Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici donc face à cet Everest, face à ce budget impossible et pourtant nécessaire, un budget qui doit encore faire face à l’urgence, mais aussi remplir sa fonction première, celle de préparer l’avenir et de proposer un cap.
En ce sens, ce budget doit s’inscrire dans une trajectoire, celle de la programmation pluriannuelle de nos finances publiques, dont notre pays disposera – du moins, je l’espère – dans le cadre que le Sénat a retravaillé, en responsabilité.
Dans le contexte particulier du rejet de ce texte par l’Assemblée nationale, nous avons décidé d’adopter un projet réécrit, qui semble, hélas, déjà dépassé. Nous avons choisi de calquer – enfin ! – l’effort des administrations centrales sur celui demandé aux collectivités territoriales, en fixant le taux de progression de leurs dépenses 0, 5 point en dessous de l’inflation, pour aboutir à une trajectoire plus ambitieuse, que vous nous avez dit partager désormais, monsieur le ministre, et retrouver en 2025 des niveaux de déficit et de dette plus acceptables, bien qu’encore élevés.
Si nous pouvons partager la volonté de mieux coordonner politique monétaire et politique budgétaire, de veiller à un meilleur partage de la valeur en faveur du travail, de renforcer notre indépendance énergétique et de protéger de manière ciblée nos concitoyens, nos entreprises et nos collectivités, nous ne pouvons souscrire ni à des hypothèses macroéconomiques trop optimistes ni à l’absence de réformes structurelles, qui limite la crédibilité de l’exercice, comme l’a rappelé ma collègue Christine Lavarde.
Nous proposerons donc plusieurs voies pour y remédier sans renoncer à une ambition pour notre pays, en procédant à des économies de l’ordre de 4 milliards d’euros, et en sortant enfin du « quoi qu’il en coûte ».
L’examen des principaux éléments de l’équilibre, ou plutôt du déséquilibre, du projet de loi de finances pour 2023 que vous nous présentez, monsieur le ministre, ne manque en effet pas de nous inquiéter à cet égard.
On relève ainsi un scénario macroéconomique incontestablement trop optimiste, une inflation durable, estimée à 5, 4 % en 2023, chiffre peut-être encore sous-estimé, un niveau de déficit exceptionnellement élevé, passé de 67 milliards d’euros en 2017 à 158 milliards en 2023, et une explosion de la dette et de son coût.
Cette dette – son poids, son évolution, ses flux comme son stock, ses fondements, qui ne prennent racine que dans nos dépenses de fonctionnement – est la source majeure des inquiétudes et du manque de lisibilité qui frappent notre pays, comme l’a rappelé notre rapporteur général Jean-François Husson.
Le niveau de cette dette, estimé à 111, 2 % du PIB dans ce texte, mais qui sera sans doute plus élevé encore, nous contraindra à emprunter le montant record de 270 milliards d’euros sur les marchés financiers. L’année 2023 verra bien le rendez-vous avec le mur de la dette, sur lequel nous vous avions déjà alerté.
Face à ce mur, la structure de nos finances publiques déjà dégradée les rend confiscatoires et, trop souvent, inefficaces. En témoignent deux chiffres, qui eux-mêmes se sont déjà dégradés depuis notre examen du projet de loi de programmation des finances publiques : le taux de prélèvements obligatoires s’établit à 44, 9 % du PIB ; le taux de dépenses publiques, à 56, 9 %. Des mesures plus radicales, des choix tranchés et lisibles sont donc nécessaires.
Vous le savez, monsieur le ministre, nous défendons avec vous la nécessité de réduire les prélèvements obligatoires, déjà trop élevés dans notre pays. Au regard du contexte, nous proposerons, sans remettre en cause la suppression de la CVAE, de lui apporter des aménagements pour garder un lien avec le territoire et garantir une dynamique de cette ressource pour les collectivités, via un dégrèvement dans un premier temps.
Alors que la réindustrialisation de notre pays est lourdement remise en cause par la hausse des prix de l’énergie en Europe, faire le pari de baisser les taux de nos impôts de production pour voir leur rendement s’améliorer, comme on l’a constaté pour l’impôt sur les sociétés (IS), est bien nécessaire, mais cela ne suffira pas.
Pour ma part, je défendrai des amendements visant à engager un réel effort sur la dépense fiscale et sociale, qui pèse près de 130 milliards d’euros dans notre pays. Il s’agit, d’une part, de borner dans le temps toute niche fiscale et, d’autre part, d’engager une trajectoire de baisse de 10 % par an de la dépense fiscale. De même, je défends l’idée qu’il faut s’interdire toute baisse de TVA, son effet sur les prix et le pouvoir d’achat étant plus qu’aléatoire, alors qu’elle prive de ressources l’État et, désormais, les collectivités.
Quant aux postes de dépense, même si nombre d’entre eux nécessiteraient un développement, je ne peux m’attarder que sur deux d’entre eux : ceux qui sont liés à la mobilité et, surtout, les soutiens accordés aux collectivités territoriales, qui ne constituent d’ailleurs pas une dépense.
En ma qualité de rapporteur spécial sur les transports terrestres et maritimes, j’aurai l’occasion de m’exprimer plus largement lors de l’examen de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ». Si la trajectoire de la loi d’orientation des mobilités (LOM) est respectée, grâce au plan de relance, nous savons tous ici – mon collègue Hervé Maurey et moi-même l’avons d’ailleurs dénoncé dans notre rapport d’information sur la situation de la SNCF et ses perspectives – que nous n’affrontons pas les enjeux auxquels nous faisons face.
Ainsi, nos infrastructures ont besoin d’investissements, à hauteur de 100 milliards d’euros, notre matériel roulant attend encore des moyens de modernisation et nous vivons déjà une contraction de l’offre, qui risque encore de s’amplifier alors que nous devrions susciter la demande pour améliorer notre trajectoire carbone tout en remédiant aux difficultés de pouvoir d’achat auxquelles tous sont confrontés.
Je sais – nous savons tous – que les réponses ne sont pas simples, mais désormais elles revêtent même une dimension démocratique, avec l’instauration des zones à faibles émissions, par exemple, ou encore les usages en territoires périphériques, qui risquent d’exclure nombre de Français de notre société. Nous risquons d’accroître les fractures…