Intervention de Jean-Pierre Sueur

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 2 novembre 2022 : 1ère réunion
Avenir institutionnel de la nouvelle-calédonie et projet de loi de finances pour 2023 — Audition de M. Gérald daRmanin ministre de l'intérieur et des outre-mer et M. Jean-François Carenco ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer chargé des outre-mer

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

Je dois vous dire que je garde un excellent souvenir de la délégation que nous avons conduite avec François-Noël Buffet et Philippe Bas en Nouvelle-Calédonie, avant l'été. Nous y avons mené 42 auditions pour entendre, avec une certaine humilité comme l'on dit là-bas dans la coutume, ce qui était dit. Nous avons eu le sentiment, comme le souligne notre rapport d'étape, qu'en dépit des oppositions, il y avait des possibilités de rapprochement : les différents leaders de la Nouvelle-Calédonie se connaissent très bien - et finalement il y a le discours, les postures, et puis il y a aussi ces fils mystérieux qui font que petit à petit les choses peuvent évoluer. À cet égard, je suis en total accord, ce n'est pas un hasard, avec ce que vient de dire Philippe Bas, et je dois dire que nous avons connu des moments difficiles au mois de juillet et encore récemment. Jean-François Carenco, nous vous connaissons depuis longtemps et nous connaissons votre sens du dialogue et même votre empathie avec les personnes avec lesquelles vous parlez. Mais vous avez quand même dit lors de votre dernier déplacement, - j'ai là le verbatim - devant une délégation, le matin : « il n'y aura pas de référendum de projet en juillet ou septembre 2023 ». Les gens ont alors compris qu'il n'y aurait pas de référendum. Puis, l'après-midi, devant d'autres interlocuteurs, vous avez dit : « Ce référendum de projet, il a toujours été question qu'il ait lieu, il n'y a aucun sujet là-dessus, le référendum de projet c'est une évidence. » Je vois votre sens du dialogue, je ne le conteste pas, simplement la réalité, c'est que, comme l'a dit d'ailleurs Philippe Bas, il n'est pas possible qu'il y ait un référendum à court terme. Il ne peut y avoir de référendum spécifique à ce territoire que si nous changeons la Constitution. Or, si vous pensez que les conditions politiques sont réunies pour que le Sénat et l'Assemblée nationale votent dans les mêmes termes un texte qui serait soumis au Congrès d'ici la fin 2023, je crois que c'est quelque peu utopique.

Ensuite, et il faut « parler vrai », comme le disait Michel Rocard. Un événement pèse lourd dans ce dossier : la nomination au Gouvernement de Mme Sonia Backès. Nous pensons, nous avons dit et écrit, encore récemment, qu'il nous paraissait que, pour avancer, le Gouvernement devait être impartial. C'est une position ; on peut considérer que le Gouvernement doit être partial. Mais jusque-là, et notamment pour le troisième référendum, le Gouvernement a tenu à une certaine impartialité. C'est nécessaire si l'on veut que les points de vue se rapprochent. Or, vous avez dans le Gouvernement, à vos côtés, une personne tout à fait estimable, mais qui est le fer de lance de l'une des parties et qui déclare, notamment dans la presse, que naturellement être membre du Gouvernement ne l'empêchera pas, s'il y a deux parties qui dialoguent, d'être clairement dans l'une des parties. Alors là, on ne comprend pas très bien. Et vous savez très bien, je ne vous l'apprends pas, que les indépendantistes n'ont pas été insensibles à la situation ainsi créée.

Je ne demande rien à votre collègue du Gouvernement, je ne demande même pas qu'elle démissionne de son poste de présidente de la province sud, conformément à ce qu'ont fait certains de vos collègues du Gouvernement, c'est son libre choix. Mais il me semble que si le Gouvernement est impartial, veut être impartial, se dit impartial, il faut peut-être régler cette question. Peut-être que l'intéressée peut faire des déclarations en disant qu'elle se retire du dossier ou qu'elle fait preuve d'impartialité ? Nous avons vu comment les choses se sont passées lors de la réunion à Paris où les indépendantistes n'étaient pas représentés puisque M. Lalié, que nous avons-nous-mêmes reçu, comme tous les interlocuteurs présents à Paris, nous a dit qu'il n'était là qu'en tant que président de la province des îles. Nous pensons qu'il y a là peut-être un préalable à lever de manière à ce que, lorsque vous vous rendrez à nouveau en Nouvelle Calédonie les groupes de travail soient acceptés par les deux parties, et que par un dialogue bilatéral puis, je l'espère, par un dialogue trilatéral, on puisse avancer.

Comment avancer ? La question du référendum « de projet » est un chiffon rouge qui ne sert à rien, puisqu'il est impossible de le mettre en place à court terme. Il me semble, en revanche, que la question du régime électoral est une vraie question, mais elle demande du temps, de la précaution pour arriver à avancer parce qu'on ne peut pas rester dans cette situation. On a pu critiquer les accords de Paris et les accords de Nouméa, mais ils ont permis une certaine paix, un vivre-ensemble. Je crois qu'il faut repartir sur un chemin pour vivre ensemble en partant des réalités économiques, sociales et culturelles, coutumières, en avançant petit à petit sur ces sujets, peut-être en s'appuyant sur les maires dont nous avons pu comprendre là-bas à quel point ils étaient des hommes et des femmes de dialogue. Il y a un chemin mais il y a deux écueils. Une chose est impossible : c'est dire qu'il n'y aura plus de rapport culturel extrêmement fort entre la Nouvelle-Calédonie et la France. Je pense que personne, y compris parmi les indépendantistes, ne demande que le lien soit coupé. Et en même temps, il faudra des signes pour marquer l'autonomie et la spécificité de la Nouvelle-Calédonie. Par exemple, la question de l'autodétermination a toujours été présente dans le processus. Il me semble qu'entre ces deux points, il y a un chemin, sans doute étroit, mais je souhaite de tout coeur que vous puissiez avancer sur ce chemin.

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