Intervention de Jean-François Husson

Réunion du 17 novembre 2022 à 14h30
Loi de finances pour 2023 — Discussion générale

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous entamons aujourd’hui au Sénat l’examen du projet de loi de finances pour 2023, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale, après utilisation de la procédure de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution.

Ce texte s’inscrit dans le droit-fil du projet de loi de programmation des finances publiques, qui vient d’être voté après avoir été largement amendé ici au Sénat et qui est porteur d’une ambition volontariste pour le rétablissement des comptes publics.

Nous avions pointé à cette occasion que le Gouvernement faisait preuve d’un trop grand optimisme dans le choix de ses prévisions macroéconomiques et d’un trop faible volontarisme dans la maîtrise des comptes publics. Je maintiens ces critiques.

En 2022 et, pour ce qu’il nous est permis d’en savoir, en 2023, l’économie française a été et demeurera soumise à de nombreux chocs exogènes. Le plus important d’entre eux est, bien entendu, la hausse du prix des énergies, qui a conduit, comme l’a indiqué l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), à amputer la croissance économique d’environ 2, 5 points de PIB entre 2021 et 2023.

Mais d’autres chocs doivent être considérés, à commencer par l’effet de la remontée des taux d’intérêt, qui, en cumulé, pourrait représenter une perte de croissance de près d’un point de PIB.

La prévision de croissance du PIB retenue par le Gouvernement pour l’année 2023 est, de mon point de vue, trop optimiste. L’hypothèse d’une augmentation de 1 % est à ce jour très éloignée du consensus des économistes. Surtout, elle ne tient pas compte d’événements conjoncturels récents, qu’il s’agisse du ralentissement de l’activité au troisième trimestre 2022, de la hausse des taux directeurs de la Banque centrale européenne (BCE) ou de la prévision de récession en Allemagne et de stagnation de l’activité en zone euro.

Nous avons donc devant nous un projet de loi de finances bâti sur des hypothèses de croissance assurément trop optimistes, peut-être même obsolètes.

La prévision d’évolution de l’inflation présente encore un caractère relativement central, avec 5, 4 %, ce qui reste très significatif. L’inflation en France demeure majoritairement importée et liée à l’augmentation des coûts de l’énergie. Elle est mieux maîtrisée en France que dans d’autres économies développées, mais c’est au prix d’une forte mobilisation des finances publiques, qui, par conséquent, dégrade les comptes publics : près de 50 milliards d’euros en 2022 et probablement 56 milliards d’euros en 2023.

Pour nécessaires qu’elles soient, ces dépenses doivent nous appeler à observer une grande vigilance, puisque, comme vous le savez, les conditions de financement de la France ne sont plus les mêmes que par le passé.

La remontée des taux d’intérêt constitue un risque pour la soutenabilité de la dette française. L’inflation a contribué à une augmentation rapide des taux nominaux sur le marché des obligations souveraines. Depuis octobre 2021, c’est-à-dire il y a un peu plus d’un an, le taux des obligations assimilables du Trésor (OAT) françaises à dix ans a augmenté de 290 points de base. La perception que les investisseurs portent sur le risque des obligations françaises s’est concomitamment détériorée. Le temps de l’argent facile et gratuit est bien fini, et ce n’est pas faute de vous avoir mis en garde ici, au Sénat, sur les risques d’un endettement trop important et massif.

En ce qui concerne la situation de nos finances publiques, les mesures de crise ne peuvent pas expliquer toute la dégradation de nos comptes publics. Et, de notre point de vue, il est urgent de mettre en œuvre une stratégie de maîtrise des dépenses ordinaires.

En 2023, le solde public devrait atteindre 5 % du PIB et l’endettement public devrait être d’environ 111 %. Les recettes publiques devraient progresser considérablement, avec 139 milliards d’euros supplémentaires entre 2021 et 2023 dans le texte initial. De façon temporaire et conjoncturelle, l’État bénéficiera notamment – cela a été dit – de recettes supplémentaires versées par les producteurs d’énergie.

Plusieurs mesures nouvelles viendront réduire le rendement fiscal, à commencer par la suppression de la contribution à l’audiovisuel public, la poursuite de la suppression de la taxe d’habitation et la suppression de la part communale et intercommunale de la CVAE.

En parallèle, les dépenses vont également progresser d’environ 110 milliards d’euros. En réalité, la hausse est même beaucoup plus importante, car l’État – je viens d’en donner l’exemple avec le cas des subventions aux producteurs d’énergie – bénéficie de moindres dépenses, qui sont, elles, conjoncturelles.

Les dépenses primaires retraitées du coût des mesures de crises progresseront ainsi d’au moins 137 milliards d’euros sur les deux années, dont quasiment la moitié en 2023. Les mesures de revalorisation des pensions et du traitement des fonctionnaires contribueront aussi à augmenter la dépense d’environ 16 milliards d’euros.

Le solde public restera particulièrement dégradé, sous l’effet de la situation financière de l’État exclusivement. Les collectivités locales présenteront – écoutez bien ! – un excédent, tandis que les administrations sociales parviendraient à l’équilibre grâce à l’amélioration du solde de régime général et malgré une forte progression des dépenses sociales. C’est la raison pour laquelle nous vous demandons, messieurs les ministres, de respecter une ligne rouge : ne mettez pas de carcan aux collectivités locales ; ce serait aujourd’hui non seulement inentendable, mais également inacceptable !

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