Intervention de Gabriel Attal

Réunion du 17 novembre 2022 à 14h30
Loi de finances pour 2023 — Discussion générale

Gabriel Attal :

Nous étions réunis ici hier soir pour examiner le deuxième projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour cette année 2022. Je tiens à remercier l’ensemble des sénateurs qui étaient présents de la qualité des échanges que nous avons eus.

Je l’ai dit, et Bruno Le Maire vient de le rappeler, au vu de la situation économique de notre pays, le climat d’incertitude dans lequel nous devons évoluer est réel ; je n’y reviendrai pas.

Hier soir, cet hémicycle a voté pour donner aux Français des moyens supplémentaires de combattre la vie chère.

Avec l’ouverture de ces 2, 5 milliards d’euros, nous allons aider les Français à se chauffer et à se déplacer et nos étudiants et chercheurs à travailler dans de bonnes conditions. Nous allons financer la bataille en faveur du plein emploi et poursuivre notre engagement sans faille aux côtés du peuple ukrainien. Tout cela, nous le ferons en tenant l’objectif de déficit que nous avions fixé pour 2022, car il est hors de question – Bruno Le Maire l’a souligné – de laisser déraper nos comptes.

Je sais évidemment que l’adoption de cette loi financière n’efface en rien les clivages qui nous séparent. J’ai conscience que nous aurons, durant la discussion qui s’ouvre, un débat extrêmement nourri sur un certain nombre de sujets. Je pense notamment à la suppression de la CVAE et, aussi, aux modalités du filet de sécurité que nous allons mettre en place pour protéger les collectivités qui en ont besoin face à la flambée des prix de l’énergie.

L’année qui s’achève a été celle d’un choix politique et économique extrêmement clair : protéger les ménages, les entreprises et les collectivités locales face à la hausse des prix. C’est un choix de justice, mais aussi d’efficacité.

Cette stratégie est efficace, parce qu’il vaut mieux investir pour préserver que payer pour réparer.

Le budget que nous présentons pour l’année prochaine traduit la continuité de cette stratégie sans jamais perdre de vue que l’argent public est l’argent des Français et que chaque euro investi doit être un euro efficace.

Mais protéger les Français, ce n’est pas se satisfaire d’une politique du chèque ou d’une vision court-termiste. C’est assumer qu’il faut à la fois répondre aux urgences du quotidien, financer l’action publique, préparer l’avenir et protéger nos comptes.

C’est autour de ces quatre axes que s’articule notre action, et il n’y a pas à choisir parmi ces objectifs, même s’ils peuvent parfois sembler contradictoires. Car, en réalité, il faut tout mener de front.

Le premier axe de ce projet de loi de finances est de répondre à l’urgence de la fin du mois, dans un contexte où l’inflation demeure à un niveau élevé, +6, 2 % au mois d’octobre 2022 par rapport à son niveau d’octobre 2021.

Répondre à l’urgence, nous le faisons avec le maintien des boucliers énergétiques l’année prochaine, tout en prévoyant une hausse contenue à 15 %. Concrètement, si cette mesure n’était pas votée, dès le début de l’année prochaine, un ménage chauffé à l’électricité payerait en moyenne 121 euros de plus par mois, tandis qu’un ménage chauffé au gaz verrait ses factures alourdies, également en moyenne, de 185 euros par mois.

Répondre à l’urgence, nous le faisons aussi avec l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu. Bien sûr, c’est un ajustement qui est fait chaque année. Mais lorsque l’inflation dépasse les 5 %, chacun comprendra que la décision n’a pas la même portée ; lors de certaines années, d’ailleurs, nous n’avons pas procédé à cette indexation.

Le coût de cette mesure témoigne de sa portée, puisque ce sont 6, 2 milliards d’euros que nous rendons aux Français ou – pour être plus précis – auxquels nous renonçons pour préserver leur portefeuille.

Oui, nous voulons continuer à redonner du pouvoir d’achat aux Français. Je veux d’ailleurs souligner que, parmi les amendements retenus en première lecture dans le texte considéré comme adopté par l’Assemblée nationale, figurent un certain nombre de mesures qui vont redonner de l’oxygène au pays.

Redonner de l’oxygène à ceux qui travaillent, avec la hausse de la valeur faciale des titres-restaurants de 11, 84 à 13 euros.

Redonner de l’oxygène aux parents qui doivent faire garder leurs enfants, avec la hausse de 50 % du plafond du crédit d’impôt pour garde d’enfants, porté à 3 500 euros.

Redonner de l’oxygène à nos entrepreneurs, avec la hausse du plafond permettant de bénéficier du taux réduit d’impôt sur les sociétés (IS) pour les PME.

Redonner de l’oxygène à nos agriculteurs, avec la prorogation jusqu’à 2025 de la déduction pour épargne de précaution (DEP), ainsi que de son indexation sur l’inflation.

Le deuxième axe de ce projet de loi de finances est d’assurer le réarmement de nos fonctions régaliennes, pour tenir les engagements pris devant les Français durant la campagne présidentielle.

Ce projet de loi de finances prévoit plus de moyens pour la police, pour la justice et pour nos armées, dans un contexte géopolitique à haut risque.

Dans le cadre de la loi de programmation militaire (LPM), ce texte prévoit une hausse de 3 milliards d’euros pour la mission « Défense ».

Vous me permettrez de m’arrêter un instant sur les lois de programmation militaire, afin de vous montrer l’ampleur de l’engagement budgétaire que nous consacrons aujourd’hui à nos armées. Loi de programmation militaire 2009-2014 : 182 milliards d’euros sur six ans, soit 30 milliards par an en moyenne ; loi de programmation militaire 2014-2019 : 191 milliards d’euros sur six ans, soit 32 milliards par an, en hausse de 6 % par rapport à la loi de programmation précédente ; loi de programmation militaire 2019-2025, celle qui est actuellement mise en œuvre : 295 milliards d’euros sur sept ans, soit 42 milliards par an, ce qui représente une augmentation de 31 % par rapport à la loi de programmation précédente.

Nous vous proposons de voter 1, 4 million d’euros de crédits supplémentaires pour améliorer les moyens de nos forces de sécurité, notamment en termes d’équipements et de technologies numériques, mais également pour renforcer la présence des policiers et gendarmes sur la voie publique, conformément à la trajectoire prévue dans la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), que vous avez adoptée très largement ici et qui prévoit 8 500 créations de postes sur le quinquennat.

Enfin, nous poursuivons le renforcement des moyens du ministère de la justice, avec une nouvelle hausse de 8 % pour la troisième année consécutive. Depuis 2017, le budget de ce ministère aura augmenté de plus de 40 % pour réarmer cette fonction régalienne essentielle pour notre pays.

Vous le voyez, ce que nous présentons, c’est un projet de réarmement de nos services publics.

Le troisième axe de ce texte, c’est de préparer l’avenir.

Préparer l’avenir, c’est faire le pari de l’éducation ; c’est gagner la bataille du plein emploi ; c’est accélérer la transition écologique.

L’année prochaine, le budget de l’éducation nationale va augmenter de 3, 7 milliards d’euros. Comme nous nous y étions engagés pendant la campagne, aucun professeur ne commencera sa carrière en gagnant moins de 2 000 euros nets par mois.

Préparer l’avenir, c’est aussi gagner la bataille du plein emploi. C’est l’objectif que nous avons fixé à l’horizon 2027. Ce sont ainsi 6, 7 milliards d’euros de crédits supplémentaires qui seront investis dans l’emploi et l’apprentissage, pour atteindre le million d’apprentis d’ici à 2027.

Mais, je le dis clairement – et Bruno Le Maire l’a d’ailleurs rappelé –, nous ne gagnerons pas la bataille du plein emploi avec plus de pression fiscale. C’est la raison pour laquelle nous avons rendu 54 milliards d’euros aux ménages et aux entreprises au cours des cinq dernières années. Et c’est la raison pour laquelle nous souhaitons mener à son terme la suppression de la CVAE, même si, pour tenir nos comptes publics, cela se fera sur deux exercices budgétaires.

Sur ce sujet, je sais que cet hémicycle est loin d’être un terrain conquis, en tout cas s’agissant du calendrier qui figure dans le projet de loi initial. Sur certaines travées, il existe une opposition de principe à l’idée même de supprimer des impôts de production ; sur d’autres, il y a une volonté de différer à l’année prochaine la suppression de cet impôt.

Pour ma part, je crois que l’amélioration de notre compétitivité doit rester un objectif central, dans un contexte où la hausse des prix de l’énergie met nos entreprises à rude épreuve ; les présidents de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et du Mouvement des entreprises de France (Medef) l’ont d’ailleurs rappelé lors des dernières heures.

Préparer l’avenir, c’est enfin protéger la planète. À cet égard, ce PLF prévoit le financement de politiques ambitieuses en faveur des transitions écologique, énergétique et territoriale, telles que le fonds vert pour l’investissement des collectivités, le plan Vélo, pour 250 millions d’euros, et une augmentation de 500 millions des crédits dédiés à MaPrimeRénov’.

