Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous ouvrons le débat sur le PLF 2023 quelques jours avant la clôture de la COP27 et quelques mois après un été marqué par les canicules, les sécheresses, les incendies de forêt et les épisodes météorologiques gravissimes.
Un Français sur deux vit dans une ville exposée aux surchaleurs urbaines. Bientôt, les deux tiers du pays seront exposés à des sécheresses durables, générant d’immenses problèmes de gestion de la ressource en eau.
Nous ouvrons ce débat alors que la biodiversité et les écosystèmes sont malmenés. Ainsi, 32 % des oiseaux nicheurs sont menacés de disparition du territoire, tout comme 19 % des poissons d’eau douce. Ces chiffres, vous les connaissez déjà, puisqu’ils sont issus du site internet du ministère de l’écologie.
Nous l’ouvrons dans un contexte également marqué par la guerre menée par la Russie en Ukraine, tragédie humaine à quelques milliers de kilomètres, dont certains – hélas ! – profitent. Envolée des cours des énergies, inflation, voire récession : les conséquences sont brutales pour nos concitoyens, pour les territoires et pour notre économie.
Le pouvoir d’achat des Français est mis à mal, ce dont les effets peuvent être redoutables, notamment pour les personnes âgées, les étudiants, les foyers modestes à la limite du seuil de pauvreté. Un taux de 5 % d’inflation n’a pas les mêmes conséquences lorsqu’on gagne 1 500 euros ou lorsqu’on touche plus de 5 000 euros.
Voilà trois ans, alors que la pandémie s’étendait au monde entier, le Président de la République déclarait : « Nous sommes en guerre. » Il invitait le gouvernement d’alors et chaque composante de la société à se mobiliser. Nous n’avions aucune anticipation stratégique pour faire face à cette épidémie, dont l’ampleur était inédite.
Aujourd’hui, votre incapacité à anticiper concrètement les effets des dérèglements climatiques est affligeante. Alors que la COP27 souligne l’urgence absolue, le PLF que vous mettez en débat relève, au-delà de quelques mesures ponctuelles bienvenues, de la sacro-sainte orthodoxie libérale : baisse des impôts, retour à un moindre déficit et désarmement financier de l’État.
Cette trajectoire marque une absence de conviction et de volonté de s’attaquer vraiment à la crise climatique, de l’anticiper si possible et de nous y adapter.
Au fond, ces crises confortent – hélas ! – les analyses que portent les écologistes sur notre société depuis tant d’années. J’aurais préféré qu’il en fût autrement, mais la crise est là, et les incertitudes s’amplifient. Elles exigent une boussole et un cap.
Edgar Morin rappelle que vivre, c’est « naviguer dans une mer d’incertitude, à travers des îlots et des archipels de certitudes sur lesquels on se ravitaille ». Des îlots et des archipels vers la transition écologique, nous en identifions. En voici un, qui fut voté à l’Assemblée nationale : il consiste à s’engager efficacement et immédiatement dans l’isolation thermique des bâtiments.
Vous mettez 47 milliards d’euros dans des boucliers énergétiques et 2, 5 milliards d’euros pour la rénovation du bâti. Cette proportion dit tout : c’est une erreur ; c’est même une faute. Le bouclier doit être plus ciblé – je vous ai entendu le reconnaître –, et la rénovation doit être plus large.
Un investissement massif dans l’isolation thermique permettrait à des millions de familles de ne plus vivre dans la précarité énergétique, diminuerait notre dépendance aux fossiles et nos émissions de CO2, dont un quart proviennent du chauffage. C’est aussi rendre ces logements habitables, ce qui est essentiel aujourd’hui.
On peut aussi ravitailler financièrement le bateau France en créant un ISF climatique. Au-delà des 10 milliards d’euros de recettes potentielles, vous permettriez aux plus aisés, qui sont aussi ceux qui polluent le plus, de contribuer bien plus activement à la bifurcation écologique. Je suis sûr qu’ils vous en sauraient gré. Le patrimoine cumulé des 500 plus grandes fortunes françaises dépassant les 1 000 milliards d’euros, cette participation serait un effort modeste et acceptable en rapport avec la soutenabilité de leur mode de vie pour que notre planète reste habitable.
