Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 16 novembre 2022 à 15h00
Loi de finances rectificative pour 2022 — Adoption d'un projet de loi modifié

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour commencer mon propos, je veux emprunter à François-René de Chateaubriand l’une de ses fameuses maximes : « Presque toujours, en politique, le résultat est contraire à la prévision. »

Cette citation me semble bien résumer ce projet de loi, marqué qu’il est par des modifications à la marge, dans une logique d’atténuation des effets délétères de l’inflation. Ces corrections d’aujourd’hui sont les carences – je dirais même, les erreurs – d’hier. Hier, c’est la dernière loi de finances rectificative, adoptée l’été dernier ; hier, c’est également la loi de finances initiale pour 2022.

Monsieur le ministre, vous n’avez pas interprété les signaux économiques et sociaux ; vous n’avez donc pas su anticiper. Il en résulte des dépenses en hausse de 70 milliards d’euros par rapport au budget initial, dont 3, 8 milliards engagés dans ce projet de loi de finances rectificative et non financés.

Vous avez été aveugle à l’inflation galopante dans le pays ; vous en estimiez le taux à 1, 5 % en décembre 2021, alors qu’il culmine à 5, 3 % aujourd’hui. L’été venu, vous continuiez de le minorer de 0, 3 point. Ce n’est pas uniquement le fait de la guerre en Ukraine, vous le savez : le bouclier énergie avait été instauré auparavant. Ce n’est pas uniquement le fait des difficultés d’approvisionnement, vous le savez : les producteurs et les distributeurs avaient déjà commencé à augmenter leurs prix. L’inflation est de nature spéculative et a seulement été aggravée par ces phénomènes. C’est dans ce sens-là que cela s’est passé, et non l’inverse.

Or ces prévisions ont servi un discours politique visant à faire croire que les mesures à destination des personnes précaires et de nos fonctionnaires étaient suffisantes. Les aides sociales ont été revalorisées de 4 %, le point d’indice de 3, 5 % : ces deux catégories de la population ont donc perdu du pouvoir d’achat. Dont acte ! Les travailleurs du secteur privé ont, eux aussi, vu fondre leur revenu au regard de l’inflation : on déplore 2, 2 % de perte de pouvoir d’achat, en moyenne, pour les employés, 2, 7 % pour les ouvriers, 3, 6 % pour les professions intermédiaires et les cadres. Derrière ces moyennes, les ménages ne sont pas exposés de la même façon à l’augmentation de 11, 2 % du prix des produits alimentaires sur l’année, ou à celle de 19, 6 % du prix des produits énergétiques.

Le travail ne paye pas suffisamment dans ce pays, donc l’État pallie, il tente de préserver un semblant de cohésion sociale. Lorsque le travail ne garantit pas les moyens de subsistance, c’est la Nation qui se délite.

L’État sort donc son chéquier et tente d’alléger la facture. Tout y passe : l’électricité, les pellets de bois, les carburants, le fioul… Plus de la moitié des crédits nouveaux ouverts par ce texte sont des palliatifs de l’envolée indécente des prix de l’énergie. La politique des chèques, c’est la politique des faibles !

La présidence française de l’Union européenne constituait pourtant une occasion de prendre des mesures structurelles pour soulager les peuples et les finances publiques : blocage du prix des carburants, en entamant des négociations serrées avec les producteurs et principaux exportateurs ; abrogation des directives de 1996 et 1998 de libéralisation du marché de l’énergie ; décorrélation des prix du gaz et de l’électricité.

Cela n’ayant pas eu lieu, les finances publiques doivent assumer le coût de ces mesures. Vous procédez ainsi, monsieur le ministre, à plus de 6, 8 milliards d’euros d’annulations de crédits ; surtout, vous nous resservez le discours d’une économie florissante, comme l’attesterait la hausse de 32, 8 milliards d’euros des recettes fiscales par rapport à la loi de finances initiale.

Il n’y a pourtant pas de « trésor de guerre » : nous le disions lors de l’examen du projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2021 et nous le réaffirmons. Les 19 milliards d’euros de recettes supplémentaires de l’impôt sur les sociétés sont uniquement liés à l’augmentation des profits, qui sont stimulés par l’inflation et par l’absence du partage de la valeur. Si l’économie se porte si bien, pourquoi donc la croissance, dont vous escomptiez au début de l’année qu’elle atteindrait 4 % du PIB, plafonne-t-elle à 2, 7 % ?

Le discours tenu autour du partage de la valeur m’incite à m’arrêter sur les 2 milliards d’euros alloués dans ce texte à France compétences. Je crois qu’il s’agit en vérité de « France patronat » ! Ces 2 milliards d’euros ont pour seule vocation de subventionner l’emploi d’apprentis considérés comme une main-d’œuvre à bon marché. L’apprentissage dans ces conditions de rémunération n’est pas une aubaine pour la France, c’est une aubaine pour le patronat ! Lorsqu’ils ont moins de 26 ans, ces apprentis sont payés en dessous du Smic, de sorte que les entreprises récupèrent un véritable pactole : 5 000 euros pour un mineur, 8 000 euros pour un majeur. On ne fait ainsi baisser qu’artificiellement et conjoncturellement les chiffres du chômage, car environ 50 % des apprentis ne conservent pas leur poste à l’issue de leur cursus, mais sont remplacés par d’autres laborieux.

La cohérence est de votre côté, monsieur le ministre, car il s’agit de l’« armée de réserve du patronat » chère à M. Darmanin : les étrangers sont appelés à la rescousse, les apprentis appelés au service… Il faudrait une vision de la politique menée en faveur de l’emploi qui bénéficie enfin aux créateurs de la valeur et aux travailleurs.

Certes, nous soutiendrons certaines mesures prises dans ce projet de loi de finances rectificative, …

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion