Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la contribution de la France au budget de l’Union européenne a légèrement reculé cette année, en dépit du Brexit, alors même que le Royaume-Uni était contributeur net, et du soutien à l’Ukraine, pour lequel des marges de manœuvre financières ont pu être mobilisées. Comme les années précédentes, la France reste le deuxième pays bénéficiaire des dépenses liées aux politiques européennes.
Le budget européen appelle aujourd’hui toute notre vigilance sur les points suivants.
En premier lieu, l’accroissement, année après année, des restes à liquider souligne la difficulté persistante à engager rapidement les crédits. Le retard au démarrage se répercute sur l’ensemble du cadre financier pluriannuel : des montants importants de crédits du CFP 2014-2020 sont encore non consommés alors qu’ils doivent l’être d’ici à la fin de 2023. L’ensemble des restes à liquider correspond quasiment à deux exercices budgétaires. Ce décalage, vous le comprendrez, n’est pas sans conséquence sur les dynamiques économiques.
En second lieu, le cadre financier pluriannuel 2021-2027 a été établi dans un contexte qui n’est absolument plus celui que nous connaissons. En seulement quelques années, la situation a évolué dans de nombreux domaines : pandémie, guerre en Ukraine, inflation, coût de l’énergie et perspectives de coopération européenne qui en découlent, problématiques environnementales et transitions dans lesquelles nous allons devoir nous engager à un rythme accéléré. Une révision rapide de ce cadre financier devient clairement nécessaire.
Alors que la guerre s’annonce longue, que nous devons soutenir l’Ukraine et maintenir notre pression sur le régime russe, les enjeux de ce budget européen pour 2023 sont nombreux.
D’abord, il nous faudra disposer d’une marge suffisante pour répondre aux besoins liés à la guerre en Ukraine et à ses conséquences économiques et sociales.
Ensuite, nous devrons préserver le financement, en euros constants, des politiques fortement pénalisées par l’inflation. C’est particulièrement vrai pour la PAC : la perte de pouvoir d’achat pourrait atteindre 33 % à l’échéance 2027. Une telle perte est d’autant plus importante qu’une exploitation sur deux trouve son équilibre financier au travers des aides de la PAC. Il faudra maintenir les crédits si l’on veut développer le pacte rural annoncé pour lutter contre les inégalités territoriales, l’Europe de la défense et les autres programmes nous permettant de faire face aux turbulences actuelles.
Enfin, il conviendra de s’assurer du refinancement par les États membres des emprunts contractés pour le financement du plan de relance européen. En effet, l’Union européenne doit satisfaire à ses obligations de remboursement de l’emprunt contracté dès 2028. On parle d’un remboursement de l’ordre de 15 milliards à 20 milliards d’euros chaque année sur trente ans. La France serait appelée à rembourser la part subventions de la facilité pour la reprise et la résilience à hauteur d’environ 2, 4 milliards d’euros par an.
Alors que les factures énergétiques explosent et que les fins de mois sont de plus en plus difficiles pour beaucoup de nos concitoyens, de nos entreprises, de nos collectivités et de nos institutions, le temps est venu de défendre des mécanismes de solidarité ambitieux, en donnant des moyens de long terme.
En l’état, le budget européen n’est pas en mesure d’apporter un soutien adéquat en raison de ses marges de manœuvre très limitées.
Si nous aspirons à renforcer l’Union européenne, il faut doter son budget de véritables leviers d’action allant bien au-delà des contributions des États ; elle doit pouvoir disposer de ressources propres solides.
La Commission a présenté, au cours du premier semestre 2021, des propositions en ce sens. En tout état de cause, ces nouvelles ressources ne pourront être mises en œuvre d’ici au début de 2023 comme cela était initialement prévu.
Pourtant, un premier instrument pourrait être mis rapidement à la disposition des gouvernements : la taxation des superprofits. Ce dispositif a l’avantage d’être immédiatement applicable et de répondre ainsi à l’urgence absolue qu’est la cohésion sociale de notre nation et de l’Europe.
Il est inconcevable de laisser de grandes entreprises réaliser des profits, notamment en matière d’énergie, sur le dos de nos concitoyens, qui peinent à vivre, et de tirer avantage de la guerre aux portes de l’Europe. Ces entreprises énergétiques doivent de l’argent à la société ; ne pas les taxer serait une faute morale et une injustice inacceptable.
Les institutions internationales, comme le Fonds monétaire international (FMI), et la Commission européenne soutiennent la mise en place de tels mécanismes. L’Italie, la Grèce, la Roumanie, l’Espagne ou encore le Royaume-Uni ont instauré de telles taxes et l’Allemagne s’y attelle.
Là encore, le gouvernement français a fébrilement validé en urgence le règlement ouvrant la voie à un dispositif temporaire de taxation des superprofits, bien évidemment sans explication claire sur les modalités de mise en œuvre et sans afficher une réelle ambition d’aller au-delà de ces engagements européens.
Mes chers collègues, nous savons tous que l’hiver sera rude sur le plan énergétique, avec des conséquences économiques, sociales et politiques que personne ne peut ignorer.
Pour aider les Européens dans cette crise, il va falloir trouver de l’argent. Or de l’argent, il y en a, même s’il est inégalement réparti. Il existe, sur ce continent et ailleurs, un vrai problème de consentement des plus riches d’entre nous à l’impôt qu’il va falloir affronter.
Il va falloir l’affronter, car la réponse à cette crise passera notamment par la fiscalité, sans laquelle il n’est pas de souveraineté ni d’indépendance.
Il va falloir l’affronter ensuite en proposant un cadre pérenne de taxation des surprofits qu’il ne faut pas limiter au secteur de l’énergie.
Il va falloir l’affronter encore en modifiant nos règles fiscales, à savoir sortir de l’unanimité et aller au-delà de l’article 122 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Décider à la majorité qualifiée permettrait de ne pas subir les chantages de certains gouvernements.
Il va falloir l’affronter enfin en proposant d’instaurer, à l’échelle européenne, une taxe sur les sociétés, une taxe sur les transactions financières, enlisée depuis de nombreuses années, et en imposant une taxation sur le numérique – faute de consensus, cette dernière proposition ne s’est jamais concrétisée en une véritable mesure fiscale.
Il est nécessaire d’explorer d’autres pistes, telles qu’une taxation des crypto-actifs qui visera, avant tout, à faire entrer le monde des cryptos dans l’état de droit et, par conséquent, dans la démocratie. L’actualité de FTX témoigne de l’urgence à agir dans ce domaine.
Des Européens vont peut-être devoir choisir entre se nourrir et se chauffer. Malgré les boucliers et accompagnements divers mis en œuvre, nous faisons face à une vraie bombe sociale et, in fine, à une vraie bombe démocratique.