Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « la pauvreté exclut […] et la richesse isole ». Ces mots de l’écrivain Lawrence Durrell résonnent aujourd’hui avec une acuité particulière.
Le rôle de l’État est de garantir et d’entretenir le lien social entre chaque individu, de lutter à la fois contre l’exclusion et contre l’isolement. Tout cela est possible grâce à une fiscalité équilibrée et juste, adaptée aux défis de notre société.
Cette question des recettes fiscales sera centrale dans les débats des prochains jours, car elle pose les fondements d’une véritable politique sociale et solidaire. Manifestement, nous n’avons pas la même approche.
Venant après la loi de programmation des finances publiques pour 2023-2027, ce premier budget illustre parfaitement le positionnement idéologique libéral du Gouvernement. Dans le droit fil du quinquennat précédent, monsieur le ministre, vous poursuivez méthodiquement le désarmement fiscal de notre pays.
Ces cinq dernières années, vous avez déjà renoncé à 54 milliards d’euros de prélèvements obligatoires ; autant de milliards qui auraient pu utilement contribuer à réduire le déficit public sans avoir à rogner sur les dépenses publiques.
Vous nous proposez de poursuivre dans la même voie. Avec la suppression de la CVAE et celle de la contribution à l’audiovisuel public, vous renoncerez a minima à 54 milliards d’euros supplémentaires.
Alors que le poids de la dette s’alourdit, est-il raisonnable de se priver ainsi de recettes ? Alors que nous traversons une crise économique profonde, qui va affecter durablement nos concitoyens, est-il raisonnable de renoncer à certaines politiques publiques ?
Votre choix est clair : le redressement des comptes publics ne pourra passer que par des réformes structurelles – assurance chômage, retraites, encadrement des dépenses de l’État et des collectivités.
Les inégalités se creusent de plus en plus. Le rapport du Secours catholique sur l’état de la pauvreté en France, sorti aujourd’hui, en atteste : alors que les revenus du travail augmentent peu, les revenus du capital liés aux actifs boursiers et immobiliers, explosent. Que faites-vous face à ce constat alarmant, qui fragmente de plus en plus notre société ? Pas grand-chose, hélas !
Symbole de l’injustice grandissante qui frappe nos concitoyens, les profits exceptionnels engrangés par les entreprises du CAC 40 s’élèvent à 174 milliards d’euros en 2021. Cette progression n’est pas due aux gains de productivité ni au dynamisme économique de 2020, première année de la crise sanitaire. Voilà une définition claire et chiffrée de ce que sont les superprofits.
Au regard de ces records historiques, ces entreprises supporteraient aisément une taxation spécifique en ces temps où nombre de ménages sont étranglés par l’inflation. Il ne peut y avoir, d’un côté, ceux à qui l’on distribue des dividendes et, de l’autre, ceux à qui l’on distribue des colis alimentaires. Notre société se fracture ; elle a besoin de vraies politiques publiques avec des services publics forts et présents en tout point du territoire.
Au plus près des habitants, les collectivités jouent un rôle majeur en matière de cohésion sociale. Le moins que l’on puisse dire est qu’elles ne sont pas épargnées par ce texte. Oubliée, la crise des « gilets jaunes » ! Oubliée, la phase aiguë de la crise sanitaire ! Aujourd’hui, les collectivités locales sont la variable d’ajustement des comptes publics.
Malgré son rejet par l’Assemblée nationale, malgré son rejet par notre assemblée lors de la discussion du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, le Gouvernement a réintroduit dans le projet de loi de finances l’encadrement des dépenses de fonctionnement des collectivités locales. Succédant aux contrats de Cahors, les pactes de confiance font de nouveau peser sur les collectivités la baisse de la dépense publique.
Qu’en est-il, dans ces conditions, de leur libre administration et, surtout, de leur autonomie financière ?
Ces pactes vont venir limiter grandement leurs capacités d’investissement. Or, vous le savez parfaitement, les collectivités restent au premier rang de l’investissement public dans notre pays dont elles réalisent plus des deux tiers. Fragiliser les collectivités territoriales, c’est fragiliser le tissu économique et l’emploi local. Je ne suis pas certaine que les PME, en proie, elles aussi, aux difficultés liées à l’inflation, puissent supporter une baisse de la commande locale.
Quelle société voulons-nous demain ? Que se passera-t-il si les collectivités territoriales ne jouent plus le rôle d’amortisseur social ?
Une fois de plus, ce sont les administrés, les usagers, notamment les plus modestes, qui seront les premières victimes de vos choix politiques.
Je pourrais également parler de la suppression de la CVAE et de ses multiples conséquences, de l’insuffisance des crédits consacrés au filet de sécurité mis en place, l’été dernier, sur l’initiative des parlementaires, ainsi que de beaucoup d’autres sujets largement évoqués par mes collègues.
En ce qui concerne le pouvoir d’achat, si les dispositifs tels que le bouclier tarifaire sont indispensables pour bon nombre de Français, le Gouvernement privilégie toujours les aides ponctuelles au détriment des vraies réformes.
Il est grand temps de s’attacher réellement à la lutte contre la pauvreté, contre la précarité, contre l’exclusion en privilégiant le dialogue et l’écoute avec les partenaires sociaux et le monde associatif, sans oublier les députés et les sénateurs.
Appréhender la maîtrise des comptes publics sous le seul prisme de la dépense publique en refusant d’envisager de nouvelles recettes, et pire encore, en continuant de faire des cadeaux fiscaux aux plus riches, n’est pas une bonne manière de faire.
J’y insiste, ce projet de loi de finances s’inscrit dans la continuité des cinq précédents : il continue d’aggraver les inégalités sociales, de désarmer la puissance publique et de malmener les collectivités locales. Aussi, notre vote s’inscrira, lui aussi, dans la continuité.