Intervention de Gérald Darmanin

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 2 novembre 2022 : 1ère réunion
Avenir institutionnel de la nouvelle-calédonie et projet de loi de finances pour 2023 — Audition de M. Gérald daRmanin ministre de l'intérieur et des outre-mer et M. Jean-François Carenco ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer chargé des outre-mer

Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer :

Je transmets à votre commission ce document, que je vais communiquer dans les heures qui viennent à vos collègues députés, qui est la ventilation des 15 milliards d'euros de crédits de la Lopmi pour les cinq années à venir sur les différentes missions budgétaires concernées. Il peut se passer bien des choses en cinq ans, mais vous avez là le document que je vous avais promis en séance plénière dans le débat sur la Lopmi.

Des brigades de gendarmerie, ensuite, on peut en créer entre 20 et 70 nouvelles l'an prochain, mais tout dépend desquelles on parle, car les gendarmes, il faut les loger, avec leurs familles - les situations sont très différentes selon qu'il faut rénover ou construire des bâtiments, équiper telle brigade équestre ou telle brigade fluviale qu'on me demande en Guyane sur l'Oyapock ou le Maroni... tout cela dépend des projets, des lieux, des conditions. En tout cas, nous pouvons compter sur les effectifs que j'ai indiqués, de 380 par an.

Sur la question de l'ADA, le montant proposé ne comprend pas les montants versés aux ukrainiens parce que si, effectivement, ils touchent cette allocation, ils sont aussi plus nombreux à travailler que les demandeurs d'asile classique puisqu'ils y ont droit dès leur premier jour sur le territoire. Nous adaptons donc le montant des crédits, et nous constatons d'ailleurs que le flux d'entrants est désormais inférieur aux sortants, en particulier du fait du nombre de personnes qui retournent dans les zones moins touchées par le conflit ou dans les pays limitrophes. Je ne partage donc pas le constat qu'il y en aura de plus en plus sauf en cas d'évolution du conflit. Nous avons donc convenu avec le ministère des comptes publics d'adapter nos prévisions pour cette allocation s'agissant des Ukrainiens, nous avons dépensé à ce titre 244 millions d'euros pour les Ukrainiens, nous pourrons intégrer ces crédits en gestion pour cette année. Quant au délai de traitement des demandes d'asile, on est en 2022 à 140 jours et il devrait encore baisser. Cela ne fait pas la une des journaux, alors même que c'est une prouesse administrative, mais nous sommes le pays qui traitons le plus rapidement les demandes d'asile dans l'Union européenne, grâce au recrutement de quelque 200 contractuels supplémentaires que vous avez accordés à l'Ofpra.

Sur les OQTF, ce débat est très important démocratiquement. Chacun commente un taux d'exécution que personne ne connait. Les chiffres utilisés pour ce taux d'exécution ne reposent sur aucune réalité statistique. Car que fait la presse quand elle le calcule, et produit un chiffre que nous, les politiques, reprenons collectivement sans y regarder de plus près ? Elle rapporte le nombre des OQTF prononcées par les préfectures dans une année pleine au nombre d'exécution de ces OQTF - pour 2021, c'est 120 000 OQTF prononcées. Or, vous savez qu'il y a deux sortes d'exécution des obligations, celles qui sont volontaires, ce qu'avait l'assassin présumé de la petite Lola, et celles qui sont forcées - elles se répartissent pour moitié, donc environ 60 000 chacune. Avec l'an dernier 16 000 reconduites à la frontière effectuées, le pourcentage d'exécution est de moins de 20 %, voire moins si l'on enlève les retours spontanés alors qu'il faut tout prendre.

Cette base n'est pas la bonne d'abord car il y a un décalage temporel, les obligations exécutées ont souvent été prononcées l'année d'avant et il peut y avoir 20 000 à 30 000 OQTF de différence dans cette base, par exemple entre 2020 et 2021. Il y a également le fait que la moitié environ des OQTF contraintes fait l'objet d'un recours judiciaire, qui est suspensif : on demande au ministre de l'intérieur d'exécuter toutes les OQTF, alors qu'une bonne partie fait l'objet d'un recours suspensif - il serait plus honnête de prendre pour base, donc, les OQTF contraintes et de tenir compte des procédures judiciaires : le résultat, alors, c'est plutôt 40 % d'OQTF exécutées, et non pas 6 %, comme on l'entend parfois dire. Enfin, il y a aussi le fait que des gens partent sans nous le dire et c'est pour cela que j'ai demandé que toutes les OQTF soient rentrées dans le fichier des personnes recherchées (FPR). Il y en a beaucoup - c'est le cas, par exemple, de l'assassin présumé de la petite Lola, qui faisait l'objet d'une OQTF sans inscription au FPR. Seules les OQTF pour motifs d'ordre public font l'objet d'une inscription au FPR.

