Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on ne peut qu'être surpris de l'inscription à l'ordre du jour de cette question orale avec débat sur l'indépendance énergétique de la France.
Non qu'une telle question serait sans intérêt ou manquerait de pertinence, bien au contraire ! Notre indépendance énergétique, résultat du volontarisme politique de l'après-Seconde Guerre mondiale, n'avait en effet jusqu'à présent jamais été autant remise en cause, voire contestée.
A maints égards, cette question sur notre indépendance énergétique est donc opportune, mais elle apparaît quelque peu provocatrice alors que nous avons entamé l'été dernier, dans la plus grande précipitation et la confusion, la discussion d'un projet de loi d'orientation qui concerne précisément ce sujet, le projet de loi d'orientation sur l'énergie.
Dans la plus grande précipitation en effet, puisque quelques jours à peine après son adoption à l'Assemblée nationale, le 1er juin 2004, le projet de loi d'orientation était inscrit à l'ordre du jour du Sénat. Alors que nous ne disposions encore que de « la petite loi », il nous a fallu, en un temps record, en moins d'une semaine, tout d'abord tenter d'apprécier les véritables intentions du Gouvernement sur un projet loi qui devait engager l'avenir énergétique de la France sur le long terme, ensuite analyser les modifications introduites par l'Assemblée nationale et, enfin, tenter de comprendre les raisons des sérieux désaccords entre les commissions des deux chambres, relatifs à l'intégration ou non dans le corps du texte des vingt et une pages annexées au projet de loi d'orientation.
Pour ajouter à la confusion, l'on s'interrogeait encore récemment pour savoir si, finalement, ce projet de loi d'orientation ferait l'objet d'une deuxième lecture ou s'il resterait déclaré d'urgence.
On parle aujourd'hui du mois de mai ou du mois de juin pour la deuxième lecture au Sénat, soit pratiquement un an après l'inscription du texte à l'ordre du jour de la Haute Assemblée. Pourquoi, après tant de précipitation, un si long délai ? Pouvez-vous d'ailleurs nous confirmer, monsieur le ministre, qu'il y aura bien une deuxième lecture sur ce projet de loi d'orientation ?
Cette question orale avec débat est la bienvenue si elle permet au Gouvernement de revoir sa copie afin de ne pas en rester à des déclarations d'intention. En l'état, nous continuons de penser que ce projet de loi d'orientation manque de souffle et de réel volontarisme politique.
Si nous apprécions la décision de relancer le programme civil nucléaire, force est de constater que les efforts effectués dans les autres directions, en matière d'énergie renouvelable, de maîtrise des dépenses d'énergie et de réduction de notre dépendance à l'égard du pétrole, font défaut.
Nous sommes très réservés quant aux certificats d'économies d'énergie, car nous doutons de leur réelle efficacité.
En matière d'énergie verte, les récentes statistiques produites par le Syndicat des énergies renouvelables sont particulièrement alarmantes. La France est en effet loin de pouvoir respecter l'engagement européen de porter à 21 % en 2010 la part d'énergie renouvelable dans sa production d'électricité. Alors qu'elle représentait 18 % en 1990, cette part n'a cessé de se réduire, pour atteindre seulement 13, 5 % en 2003.
L'effort en matière de recherche et développement est indispensable pour renforcer les énergies propres, comme le photovoltaïque. Cela suppose, vous le savez, des moyens financiers et la programmation d'investissements.
Une autre question se pose : quel sort sera-t-il réservé à l'hydraulique dans le projet de loi sur l'eau ?
Le projet de loi d'orientation sur l'énergie ne prévoit pas un réel programme de développement à long terme de notre secteur énergétique et de nos services publics de l'électricité et du gaz, au contraire !
Et pourtant, nous avons besoin d'un projet fondé sur le développement de notre outil industriel à travers une programmation des investissements visant la diversification des sources énergétiques et leur complémentarité à long terme.
Au lieu de sécuriser à long terme nos approvisionnements énergétiques, l'actuel projet de loi ne vise, hélas ! qu'à prendre des dispositions pour s'adapter et gérer les pénuries futures, voire les dysfonctionnements liés à la régulation par le marché. N'oublions pas la crise californienne et la faillite d'Enron.
Enfin, posée par vous, cette question est une provocation à l'égard des électriciens et des gaziers qui manifestaient récemment dans les rues pour défendre leur outil industriel et leur conception du service public alors que l'ouverture du capital d'EDF et de GDF est déjà avancée !
Qui nierait que le caractère public de ces entreprises est l'une des conditions, sinon la condition, de la préservation de notre indépendance énergétique ?
