Les auteurs de cette proposition de loi ont également souhaité que l'indépendance des membres du Conseil soit solennellement affirmée. Nous le savons, mes chers collègues, l'indépendance est une vertu qui ne se donne ni ne se décrète. Pour rendre effective la disposition que nous allons voter, il faudra non seulement que les pouvoirs publics ne puissent transmettre d'instruction au Conseil, mais également qu'ils s'interdisent de mettre en cause la qualité et l'objectivité de ses travaux, sans quoi ils mineraient son autorité et constitueraient l'atteinte à son indépendance pourtant redoutée.
Cette affirmation d'indépendance soulève la question de la juste place de l'expert, question, mes chers collègues, que nous éludons trop souvent. Nous ne pourrons requérir une nouvelle délibération au motif que ses conclusions ne nous conviennent pas. Nous ne pourrons supprimer ou modifier à nouveau la structure pour un diagnostic qui nous embarrasse. Nous ne pourrons pas davantage neutraliser un rapport en en diligentant un autre, comme autrefois Teulade chassa opportunément Charpin. Bref, nous ne devrons pas chercher chez l'expert la légitimation de notre manque d'audace, ni lui déléguer notre propre capacité d'innovation.
J'ai bien relevé que les membres du Conseil seront soumis au secret professionnel et, en même temps, qu'ils auront le droit d'exprimer leur divergence avec la solution collective du Conseil. Il s'agit là d'un véritable, comme celui dont dispose le juge à la Cour suprême des Etats-Unis. Nous instaurons ainsi une « collégialité en escalier », chacun étant libre de ne pas franchir la dernière marche s'il ne souscrit pas aux conclusions retenues. Ce choix est celui de l'honnêteté intellectuelle, et je le salue comme tel.
Toutefois, que ne dira-t-on pas si le Conseil adopte un rapport à une voix de majorité et si les récalcitrants, en motivant savamment leur divergence, légitiment un « anti-rapport » au coeur même du rapport ?
Quelle attention le politique portera-t-il aux recommandations d'un Conseil en plein schisme, invité en quelque sorte à choisir entre le pape et l'anti-pape ou, tout simplement, à prendre ses distances au regard d'une expertise qu'il a demandée mais dont il constate qu'elle se perd en conjectures ? Vous connaissez le propos de Milton Friedman, prix Nobel d'économie : « Prenez trois économistes et vous aurez quatre propositions pour la politique à suivre ». Nous ne pouvons, hélas, écarter totalement ce risque !
Au total, je conclurai la première partie de mon propos en observant le grand honneur que fait cette proposition de loi aux finances sociales car, convenons-en, mes chers collègues, elle a surtout pour objet de rassembler une nouvelle fois, dans un champ commun à l'ensemble des finances publiques, les comptes sociaux et ceux de l'État.
Mon second thème de réflexion portera sur la portée de la notion de prélèvements obligatoires.
Rétrospectivement, nous pouvons être surpris de l'attrait nouveau que suscitent les comptes sociaux depuis la création de la loi de financement de la sécurité sociale. Ces comptes figuraient autrefois parmi les masses examinées par le Parlement à l'occasion de l'examen du budget, sans constituer véritablement un enjeu de premier plan. Il est vrai qu'à cette époque l'emprise de l'État sur l'économie était plus étendue et l'examen parlementaire s'exerçait, par priorité, sur d'autres pans de l'action publique.
La création de la loi de financement de la sécurité sociale, en 1996, offrit aux parlementaires l'opportunité d'ouvrir les yeux sur un aspect méconnu, et même délaissé, de nos finances publiques.
Nous avons gagné, dans cette dichotomie, un pilotage plus fin des comptes de l'Etat, d'une part, et des comptes sociaux, d'autre part. Nous avons acquis cette rigueur qui exige que, même en matière sociale, où il est pourtant facile de se laisser aller, l'existence des recettes nécessaires à l'engagement de toute dépense soit préalablement constatée.
Cet acquis est perfectible : « Les pots de confiture ne sont pas encore tous rangés », comme l'avait opportunément souligné, en son temps, l'heureuse formule de Francis Mer. Mais le Gouvernement y met bon ordre et la modification de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale - notre LOLFSS -, que nous examinerons le mois prochain, sera l'occasion de parachever cette importante réforme.
Au moment où l'on consacre la spécialisation du pilotage des finances publiques - Etat d'une part, protection sociale d'autre part - comment doit-on prendre le fait que les propositions de création d'instances ou de débats dédiés à un domaine consolidé se multiplient ?
Je l'interprète personnellement comme une approche des prélèvements obligatoires en tant que simple notion économique sujet d'étude ou de réflexion, à laquelle doit être déniée sans ambiguïté toute portée normative. J'y vois, en quelque sorte, un pont entre deux rives pour nous donner les moyens d'éviter une forme d'autisme entre les deux hémisphères de nos finances publiques, bref comme un nouvel outil pour identifier et éclairer les angles morts et les incohérences de nos choix budgétaires et fiscaux.
Comme telle, je l'accueille avec enthousiasme. Nous conviendrons volontiers, mes chers collègues, que la conjugaison de l'article 52 de la loi organique relative aux lois de finances et l'existence d'un Conseil des prélèvements obligatoires suffira désormais amplement à juger de la cohérence économique de notre politique fiscale au sens large.
Je conclurai en rappelant que l'établissement d'un domaine de réflexion partagé ne doit pas constituer pour nous, a contrario, un prétexte pour faire l'économie des réformes nécessaires à la cohérence normative que la dualité de nos textes financiers - loi de finances d'une part, loi de financement d'autre part - met parfois à mal.
J'ai le sentiment - je crois d'ailleurs qu'il est partagé - que nous n'avons su, ou pu, ou osé, par le passé, assurer une articulation satisfaisante entre la loi organique relative aux lois de finances et la loi organique relative aux lois de financement. Une nouvelle occasion se présentera dans quatre semaines, et j'espère que nous serons nombreux à nous en saisir.
Pour l'heure, sous les réserves que je vous ai exposées, je voterai la proposition de loi présentée par nos excellents collègues Jean Arthuis et Philippe Marini.