Intervention de Arnaud Bazin

Réunion du 16 novembre 2022 à 15h00
Loi de finances rectificative pour 2022 — Adoption d'un projet de loi modifié

Photo de Arnaud BazinArnaud Bazin :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, un PLFR de fin de gestion est un exercice classique, avec quelques ajustements suscitant peu d’intérêt. Celui-ci ne déroge pas à cette habitude, à quelques détails près…

Tout d’abord, nous constatons une dépense nouvelle de près de 2, 5 milliards d’euros pour faire face à la hausse des prix de l’énergie, grâce à un chèque énergie exceptionnel, bien peu exceptionnel, tant cette année d’élection présidentielle aura été l’année des chèques. Ainsi, 12 millions de foyers, sur le critère du revenu fiscal, seraient concernés. Ce dispositif, bricolé dans l’urgence, ne fait aucune différence, à revenu égal, entre le locataire d’un logement social bien isolé et chauffé à l’électricité – on estime à 15 % l’augmentation de sa facture sur une base de consommation faible –, et le propriétaire d’une passoire thermique chauffée au fioul, qui connaîtra au moins 50 % d’augmentation, sur une base élevée. Certes, la recherche d’équité est difficile, mais on touche là aux limites de l’exercice du chèque.

On peut en dire autant de la prolongation de la remise sur le carburant pour deux semaines supplémentaires, qui coûtera 440 millions d’euros.

Inquiétante également est la rallonge de 2 milliards d’euros consentie à France compétences. Elle survient en effet après une première rallonge du même montant dans le premier PLFR et précède un effort d’encore 2 milliards d’euros annoncé dans le PLF 2023, qui s’ajoute aux 3, 5 milliards d’euros en supplément pour l’augmentation des contrats d’apprentissage.

Si l’on peut apprécier l’effort en faveur de l’alternance, on ne peut en revanche que s’alarmer de ces 6 milliards d’euros, qui correspondent à des besoins de trésorerie urgents de France compétences.

Sachant qu’un tiers des dépenses de cet organisme est relatif à la formation, et considérant le catalogue parfois surprenant de ces formations, je crois qu’il y a là matière à contrôle parlementaire.

Les autres dépenses sont plus légitimes : activité opérationnelle des forces armées, aides aux agriculteurs, équipements militaires de l’Ukraine, pour un total global de 7, 5 milliards d’euros de dépenses nouvelles.

En regard, il y aurait 5 milliards d’euros d’annulations de crédits, notamment 2 milliards d’euros au titre des PGE et 500 millions d’euros au titre des dépenses accidentelles, dont nous avions dit qu’elles étaient surestimées.

Voilà pour le texte, mais c’est le contexte qui me paraît le plus intéressant. Nous devrions terminer l’année 2022, certes en amélioration par rapport à l’estimation initiale, mais avec un solde négatif de près de 165 milliards d’euros, soit l’équivalent de plus de la moitié des recettes de fonctionnement. Et alors que le déficit représente 4, 9 % du PIB, il est aux trois quarts de nature structurelle.

Pour la même année 2022, l’Allemagne enregistrera un déficit de 2, 6 %, soit presque deux fois moins que nous ; dans les États de l’Union européenne, il atteindra en moyenne 3, 8 % du PIB. Nous aurons donc, cette année encore, l’un des pires déficits en Europe.

Pourtant, avec un taux de 52, 8 % du PIB, nous avons le niveau de prélèvements obligatoires le plus élevé des 38 pays de l’OCDE – en compagnie de la Finlande et du Danemark, il est vrai. Cela porte à relativiser le discours triomphaliste du Gouvernement en la matière.

Comment peut-on parvenir à un tel déficit quand on a un taux si élevé de prélèvements obligatoires ? En laissant filer les dépenses publiques, bien sûr ! Celles-ci augmentent, même diminuées des dépenses exceptionnelles.

Le taux de dépense publique en France, en 2022, demeure plus important qu’en 2012, 2017 et 2019. Il est surtout le plus élevé de l’Union européenne.

A contrario des administrations de l’État, les collectivités territoriales ont pour leur part, et comme toujours, joué le jeu de la maîtrise de la dépense publique, puisque, en 2022, le déficit des administrations publiques locales est égal à zéro et ce, sans système de contrainte. Cela n’a pas empêché le Gouvernement de prévoir contraintes et sanctions à l’article 23 du récent projet de loi de programmation des finances publiques, heureusement supprimé par notre assemblée, mais qui reviendra, hélas, dans le PLF 2023, sous forme d’un article 40 quater.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Sénat a exigé que l’État fasse autant d’efforts que ceux qu’il demande aux collectivités, en alignant les deux trajectoires budgétaires dans la loi de programmation des finances publiques.

Le fonctionnement courant de notre État est donc financé par la dette de la France, l’une des plus élevées de l’Union européenne.

En 2012, à la fin du quinquennat Sarkozy, notre pays avait un endettement de 90, 6 % du PIB, exactement dans la moyenne de la zone euro, qui était de 90, 7 %. En 2022, à la fin de cette année, après les quinquennats Hollande et Macron, la France a un endettement de 111, 5 % du PIB, contre 95 % dans la zone euro. L’Allemagne, quant à elle, est à 66 % !

Si, en face de ces records, très négatifs, bien évidemment, en matière de dette, de dépenses publiques, de prélèvements obligatoires, nous constations un faible taux de chômage, une vraie réindustrialisation, avec une balance de commerce extérieur favorable grâce à l’investissement, des services publics de bon niveau concourant au bien-être quotidien des Français, peut-être verrions-nous ces chiffres d’un autre œil.

Mais, là aussi, le diagnostic est sombre.

Certes, le chômage a baissé depuis 2017, mais il reste supérieur à la moyenne européenne, avec un taux de 7, 1 % en septembre 2022, contre 6, 6 % dans l’Union européenne, et 3 % en Allemagne. Et encore cette baisse est-elle en partie due à la mise en formation de nombreux demandeurs d’emploi.

Alors qu’il semble que six acteurs économiques sur dix éprouvent des difficultés sévères, voire dramatiques de recrutement, que des centaines de milliers de postes sont vacants dans de très nombreux secteurs, y compris dans l’emploi public, nous comptons quasiment 3 millions de chômeurs de catégorie A.

Enfin, le déficit commercial bat tous les records et dépassera probablement 200 milliards d’euros au 31 décembre 2022. Il avait déjà atteint plus de 143 milliards d’euros entre les mois de janvier et septembre dernier. En 2021, un nouveau record avait pourtant été établi à 110 milliards d’euros, quand l’Allemagne engrangeait un excédent de 179 milliards d’euros.

Quant aux services publics, leur état est peut-être encore plus préoccupant que les chiffres calamiteux des indicateurs des finances publiques.

Si l’on hésite sur le sort de l’hôpital, c’est qu’on ne sait pas trop dire s’il a déjà craqué ou s’il va craquer incessamment. La médecine de ville n’est guère en meilleur état : les territoires où la couverture des besoins en médecins généralistes est correcte – je ne parle même pas des spécialistes – sont de rares îlots dans une France de déserts médicaux.

Les ministères et leurs administrations sont tellement efficaces qu’il a fallu, en 2021, recourir à des cabinets de conseil pour éclairer les choix stratégiques, pour un montant supérieur à 1 milliard d’euros. Pour l’éducation nationale, moins d’élèves et plus de dépenses aboutissent quand même à une constante dégradation du niveau de notre jeunesse dans les classements internationaux.

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