Certes, cette condition n'est peut-être pas suffisante, car elle suppose que la contrainte soit exercée par le volontarisme politique pour orienter le comportement des entreprises publiques ; j'y reviendrai dans un instant. Or, on est au regret de constater - et cela a pu aussi être observé dans d'autres services publics, tels que les services postaux - un retrait inquiétant du volontarisme politique au profit d'une régulation purement marchande.
L'abandon de la maîtrise publique de nos tarifs de l'électricité ou du gaz ne serait-il pas le signe le plus patent de la remise en cause de l'indépendance énergétique que nous avions conquise ?
Nous en savons quelque chose d'ailleurs en ce qui concerne le pétrole. Après le premier choc pétrolier, notre facture pétrolière s'était considérablement accrue, subissant plus la politique du dollar fort que la décision des pays de l'OPEP tentant finalement de se réapproprier la gestion de leurs ressources fossiles.
Allons-nous être condamnés à revivre cette situation, alors que rien n'est réellement fait pour réduire notre dépendance pétrolière extérieure ?
Comment pouvez-vous, par exemple, afficher la volonté de renforcer le rail alors que vous appelez de vos voeux sa libéralisation ? Le secteur des transports, outre qu'il constitue l'une des principales sources de pollution, représente une part très importante de nos importations de pétrole. Réduire notre dépendance pétrolière extérieure suppose une véritable politique en faveur du rail, avec, avant tout, les investissements financiers à la clé.
Le débat sur le fret ferroviaire que nous avons eu dans cette enceinte, le 26 janvier dernier, a montré combien était défaillante la volonté politique de rééquilibrer le rail face à la domination du tout-routier !
L'analyse présentée par mon collègue et ami Michel Billout à l'occasion de ce débat est probante : une réorientation fondamentale de la politique des transports favorisant la complémentarité intermodale plutôt que la mise en concurrence des modes de transport est nécessaire si l'on veut réduire notre dépendance à l'égard des hydrocarbures. Or, telle n'est manifestement pas l'option qu'a choisie le Gouvernement.
Enfin, nous subirions moins les effets de la volatilité du dollar si l'euro pouvait, lui aussi, jouer un rôle de monnaie de transaction internationale au sein de la zone euro. La France devrait, me semble-t-il, pouvoir porter une telle ambition en demandant la tenue d'une conférence internationale sur ce sujet.
Pour en revenir aux prix de l'électricité, notre pays, grâce au nucléaire et à l'hydraulique, disposait jusqu'à maintenant des tarifs les plus bas et les plus compétitifs. Or, comme l'ont souligné certains de nos collègues, depuis l'ouverture de notre marché énergétique, les prix de l'électricité ont connu une forte envolée qui a augmenté les factures des usagers domestiques, mais aussi celles de nos services publics comme la SNCF et les hôpitaux, de nos grandes industries et de nos PME.
Cette perte de la maîtrise tarifaire, par un alignement de nos prix intérieurs sur les prix plus volatils fixés par la bourse européenne de l'électricité, est doublement pénalisante.
D'abord, parce qu'elle nous prive d'un instrument de politique industrielle : comment éviter la délocalisation de nos entreprises électro-intensives si nous sommes privés de notre politique en matière de prix ? C'est aussi à ce niveau, par la marge de manoeuvre dont nous disposons en matière de politique industrielle, que se mesure le degré de notre indépendance énergétique.
Avouez que les mesures incitatives d'exonérations fiscales des pôles de compétitivité que vous proposez ne pèseront pas lourd par rapport à cette variable. A la fin des années quatre-vingt, le groupe Pechiney n'aurait certainement pas installé une nouvelle usine d'électrolyse sans la garantie de tarifs préférentiels. A la clé, il y avait la création de 550 emplois directs.
La perte de la maîtrise tarifaire nous pénalise également parce qu'elle nous prive d'une politique sociale permettant d'agir sur la facture d'électricité des usagers dans un sens visant l'équité sociale et l'accès de tous, à un prix le plus bas possible, à ce bien de première nécessité qu'est l'électricité.
Avec la privatisation d'EDF et de GDF, vous nous privez des outils industriels nous permettant de consolider nos acquis en matière d'indépendance énergétique. C'est aussi à ce niveau que réside le caractère un peu provocateur de ce débat.
En tout état de cause, monsieur le ministre, vous ne pouvez pas recourir à l'alibi européen pour justifier l'abandon du statut public d'EDF et de GDF. Comme l'a souligné cet été Mario Monti, alors commissaire européen chargé de la concurrence, les traités européens n'obligent aucunement les Etats à privatiser leurs services publics de l'énergie !
Pourquoi, monsieur le ministre, les intérêts de l'actionnariat privé, qui, dans le contexte actuel de mondialisation, est de plus en plus nomade ou apatride, ...