Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « je souhaite accompagner, encourager les initiatives, supprimer les verrous encore trop nombreux qui contraignent les territoires dans leur souhait de s’organiser mieux, en vue d’une action publique plus efficace.
« Cette liberté sera laissée aux élus locaux, en lien avec les représentants de l’État aussi, pour expérimenter de nouvelles politiques publiques, de nouvelles organisations des services publics, mais aussi pour innover en matière d’aménagement du territoire, d’urbanisme et pour définir notre territoire de demain. »
Ces propos, madame la ministre, je les emprunte au Président de la République. Ils datent d’il y a cinq ans. Ils ont été prononcés ici même, au Sénat, lors du lancement de la Conférence nationale des territoires. La suite, malheureusement, nous la connaissons…
Six mois plus tard, on nous soumettait les premiers contrats de Cahors. Un an plus tard, nous constations avec un grand désarroi la fin de la Conférence nationale des territoires, fruit de l’ire des élus locaux, des maires, des présidents de département ou de région.
Examinons à présent le bilan législatif. Il se compose essentiellement de deux textes : la loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, qui, selon les dires du ministre Sébastien Lecornu lui-même, visait à corriger les irritants de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), et la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (3DS), dont l’ambition décentralisatrice reste, de l’avis de tous, très modeste.
Vous conviendrez que le vent de liberté et de décentralisation que ces deux textes ont fait souffler n’a pas de quoi nous décoiffer…
Vous pourrez juger mes propos excessifs. Ils le seraient si le Sénat, dans son ensemble, n’avait pas été, tout au long de cette période, force de proposition. Il a ainsi formulé cinquante propositions sous l’égide du président Gérard Larcher, voté certains textes, comme la loi relative à la mise en œuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes, alerté sur les difficultés budgétaires de nos collectivités. Récemment, nous vous avons sensibilisé, lors de son examen, sur les contraintes que la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets allait faire peser sur l’ensemble de nos communes, quand bien même nous pouvions partager certains de ses objectifs.
Madame la ministre, le début de ce quinquennat, comme celui du précédent, nous laissait espérer des lendemains plus heureux. Les premières déclarations du Président de la République, réaffirmant une volonté décentralisatrice, les mots que Mme la Première ministre a tenus ici même à cette tribune, nous rappelant qu’il était nécessaire d’engager un combat pour les territoires afin de mieux entendre la voix des départements, des régions et de l’ensemble des élus locaux, sont malheureusement, après quelques semaines, restés lettre morte.
Il semble que les lendemains que l’on nous annonçait chantants seront finalement plus douloureux que prévu…
Ainsi, voilà encore quelques semaines, après que nous eûmes tous répété à l’envi que nous pouvions être fiers des 35 000 maires de France, qui n’ont cessé de tenir la barre durant la période compliquée du covid-19, qui ont permis de juguler l’épidémie et de dépasser ce qui nous a d’abord paru indépassable, ces maires auxquels nous devons beaucoup, nous avons entendu Mme la Première ministre réaffirmer le besoin de renforcer le lien entre les présidents d’intercommunalité et les préfets… Si nous soutenons ici la dynamique intercommunale, nous considérons que c’est tout de même faire offense à ces maires, qui n’ont jamais cessé d’œuvrer et à qui nous devons tant, mes chers collègues !
C’est aussi rester sourd et muet face à nos préoccupations. J’ai interrogé le ministre Christophe Béchu il y a une semaine sur ce qu’il pensait du récent rapport de la Cour des comptes, qui préconise de verser la dotation globale de fonctionnement aux intercommunalités. J’espère, madame la ministre, que vous aurez l’occasion de répondre à cette question, parce qu’elle suscite de véritables inquiétudes sur l’ensemble des travées de cet hémicycle !
Que devons-nous faire ? Malheureusement, nous ne sommes pas non plus rassurés par ce qui se profile dans le projet de loi de finances. Je pense au filet de sécurité, dans lequel beaucoup de maires se sont déjà pris les pieds, considérant qu’il n’apportera qu’une aide très partielle et sommaire, voire qu’il contient des dispositifs bien trop complexes et pas du tout à la hauteur des enjeux financiers. Je pense encore aux amortisseurs sur l’énergie, dont tout le monde a encore convenu, lors de l’audition de Christophe Béchu la semaine dernière, qu’ils étaient bien compliqués compte tenu des enjeux et des montagnes qui se dressent désormais devant l’ensemble des maires de France.
Madame la ministre, une urgence absolue frappe nos territoires. Cette augmentation du coût des énergies et cette situation financière que constate chacun des 35 000 maires de France deviennent des inquiétudes majeures pour nos collectivités et, plus encore, pour le pays tout entier.
Nous le savons, sans la commande publique, l’année 2023 et les années suivantes seront douloureuses pour notre pays. Il faut impérativement agir, et d’abord sur les problèmes financiers. La suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), les aides limitées, une certaine manière de rogner sur les marges des collectivités, le retour des contrats de Cahors : tout cela n’est pas de nature à nous rassurer.
Le Sénat, en responsabilité, prendra toute sa part de cette démarche pour faire œuvre utile. Nous avancerons des propositions concrètes, comme nous le ferons dans le cadre du groupe de travail sur la décentralisation. Nous serons au rendez-vous des territoires, au rendez-vous de ceux qui président aux destinées de nos communes. En effet, il nous faut les entendre, plus que jamais, si nous souhaitons que nos territoires ne connaissent pas le pire d’ici à quelques semaines ou à quelques mois.
Nous nous mobiliserons dans le cadre de ce projet de loi de finances pour garantir que les dispositifs tels que le filet de sécurité et l’amortisseur sur l’énergie apportent une aide réelle et ne rendent pas plus complexe, une fois de plus, un système qui l’est déjà bien assez.
Nous prendrons nos responsabilités, mais nous attendons, madame la ministre, que le Gouvernement prenne enfin les siennes, en se mettant à la hauteur des enjeux auxquels nos collectivités sont confrontées.
Je le dis avec gravité et solennité : ce débat, que je remercie le groupe Les Républicains d’avoir inscrit à l’ordre du jour du Sénat, marque le commencement d’un processus qui se poursuivra lors de l’examen du projet de loi de finances. Je forme le vœu qu’il permette enfin d’aborder, durant ce quinquennat, les questions de décentralisation et de déconcentration.
Nous avons besoin de l’État territorial, mais aussi de la différenciation, car les situations diffèrent dans notre pays.