En ce qui concerne la rénovation énergétique des bâtiments, je veux souligner un certain nombre d’avancées durant l’examen des différents textes financiers.

Le rétablissement du crédit d’impôt dont peuvent bénéficier les PME pour leurs travaux de rénovation provient d’un amendement du groupe Les Républicains de l’Assemblée nationale, porté par la députée Émilie Bonnivard, que nous avons retenu dans le PLF.

Je pense aussi à la prolongation d’une année de l’éligibilité à MaPrimeRénov’ sans condition de ressources, également issue d’un amendement des Républicains, porté par la députée Véronique Louwagie, que nous avons intégré au projet de loi de finances rectificative.

Le quatrième axe de ce texte, c’est le refus du laisser-aller budgétaire.

Comme ministre des comptes publics, je continuerai à défendre le passage du « quoi qu’il en coûte » au « combien ça coûte », parce que l’argent public ne sera jamais de l’argent magique.

Oui, malgré les aléas, nous poursuivons le rétablissement des comptes amorcé dès 2021, en stabilisant le solde public à 5 % cette année comme en 2023, alors qu’il était – je le rappelle – de 8, 9 % en 2020 et de 6, 5 % en 2021. Nous proposons une trajectoire pour revenir sous les 3 % d’ici à 2027.

Nous y parviendrons parce que nous pourrons compter sur des recettes fiscales importantes encore l’an prochain, notamment de TVA et d’impôt sur les sociétés liées à la bonne tenue de l’activité ces derniers mois.

Nous y parviendrons aussi grâce aux recettes liées à la contribution sur les rentes inframarginales, qui devraient s’élever – l’estimation a été revue à la hausse – à 11 milliards d’euros l’année prochaine. Ce projet de loi de finances rend cela possible, puisqu’il intègre les mécanismes européens qui nous permettent de faire contribuer les énergéticiens bénéficiant d’une rente liée à l’envolée des prix. Je sais que nous aurons de nouveau un débat sur les superprofits, après celui que nous avons eu cet été lors de l’examen du précédent PLFR. Avec Bruno Le Maire, nous avions alors renvoyé le sujet à une discussion à l’échelon européen.

À l’époque, certains nous avaient dit que cette réponse était une forme de manœuvre dilatoire pour enjamber le débat, et qu’on savait bien qu’à la fin, il ne se passerait rien. Et pourtant, il s’est passé quelque chose ! Et même quelque chose de massif : un accord européen sur un mécanisme de taxation des superprofits que nous transcrivons dans ce PLF. Ce mécanisme permettra de capter 11 milliards d’euros de superprofits sur les énergéticiens l’an prochain et de financer une partie importante du bouclier tarifaire pour protéger les Français.

Cette trajectoire de sérieux que j’évoquais, nous la tiendrons en 2023 et les années suivantes, afin d’assurer la stabilisation de la dette et le retour du déficit sous la barre des 3 %. Je sais que la majorité sénatoriale souhaite un rythme plus soutenu dans la consolidation des finances publiques. Je l’ai dit hier, au regard de la situation économique, engager une baisse trop brutale de la dépense publique pourrait avoir des effets dévastateurs sur nos services publics et l’activité économique et, plus globalement, sur la cohésion de notre société.

Dans les propositions qui sont émises par le Sénat, figure notamment le fait de rehausser l’effort de maîtrise de dépenses en volume de l’État pour faire passer la baisse de -0, 4 % à –0, 5 %, à parité avec celle des collectivités locales. Bruno Le Maire vient de l’évoquer, nous sommes ouverts sur le sujet.

Parvenir à maîtriser la trajectoire des dépenses publiques suppose de partager un même sentiment de responsabilité vis-à-vis de notre pays, de sa crédibilité, de sa capacité d’action et de son indépendance. Cela suppose aussi de répartir l’effort entre l’ensemble des administrations publiques : l’État et ses opérateurs, la sécurité sociale et les collectivités territoriales. Nous aurons cette discussion durant l’examen du PLF.

Les débats seront vifs, mais je ne doute pas que nous saurons trouver ensemble une voie d’équilibre. Chacun à notre place, chacun avec nos convictions, nous défendons l’intérêt de notre pays.

Le moment que nous traversons et les défis auxquels nous faisons face – le défi géopolitique avec la crise en Ukraine, le défi climatique, le défi démographique – nous appellent à trouver ensemble des pistes, à prendre des décisions et des mesures, et à définir les axes qui nous permettront d’agir pour l’intérêt des Français. Vous nous trouverez toujours, Bruno Le Maire et moi, à vos côtés pour avancer dans cette direction.

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