Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 17 novembre 2022 à 14h30
Loi de finances pour 2023 — Question préalable, amendements 49 3

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’invocation à quatre reprises de l’article 49.3 de la Constitution a mis un coup d’arrêt prématuré au débat budgétaire sur les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale.

Ce seul état de fait justifie le dépôt d’une motion tendant à opposer la question préalable et le rejet du texte, qui, sur beaucoup trop des sujets, n’a pas fait l’objet d’un débat approfondi à l’Assemblée nationale.

Ce matin, un sénateur disait du texte issu des travaux d’une récente commission mixte paritaire qu’il était l’illustration d’un « bicamérisme équilibré ». Cet après-midi, j’ai tendance à dire que le bicamérisme est plutôt déséquilibré…

Notre discussion s’ouvre dans un contexte inédit. La multiplication de mises en jeu de la responsabilité de son gouvernement par la Première ministre souligne à la fois la fragilité du second mandat d’Emmanuel Macron et, paradoxalement, un entêtement autoritaire à affirmer un exercice vertical du pouvoir, sans tenir compte de la volonté exprimée lors du second tour de l’élection présidentielle et des élections législatives.

Le Sénat peut-il accepter ce véritable oukase sans réagir ? Nous devons débattre au préalable de cette situation inédite, car, contrairement à de précédents recours répétés au 49.3, celui dont je parle prend place dans un contexte politique très différent, en France comme à l’international.

Nous n’avons pas peur du débat. Vous nous connaissez : nous y sommes prêts. Mais à quoi bon débattre d’un texte dans lequel le Gouvernement finira par piocher en nouvelle lecture les amendements auxquels il daigne accorder ses préférences ? Nous dénonçons d’emblée ce jeu de dupes. Ses préférences, nous les connaissons : satisfaire sa majorité relative, dont émanent 83 % des amendements retenus.

Nos camarades de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) ont eu l’honneur de ne voir qu’une seule de leurs propositions retenue sur plus de 130 amendements, signe du peu d’égard que le Gouvernement témoigne aux propositions alternatives. Les autres groupes de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) sont logés à la même enseigne.

La situation est absolument ubuesque : la Première ministre rejette des amendements adoptés, conserve des amendements rejetés, retient des amendements non discutés… Ce texte « sur mesure » s’est construit au détriment de la souveraineté parlementaire. La nouvelle méthode prônée par le Président de la République tout juste élu attendra. Les dialogues de Bercy s’apparentaient davantage à des monologues de Bercy. Le 49.3 entérine un monologue budgétaire.

Le recours à cet article de la Constitution est, pour citer le constitutionnaliste Pascal Jan, une « arme lourde du parlementarisme rationalisé ». La justification avancée par la Première ministre pour interrompre les débats est, je dois le dire, confondante : « […] nous ne tiendrons pas les délais prévus pour la discussion de cette première partie du PLF. Ensuite, et surtout, les oppositions ont toutes réaffirmé leur volonté de rejeter le texte. En responsabilité, nous devons donner un budget à notre pays. »

Trois arguments se dégagent.

D’abord, donner un budget à notre pays. Nous le souhaitons aussi, évidemment. Agiter la menace d’un shutdown à l’américaine est une manipulation coupable destinée à opposer le débat démocratique et le bon fonctionnement de l’administration publique. En France, le rejet du projet de loi de finances n’entraîne nulle cessation partielle d’activité : nul problème pour la rémunération des fonctionnaires ; nul problème pour les dotations aux collectivités territoriales. Des mécanismes de réserves, de reports et autres acomptes permettent de pallier un désaccord politique. Le chiffon rouge d’un shutdown à la française est brandi dans l’unique objectif de passer outre des désaccords sur l’orientation budgétaire de la Nation.

