Intervention de Marc-Antoine Eyl-Mazzega

Commission des affaires économiques — Réunion du 13 octobre 2022 à 9h00
L'énergie : des enjeux stratégiques pour l'union européenne — Audition de Mm. Marc-Antoine Eyl-mazzega directeur du centre énergie et climat de l'institut français des relations internationales ifri thomas pellerin-carlin directeur du programme europe de l'institut de l'économie pour le climat i4ce mmes maría eugenia sanin maître de conférences en sciences économiques à université d'évry-val d'essonne et tatiana marquez uriarte membre du cabinet de la commissaire européenne à l'énergie

Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du centre énergie-climat de l'Institut français des relations internationales :

En France, nous avons passé dix ans à ne pas savoir sur quel pied danser : on ne voulait plus vraiment relancer le nucléaire et on ne voulait pas non plus avancer clairement vers les énergies renouvelables. Cet état d'esprit se répercutait dans les instances communautaires. Certains pays, notamment l'Allemagne ou l'Autriche, avaient une vision très claire, ce qui leur a permis de se faire entendre : du gaz russe pas cher en complément des énergies renouvelables avec un basculement à terme vers l'hydrogène. Une partie du cabinet de la présidente de la Commission européenne reflète encore cela.

Désormais, la France, ainsi que d'autres pays européens, ont une vision plus claire : il nous faut du nucléaire pour sortir du charbon. Cette nouvelle approche doit être prise en compte à Bruxelles, mais il reste du chemin à parcourir...

En ce qui concerne la relation bilatérale entre la France et l'Allemagne, chacun doit reconnaître que l'Allemagne s'est trompée, mais que cela a un impact sur nous et que notre sécurité d'approvisionnement électrique dépend très largement d'elle depuis quelques mois, donc de la relance du charbon et du gaz.

Nous sommes aussi plus dépendants de l'Espagne. Je souligne d'ailleurs que l'Allemagne et l'Espagne produisent en 2022 beaucoup plus d'électricité à partir de gaz que les années précédentes, en particulier du fait des difficultés françaises.

Nous devons aussi dire aux Allemands que le nucléaire français n'est plus surpuissant et que nous devons investir fortement ensemble dans les énergies renouvelables, en particulier dans les projets d'éolien en mer. Dans le même temps, ils doivent comprendre que nous attendons d'eux des positions plus neutres sur des dossiers essentiels pour nous.

La position française de rejet du projet de gazoduc MidCat nous isole complètement de nos partenaires espagnols et allemands. Du coup, l'Italie, pragmatique, sort du bois et fait valoir la capacité de ses infrastructures, actuelles ou à venir, à faire face aux besoins. Il y a donc une question de posture et, actuellement, nous sommes très isolés en Europe. Nous devons comprendre les dynamiques qui sont à l'oeuvre. Les Allemands estiment qu'une partie des émissions de cette année sont destinées à servir la France en électricité.

Par ailleurs, je suis d'accord avec le constat selon lequel nous ne sommes plus un modèle pour le reste du monde et je trouve cela extrêmement préoccupant. Les Européens étaient perçus comme très ambitieux sur ces sujets, en particulier en ce qui concerne la fin des énergies fossiles, mais ils subissent aujourd'hui un choc économique majeur. En fait, nous sommes vulnérables à la fois sur les énergies renouvelables, qui n'ont pas été suffisamment développées, et sur les énergies fossiles.

Pour autant, nous disposons d'atouts. Nous pouvons montrer aux autres pays une vision de long terme et intégrée, mais nous devons encore la consolider. Il est envisagé d'aider à fermer les centrales à charbon avant la fin de leur durée de vie technique : c'est une grande opportunité pour nos entreprises. Garder un mix avec du charbon ne pourra que diminuer la compétitivité des pays concernés, tout en ne résolvant pas la question de la pollution. Notre force, pour demain, est de réussir à montrer que nous sommes capables de réaliser l'intégration des marchés : la plupart des pays du monde ne sont pas intégrés avec leurs voisins d'un point de vue des réseaux électriques. À ce titre, l'UE est un modèle à leur proposer. Qui plus est, nous sommes parmi les seuls à pouvoir mobiliser des capitaux moins chers que le marché, ce qui est intéressant dans un contexte de remontée des taux d'intérêt.

La stratégie extérieure du Green Deal reste à construire concrètement. L'Europe a de véritables opportunités, mais nous devons être conscients que certains de nos grands partenaires traditionnels parmi les pays émergents restent attirés par des promesses russes de livraisons d'armes ou de céréales, ce qui est tout de même préoccupant.

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