Comment les choses se passent-elles à l'aéroport, quand une personne à qui on a demandé de quitter le territoire, se présente avec son passeport pour rentrer dans son pays : la police des frontières la laisse partir, sans signaler à la préfecture émettrice de l'OQTF que cette personne est partie, sauf si c'est une exécution contrainte, donc accompagnée par un policier. Il y a comme ça des milliers de personnes, peut-être même plus, qui exécutent elles-mêmes leur OQTF de manière volontaire sans que nous le sachions nécessairement. C'est pourquoi je proposerai que toute personne faisant l'objet d'une OQTF soit inscrite dans le FPR : ce sera le moyen pour que son départ soit signalé automatiquement, et puisse être comptabilisé. Il y a, encore, le fait que des personnes partent dans un pays voisin, comme la Belgique, l'Allemagne ou l'Espagne, sans qu'on n'en sache rien puisqu'il n'y a pas de contrôle aux frontières.

Il y a donc bien des personnes qui partent de notre pays et qui continuent d'être considérées comme à expulser. Dans la loi sur l'immigration que nous allons vous présenter avec Olivier Dussopt, nous allons proposer une nouvelle organisation du travail des préfectures, pour que les agents, au lieu de passer beaucoup de temps à contrôler des étrangers qui ne posent aucun problème sur le territoire de la République, se concentrent sur ceux qui font l'objet d'une OQTF, pour contrôler effectivement si cette obligation est respectée, avec des relances répétées et régulières - ce que les agents ne font guère aujourd'hui, faute d'effectifs.

Donc je le répète : oui, on peut atteindre 100 % d'OQTF exécutées, mais si l'on compte ce qui doit l'être, et si l'on réforme les catégories de recours - nous vous proposerons ainsi de passer de 12 à 4 catégories de recours, et de considérer également que le refus d'asile vaut OQTF, avec un délai de 15 jours pour que le tribunal administratif statue sur le refus. Aujourd'hui, nous savons bien que les personnes les plus difficiles à expulser sont les déboutés du droit d'asile. Les choses se passent aujourd'hui ainsi : lorsque l'asile est refusé par l'Ofpra, dans un délai de 6 à 8 mois, le demandeur saisit la CNDA, c'est 9 mois de délai supplémentaire ; la CNDA rejette la demande dans 70 % des cas, le préfet prend une OQTF et il y a encore un recours, donc six mois de plus, et si l'OQTF est confirmée, le demandeur peut encore faire appel devant le Conseil d'État... Au total, les demandeurs peuvent rester jusqu'à deux ans sur le territoire national, avec parfois des naissances, donc une famille en France... Je n'invente rien, le rapport Buffet l'avait déjà en partie souligné. Nous vous proposerons de changer ces règles, et si nous adoptons ce texte nous pourrons, alors, atteindre quasiment les 100% d'OQTF exécutées. Les quelques points manquants seraient le fait des étrangers qui se voient refuser leur laissez-passer consulaire, ou des étrangers non éloignables, du fait que nous n'avons pas de relations diplomatiques avec leur pays d'origine, c'est le cas des Syriens et des Afghans - et je ne sais pas si quelqu'un ici propose qu'on rétablisse nos relations diplomatiques avec les Talibans, mais je n'y suis pas favorable...

La question sera donc de savoir ce que nous faisons des étrangers à qui l'on ne donne pas l'asile, mais qu'on ne peut expulser. Les Allemands ont dans ce cas ce qu'ils appellent une tolérance, avec une protection temporaire qui ne crée pas de droit et qui prend fin lorsque la personne redevient expulsable - nous en reparlerons dans le projet de loi sur l'immigration. Quoiqu'il en soit, nous avons augmenté les reconduites à la frontière de 20 % cette année et, en attendant les mesures que nous vous proposerons prochainement, j'ai demandé à la direction générale des étrangers en France et à l'Insee de travailler sur les statistiques disponibles, c'est nécessaire pour éviter de nourrir les fantasmes sur ces questions.

Le titre de séjour pour les métiers en tension est tout le contraire de la régularisation massive telle qu'elle a été pratiquée par les circulaires Chevènement ou Valls. D'abord, ces régularisations nous les faisons depuis 10 ans : nous régularisons à peu près 30 000 personnes par an, 23 000 au titre de la vie privée et familiale, et 7 000 par la régularisation d'un travail au noir, et quand nous le faisons, la régularisation est ad vitam. Alors que le titre de séjour pour les métiers en tension, lui, est délivré pour un an, et tant que le métier est effectué. Rien à voir, donc, avec la régularisation massive. J'ai d'ailleurs invité le président des sénateurs LR pour expliciter notre projet puisque nous allons faire de grandes consultations. Ensuite, on ne peut pas faire comme s'il n'y avait pas de métiers en tension, dans lesquels le patronat demande davantage d'immigration de travail. L'enjeu, dans notre pays, c'est de diminuer l'immigration familiale et d'aller vers une immigration de travail, l'Allemagne a dix points de plus que nous d'immigration de travail, et nous en sommes arrivés là parce que nos titres de séjour sont fondés sur la famille plutôt que sur le travail.

