltaïsme dans les conditions d'attribution des aides de la politique agricole commune (PAC).

Il en est ainsi décidé.

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