Il faudrait aussi instaurer un système de bonus-malus : bonus, avec une fiscalité moindre pour tout ce qui répare, ce qui recycle et ce qui soutient la sobriété ; malus pour tout ce qui augmente les émissions et pour les consommations excessives.
Il convient également de soutenir vigoureusement la recherche, la création culturelle, la vie associative, l’éducation, et tout ce qui fait de notre société une démocratie humaniste et éclairée.
L’école, l’hôpital, la justice, l’accueil du grand âge ou de la petite enfance, l’accès au logement… Pas un secteur où les besoins d’intervention améliorée de l’État ne soient criants. C’est pourquoi nous plaidons pour une redistribution des richesses par un impôt plus progressif, et pour la taxation des dividendes, celle des profits excessifs et celle – je répète le mot – des superprofits.
Même les intérêts de la dette, qui passent à 50 milliards d’euros, soit 14 milliards d’euros de plus que l’an passé, justifieraient que vous ne désarmiez pas la capacité financière de l’État.
Pourtant, vous supprimez 8 milliards d’euros de CVAE en deux ans, comme si nous pouvions à ce point nous passer de recettes fiscales, si nécessaires pour améliorer nos services publics, qui sont en souffrance.
Les outils de l’État en faveur de la transition écologique – je pense à l’Office national des forêts, à Météo-France, à l’Office français de la biodiversité, au Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) – ont tous besoin de moyens humains et financiers. Les quelques unités supplémentaires que vous leur accordez ne compensent pas les coupes sombres des dernières années. Pis, vous diminuez de 4 295 équivalents temps plein (ETP) les services de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Nous voulons aussi, messieurs les ministres, une société plus inclusive et plus juste. Avec 57 milliards d’euros de dividendes versés l’an passé, notre pays pulvérise le record d’Europe en la matière. En athlétisme, face à une performance aussi incroyable, on aurait exigé un contrôle antidopage.
Mais cette performance ne se traduit pas par une hausse des rémunérations des salariés. Les écarts de revenus sont toujours plus insupportables et exigent des réponses nouvelles et, en premier lieu, une meilleure rémunération du travail.
Nous devrions aussi garantir à tous nos concitoyens un accès à un coût très bas aux premiers mètres cubes d’eau ou aux premiers mégawattheures de gaz ou d’électricité, pour que chacun puisse se voir garantir ce qui lui est essentiel pour vivre. Quant au superflu ou au non essentiel, que chacun le paye ! Voilà une mesure simple de justice sociale.
Le Gouvernement doit réorienter ses financements publics vers tout ce qui rend notre société plus durable et résiliente : une agriculture paysanne, une équité d’accès au service public sur tout le territoire, une alimentation bio et locale abordable, via le chèque alimentaire promis et toujours attendu, la lutte contre les îlots de chaleur… La liste pourrait être longue. Nous déposerons des amendements en ce sens sur tous ces sujets, et nous les défendrons avec ferveur.
Le fonds vert de deux milliards d’euros a l’avantage d’être un fonds de recyclage, mais il ne suffira pas à couvrir tous ces besoins.
Enfin, nous voulons, messieurs les ministres, une République de territoires et une véritable acceptation de votre part de la décentralisation.
Laissez les collectivités, confrontées à la crise du logement et à l’impossibilité de loger les étudiants et les jeunes ménages en raison de la multiplication des résidences secondaires et des Airbnb, libres de fixer leur taxe d’habitation sur les résidences secondaires, celles sur les hôtels de luxe ou les logements vacants ! Laissez aux collectivités chargées des transports collectifs la possibilité de moduler le versement mobilité des entreprises. Protégez-les en élargissant le bouclier énergétique ou même en indexant la dotation globale de fonctionnement (DGF) à l’inflation, comme ce fut si longtemps le cas.
Et, surtout, renoncez à votre volonté de contrôler leurs choix ! Supprimez l’article 23, maquillé en article 40 quater ! Mais vous ne répondez pas sur ce sujet.
Les marges d’amélioration de ce PLF sont nombreuses. Notre groupe fera des propositions. Il me semble toutefois indispensable de poser deux postulats. D’une part, la fraternité et l’égalité de notre devise républicaine nécessitent de réduire les injustices et de mieux distribuer la richesse produite dans notre pays. D’autre part, la dette climatique est, pour aujourd’hui comme pour demain, au moins aussi dangereuse que la dette financière.