Intervention de Cécile Cukierman

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 15 novembre 2022 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2023 -mission « administration générale et territoriale de l'état » — Examen du rapport pour avis

Photo de Cécile CukiermanCécile Cukierman, rapporteure pour avis :

J'ai souhaité m'intéresser cette année à la situation préoccupante du réseau préfectoral et, en premier lieu, à celle de l'échelon de proximité que représentent les sous-préfectures.

Le Gouvernement nous annonce, dans le projet de loi de finances pour 2023, un « réarmement » de l'État territorial dans la continuité des « Missions prioritaires des préfectures 2022-2025 » (MPP 22-25) et du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), qui prévoyait déjà un renforcement des services déconcentrés.

Je salue la prise de conscience salutaire du Gouvernement, qui semble désormais comprendre que l'État ne peut pas continuer à diminuer sa présence dans les territoires, au risque d'amplifier le sentiment d'abandon de nos concitoyens comme des élus locaux. Toutefois, ces annonces interviennent après plus de dix ans de coupes budgétaires drastiques, qui ont conduit à la suppression cumulée de 14 % de l'effectif initial de l'administration territoriale de l'État entre 2012 et 2020 ainsi que des réformes incessantes qui ont mis à mal les services de l'État. Je rappelle que les secrétariats généraux communs départementaux (SGC-D) ont été créés au 1er janvier 2021, dans le but de mutualiser les fonctions support des préfectures et des directions départementales interministérielles (DDI) et de créer des économies. Nous n'avons pas encore eu le temps de dresser le bilan de cette réforme que le Gouvernement déploie déjà un nouveau plan d'action pour les préfectures à l'horizon de 2025.

L'annonce de la création de 210 équivalents temps plein (ETP) sur les trois prochaines années, soit 48 ETP pour 2023, et de l'ouverture de six sous-préfectures - dont cinq sont en réalité des « déjumelages » de sous-préfectures fermées au gré des réformes administratives successives - m'apparaît dérisoire au regard des besoins et de l'atrophie qu'a subie l'administration territoriale de l'État depuis plus de dix ans.

J'ai pu me rendre compte, à l'occasion de mes déplacements dans les sous-préfectures, des conséquences dramatiques qu'avaient pu avoir ces réformes sur le fonctionnement de l'administration infra-départementale de l'État. J'ai volontairement choisi de me rendre dans deux sous-préfectures diamétralement opposées : celle de Largentière, en Ardèche, deuxième plus petite sous-préfecture de France, en milieu rural, et celle de Saint-Denis, implantée dans l'un des départements les plus urbanisés et les plus pauvres de la République.

Faute de moyens, la sous-préfecture de Largentière n'accueille plus de public ; cette mission est désormais dévolue à la maison France Services (MSF) installée au sein du bureau de poste de la commune. Le sous-préfet a recentré les missions de l'État autour du soutien aux élus locaux et de l'instruction des dossiers concernant la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL). Malgré cette rationalisation, la sous-préfecture, qui compte douze agents, dont la moitié est en poste depuis plus de vingt ans, connaît de fortes tensions en termes de gestion des ressources humaines et peine à recruter du fait de son isolement géographique.

À l'inverse, la sous-préfecture de Saint-Denis est majoritairement tournée vers l'accueil du public, notamment celui des étrangers, mais n'a pas les moyens de remplir cette mission dans des conditions satisfaisantes. Plus de 20 000 personnes sont accueillies chaque année dans des locaux vétustes et inadaptés, aménagés au sous-sol de la sous-préfecture. Un agent de sécurité est posté à l'entrée pour gérer les flux en constante augmentation et des personnes réalisant un service civique ainsi que des vacataires ont été recrutés pour vérifier la complétude des dossiers à l'arrivée et fluidifier le trafic. Malgré les nombreuses mesures mises en oeuvre pour améliorer l'accueil du public, la sous-préfecture demeure sous-dimensionnée pour faire face à la demande. Le déménagement de celle-ci dans de nouveaux locaux, prévu pour la fin du premier trimestre de l'année 2023, devrait permettre de renforcer les effectifs du bureau des étrangers et d'améliorer les conditions d'accueil. L'exemple de Saint-Denis montre à quel point la question de la stratégie immobilière de l'État, en même temps que celle des moyens humains et financiers, doit devenir une priorité.

Je tire de ces déplacements deux convictions. D'une part, je constate que le bon fonctionnement de l'administration territoriale de l'État, dont les moyens ont été réduits comme peau de chagrin, dépend uniquement de la bonne volonté de ses agents, notamment de l'action plus ou moins volontariste des sous-préfets. Ce n'est pas acceptable ! D'autre part, les sous-préfectures doivent conserver une certaine taille critique pour ne pas être entravées dans leur action et pouvoir ainsi incarner l'État sur leur territoire. Il est absolument nécessaire de tenir compte de la réalité du terrain et de s'adapter aux problématiques spécifiques de chaque arrondissement, mais chaque sous-préfet, pour être à même de remplir sa mission, doit pouvoir s'appuyer sur une équipe de taille suffisante, formée et disposant d'une connaissance fine des enjeux locaux. La présence d'agents de catégorie A, voire de catégorie A+, est indispensable pour permettre aux sous-préfets de déléguer une partie de leurs responsabilités. Ces réflexions de bon sens semblent avoir été négligées par les gouvernements successifs.

La notion de « réarmement » me paraît d'ailleurs réductrice, car il apparaît désormais urgent, au-delà de l'enjeu des moyens, de définir une véritable doctrine de l'État territorial. Le renforcement de la présence de l'État dans les territoires passe également par la clarification de l'action de l'État, devenue de plus en plus illisible pour les citoyens comme pour les élus locaux au fur et à mesure des réformes administratives et de la multiplication des services et des agences qui ne sont pas directement placés sous l'autorité du préfet de département. Or le Gouvernement, tant dans les MPP 22-25 que dans le projet de loi de finances pour 2023, ignore complètement cet enjeu.

Je ne peux dès lors que déplorer le manque d'ambition dans les moyens alloués au renforcement de l'administration de proximité de l'État. Dans ces conditions, il me semble que le « réarmement » de l'État territorial relève plus de la communication que d'une réelle conviction du Gouvernement. Enfin, je note un sentiment d'abandon des territoires de plus en plus exacerbé, bien visible au travers des échanges que nous avons avec les élus locaux. La présence d'un État déconcentré accompagnateur, et non pas seulement censeur, apparaît d'autant plus nécessaire pour sécuriser l'action des collectivités territoriales.

Je ne m'attarderai pas sur les crédits des deux autres programmes compris dans le périmètre de la mission, dont l'évolution me paraît justifiée. Concernant le programme « Vie politique », les crédits diminuent de plus de 75 %, puisque les élections sénatoriales et territoriales de 2023 seront bien moins coûteuses à organiser que l'élection présidentielle, les élections législatives et territoriales de l'année passée.

Concernant le programme « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur » auquel sont rattachées les fonctions support, la gestion des affaires juridiques et contentieuses du ministère et les cultes, les crédits sont en forte hausse pour financer, d'une part, la stratégie immobilière du ministère et, d'autre part, renforcer les moyens du Fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR).

Compte tenu de la faiblesse des engagements financiers du Gouvernement pour l'administration territoriale de l'État, je vous propose de donner un avis défavorable aux crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

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