Certes, mon cher collègue ! Nous risquons aussi de renforcer la cohorte des dépossédés, de tous ceux qui se sentent exclus du monde qui advient alors qu’ils travaillent : ils constituent une majorité exclue d’un modèle qu’une élite bien-pensante veut lui imposer.
Alors oui, osons ! Osons innover pour enfin investir, pour enfin moderniser nos voies ferrées – toutes seront bientôt concernées –, mais aussi certaines de nos routes. Comment le faire ? Par un grand emprunt ? Je crains que nous n’en ayons plus les moyens. Par un grand projet européen ? Je crains que nos faiblesses ne nous le permettent plus. Par une société de projet ? Pourquoi pas, puisque la SNCF nous promet des retours sur investissement à trois ans et demi sur certains investissements majeurs. La débudgétisation, la sortie de l’annualité, les perspectives offertes, sur dix ou vingt ans, par la mobilisation de fonds verts et de partenariats public-privé doivent nous le permettre. Essayons, essayons vraiment !
Ce projet de loi de finances confirme aussi que le seul facteur de déséquilibre est constitué par le budget de l’État, alors que les collectivités sont à l’équilibre et que la sécurité sociale s’en rapproche, même si ses perspectives inquiètent. D’où mon dernier point sur les territoires et les collectivités.
Commençons par rétablir la confiance. Nous avons supprimé l’article 23 du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, qui prévoyait d’encadrer les dépenses des collectivités territoriales alors que celles-ci n’aggravent pas le déficit. L’attachement aux libertés locales n’est pas compatible avec un encadrement des dépenses des collectivités, mais appelle plutôt à une lisibilité autour d’un pacte de confiance pluriannuel. Le système de contrôle et de sanction proposé n’est pas acceptable. Comment pouvez-vous, au détour de l’emploi du « 49.3 » à l’Assemblée nationale, le réintroduire dans ce projet de loi de finances, à l’article 40 quater ?
La première urgence est donc de revenir sur cette disposition, si vous voulez confirmer que l’exécutif est « ouvert aux propositions » du Sénat, comme le Gouvernement le déclare, et faire confiance aux collectivités qui ont montré qu’elles en étaient dignes.
S’agissant des dépenses des collectivités, sans entrer dans les chiffres, rétablissons quelques vérités. Les collectivités territoriales ne sont pas un problème pour les comptes de la Nation. Les dotations ne sont pas des subventions de l’État, elles ne sont pas un don, mais un dû, car elles sont la contrepartie, à l’euro constant près, soit de la nationalisation d’une fiscalité jusqu’alors locale, soit d’un transfert de charges de l’État vers les collectivités. C’est même un principe constitutionnel !
Au fil des années, plus l’État a prélevé sur les finances locales pour ses besoins, plus son propre déficit s’est accentué. Depuis 2014, 46 milliards d’euros ont ainsi été piochés dans les budgets des collectivités par un État dont le déficit est reparti à la hausse depuis 2018, soit avant le covid-19. C’est d’autant plus pernicieux que les excédents de fonctionnement des collectivités territoriales améliorent la présentation à Bruxelles des comptes publics de l’État.
Mais au-delà des difficultés rencontrées à microéchelle, si l’on peut dire, par chaque commune, la désindexation des dotations générera, à l’échelle macroéconomique, un effet récessionniste. L’hypothèse de croissance retenue par le Gouvernement pour 2023 est de 1 %. Ce chiffre faible, déjà optimiste, sera revu à la baisse si les collectivités territoriales, qui ne représentent en France que 19 % du total de la dépense publique, mais assument plus de 70 % de l’investissement public, se voient privées de leur capacité d’autofinancement en raison de l’effet de ciseaux de la dynamique des charges qu’elles subissent. Car là est bien le véritable sujet, celui de l’autofinancement des collectivités.
Ne pas garantir, en euros constants, les recettes supposées appartenir aux collectivités, via le produit du résidu de fiscalité locale et, surtout, des dotations qui s’y sont substituées, remettrait en cause leur vertu contracyclique de soutien à l’activité en période de difficulté et générera ainsi un effet récessionniste.
Nous avions défendu, lors des « dialogues de Bercy », le maintien de la dynamique des bases fiscales sur la fiscalité locale : c’est une mesure importante de stabilité des règles et de respect de l’autonomie financière des collectivités. Je me réjouis qu’à ce stade nous soyons entendus.
Concernant les dépenses, les collectivités devraient pouvoir bénéficier de dispositifs de soutien renforcés face aux prix de l’énergie, comme nous le demandons depuis des semaines, dans l’attente d’une révision à l’échelle européenne du prix de référence de l’électricité. J’insiste sur ce point, qui me semble crucial, car cela nous exonérerait de bien des efforts budgétaires. Monsieur le ministre, le Gouvernement pense-t-il pouvoir enfin obtenir de l’Europe le régime ibérique ?
Bruno Le Maire nous a affirmé tout à l’heure que l’Europe doit faire bloc. Il semble pourtant, hélas, que ce ne soit pas tout à fait le cas aujourd’hui.
La discussion va s’engager de manière constructive et responsable dans cet hémicycle. Notre groupe y participera activement.
Monsieur le ministre, nous allons pouvoir vérifier, dans les jours qui viennent, si vous voulez donner de la lisibilité et de l’efficacité à notre dépense publique, pour renouer avec la confiance et l’espérance.