Nous proposons donc de contrecarrer l'automaticité de l'immigration familiale, tout en respectant la Convention européenne des droits de l'homme, bien entendu, donc le regroupement familial. Nous proposerons par exemple un examen de français, parce qu'il faut bien parler notre langue, ainsi qu'un titre spécifique pour le travail. Ce sera aussi une façon de reconnaitre ces sans-papiers qui travaillent dans les restaurants, qui nettoient nos bureaux, qui délivrent des repas, qui payent des cotisations et de la fiscalité sans être jamais protégés - on ne peut plus faire comme s'ils n'existaient pas. Nous disons donc qu'il faut lutter fort contre les entreprises qui font faire du travail au noir, le ministre du travail propose même une fermeture administrative, c'est bien plus sévère qu'une amende. En contrepartie nous pourrions discuter des métiers en tension chaque année au Parlement, pour définir des secteurs et le nombre de titres de travail dont ils ont besoin, par exemple 5 000 emplois dans l'hôtellerie-restauration, ou 3 000 médecins et personnels hospitaliers. On pourrait actualiser cette liste et ce nombre chaque année, et ces titres sont tout le contraire d'une régularisation massive puisque quand le métier sera retiré de la liste, la personne ne pourra rester sur le territoire national, nonobstant les droits qu'elle aurait créés dans la vie privée et familiale - nous aurons l'occasion d'en reparler.

Sur les préfectures, nous prévoyons 50 agents supplémentaires l'an prochain, et 400 sur le quinquennat. Je déplore qu'en préfecture, ne viennent plus que des étrangers qui demandent des papiers et des personnes qui, ayant raté leur permis de conduire, demandent à le repasser. Les sous-préfectures accompagnent beaucoup les collectivités territoriales mais les citoyens n'ont plus guère d'autres raisons de se rendre physiquement en préfecture, car nous avons délégué de nombreuses missions aux collectivités territoriales, par exemple la délivrance des papiers d'identité. Donc le service ces étrangers mobilise beaucoup les agents des préfectures, mais je crois que la solution est moins dans l'accroissement des effectifs que dans un changement de méthode. Au lieu de faire en sorte que les agents passent leur temps à contrôler des centaines de milliers d'étrangers qui ne posent aucun problème à la République mais qui doivent renouveler leur titre de séjour et à qui l'on demande de venir faire des heures d'attente en préfecture dans de mauvaises conditions, qui peuvent être vexantes - je pense aux vieux Chibani de Tourcoing, qui ont servi dans l'armée française et qui sont dans ces longues files, parmi tous les autres -, pourquoi ne pas demander aux agents de se concentrer sur les primo-arrivants, pour vérifier qu'ils parlent le français, qu'ils n'ont pas de casier judiciaire, qu'ils ne sont pas suivis pour radicalisation, et sur le suivi des OQTF ? J'ai donc proposé que les centaines de milliers de dossiers étudiés chaque année ne le soient plus manuellement mais automatiquement, avec possibilité bien sûr pour l'État de reprendre la main et de traiter au cas par cas lorsqu'il y a un signalement, ou bien si le casier judiciaire a changé. Cela libèrera des ressources en préfecture pour mieux contrôler les personnes en situation irrégulière et les étrangers délinquants et se concentrer sur leurs autres missions.

Un préfet de région qui ne serait pas aussi préfet de département ne verrait les choses que régionalement, il serait en décalage vis-à-vis de ses collègues préfets de département et déconnecté de l'aspect concret de l'action préfectorale. Le préfet de région, souvent préfet zonal, n'a pas d'autorité sur les préfets de département ; il a juste des dossiers supplémentaires à traiter. Je vous accorde que la fonction est devenue plus lourde avec la création des grandes régions, mais je crois que ce serait une erreur que le préfet de région ne soit plus préfet de département, cela créerait une superstructure, avec un état-major régional, qui renforcerait l'échelon régional - alors qu'il faut renforcer l'échelon départemental, ce n'est pas au Sénat que je vais me retenir de dire que je suis départementaliste...

Je suis très favorable aux conclusions du rapport de Christian Vigouroux, déontologue du ministère de l'intérieur, sur les actes et propos racistes et discriminants au sein de la police - et je suis favorable au changement. Je suis donc prêt à travailler à des amendements sur le sujet, par exemple dans la Lopmi en vue de la CMP. Cependant, entre le titre de presse que vous évoquez, Monsieur Durain, et le contenu du rapport de Christian Vigouroux, il y a un monde - vous noterez d'ailleurs qu'il ne propose pas le récépissé pour le contrôle d'identité. Je suis donc très favorable à ce rapport, je vais le rendre public, le sujet concerne l'ensemble des forces de l'ordre et nous savons aussi qu'il y a des propos racistes à l'encontre de policiers ou gendarmes - « sale traitre » ou « sale arabe » - et aussi des propos entre agents des forces de l'ordre; nous devons avancer sur ce sujet.

Enfin, je veux rassurer sur la sécurité civile. Les sommes dont nous parlons sont en plus de la Lopmi, le montant est net. Et s'il n'y a pas de ligne budgétaire spécifique aux Canadair, c'est parce que, comme l'a dit le président de la République, avant d'acheter des Canadair, il faut recréer l'usine qui les fabrique - et l'achat de ce type d'équipements est couvert à 90 % par des crédits européens, il est donc normal que les crédits ne figurent pas dans le projet de loi de finances.

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