Le deuxième argument est d’ordre organisationnel : le débat serait long. Mes chers collègues, je vais vous faire une révélation : la démocratie prend du temps ! Le débat parlementaire, de surcroît sur les textes budgétaires, prend du temps. Arguer que les oppositions auraient déposé trop d’amendements pour pouvoir les examiner dans les délais impartis est une manœuvre grossière. Le droit d’amendement est le seul moyen d’expression des parlementaires. Citez-moi une proposition illégitime ! Une seule proposition d’obstruction au débat ! Vous n’en trouverez pas.

Le rôle de notre assemblée devrait être de promouvoir une reprise de contrôle du Parlement en matière budgétaire, et non pas de se soumettre à un cadre de débat de plus en plus restreint, jusqu’à l’usage abusif du 49.3.

Le troisième et dernier argument invoqué par la Première ministre est peut-être le seul légitime. Le Gouvernement et sa majorité insuffisante se sont fait mettre en minorité par les députés de la Nation. Le constitutionnaliste Guy Carcassonne parlait du 49.3 comme d’un « remède à l’absence de majorité ». Je crois au contraire que c’est un poison pour le pluralisme. Une majorité nette a affirmé qu’elle ne voterait pas ce budget. Là où vous percevez un calcul politicien, je vois pour ma part un rejet politiquement sincère, pour des raisons extrêmement diverses. Je vais vous faire part des nôtres.

Ce texte consacre la poursuite d’une politique libérale, la prolongation d’un nombre incalculable de niches fiscales. Certaines sont utiles ; nous les voterions. D’autres sont inefficientes. Leur coût, de près de 100 milliards d’euros en 2023, ne sert souvent aucune politique publique et érode les recettes nécessaires pour mener à bien les grands chantiers du pays. Pis, certaines, comme c’est le cas encore dans ce projet de loi, sont défavorables au climat. La COP27 est là pour nous le rappeler : nous ne contiendrons pas le réchauffement climatique en deçà de 1, 5 degré. Nous croyons qu’il ne convient pas d’opposer la cote d’alerte des finances publiques, qui obnubile M. Le Maire, à la cote d’alerte climatique.

Pour paraphraser cette fois-ci le ministre Gabriel Attal, il y a des économies qui coûtent et des dépenses qui rapportent. Nous ne cesserons de vous rappeler qu’un euro investi aujourd’hui dans la transition écologique, ce sont 100 euros que nous ne dépenserons pas demain pour pallier les conséquences de la crise. Mieux, chaque euro investi dès à présent représente les économies d’aujourd’hui pour nos concitoyennes et nos concitoyens.

Le projet de budget pour 2023 poursuit une logique de courte vue et une vision comptable à la petite semaine. Un bouclier par-ci, un filet de sécurité par-là : vous peinez à répondre à la crise sociale provoquée par l’inflation. La population, comme nos collectivités territoriales connaissent une augmentation de leur facture énergétique que le bouclier tarifaire n’enrayera pas. Pour les ménages et une partie des collectivités, la douloureuse est d’autant plus sèche que, depuis dix années, les factures d’électricité et de gaz avaient déjà augmenté de 50 %.

Le Gouvernement se borne à faire payer le contribuable pour pallier les difficultés du client. Les finances publiques de notre pays méritent mieux que cela.

Ce projet de loi de finances pour 2023 renforce l’injustice fiscale. Il diminue l’impôt sur le revenu de toutes et tous, en prétextant soulager les classes moyennes. Que tous les contribuables de ce pays m’entendent : la classe moyenne, notion au demeurant floue, ne gagne pas 160 336 euros annuels. Dès lors, pourquoi baisser les impôts des plus riches ? C’est un choix politique.

Oui, nous maintenons notre volonté de rétablir une justice fiscale en taxant les plus riches, ce que M. Macron refuse obstinément depuis 2017. Le rétablissement de l’ISF ferait entrer 3 milliards d’euros dans les caisses de l’État, soit exactement le coût du dispositif sur les transports adopté par amendement à l’Assemblée nationale que vous avez enterré avec le 49.3.

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