S'agissant des travailleurs des plateformes, nous sommes en effet partis d'une approche différente. Comme Mme Harribey l'a souligné, il s'agissait de protéger les travailleurs concernés. La Commission, comme le Parlement européen, a choisi une approche par le statut, avec une présomption de salariat réfragable dès lors que des critères d'indépendance seraient réunis. In fine, l'objectif était le même : alors que ces nouvelles modalités de travail se développent, que les plateformes augmentent leurs activités, la question se posait de légiférer pour garantir les droits de ces travailleurs, quel que soit leur statut. En partant d'une approche pratique, nous avons essayé de jouer sur les critères afin de pouvoir faire converger les différentes positions. Il s'agit de distinguer entre ce qui doit être traité comme du salariat et ce qui relève du droit applicable à des travailleurs indépendants. Dès lors que nous pourrions trouver des critères suffisamment clairs, nous aurions abouti à des résultats à peu près équivalents. C'est pourquoi nous accompagnons l'action de la présidence tchèque. Nous n'y sommes pas encore, mais au fur et à mesure que les discussions progressent, nous arrivons à dépasser nos différences d'approches initiales. Nous avons donc évolué sur la méthode, mais avec des objectifs qui restent équivalents sur le fond.
S'agissant du soutien à l'Ukraine, il faut distinguer - cela fait partie des chantiers qui sont devant nous - la réalité du soutien européen, qui est massive, et la communication, qui ne se situe pas au même niveau. Il est clair que ce sont les Européens qui assument l'essentiel de l'effort. D'abord par les conséquences du découplage économique à l'oeuvre, en matière énergétique, mais pas seulement puisque les sanctions sont très profondes. Il était plus facile pour les États-Unis de renoncer au pétrole russe puisqu'il ne représente qu'une part minime de leurs importations ! Le soutien à l'Ukraine, qu'il soit macro-financier, militaire, humanitaire, sans parler du soutien aux réfugiés, fourni par les institutions européennes et par les États membres se compare avantageusement à celui fourni par les États-Unis ou le Royaume-Uni, même s'il existe effectivement une force de frappe américaine en matière d'équipement militaire.
En ce qui concerne la confiance en l'Union européenne et les fractures pouvant être à l'oeuvre entre les États membres, la situation est assez complexe. Il n'y a pas de bloc qui se manifeste de manière univoque. Même si la Pologne et la Hongrie se retrouvent, par exemple, pour bloquer des procédures en matière d'État de droit, ces deux pays ont des positions très différentes s'agissant de la guerre en Ukraine. Les fractures ne sont donc pas aussi claires. Un lieu commun s'est développé, en provenance de certains pays de l'Est, mais surtout des États-Unis et de la presse britannique, selon lequel l'axe franco-allemand serait en partie affaibli. À les écouter, la Pologne et les pays Baltes seraient la nouvelle Europe. Ce n'est pas ce qui se constate à Bruxelles où nous sommes parvenus à garantir l'unité. Il s'agit donc d'une division artificielle. Personne ne pense que l'on en revient aux analogies de M. Rumsfeld entre la nouvelle Europe et l'ancienne Europe.
Certes, il existe un enjeu de maintien de la confiance dans l'action de l'Union européenne. Il y a une sorte de course de vitesse entre une action qui est de plus en plus forte, de plus en plus solidaire et qui couvre de plus en plus de domaines, et des attentes qui vont encore plus loin. Dans des périodes précédentes où des crises majeures avaient frappé l'ordre international - par exemple la guerre d'Irak -, l'Union européenne s'était profondément fracturée en deux, mais personne n'avait perçu cela comme un échec, car l'attente était moins forte.
Je rebondis sur la question de l'Italie. Je n'en ai pas dit un mot explicitement, mais j'ai mentionné que la question de la protection de la démocratie et de l'État de droit se posait plus précisément aujourd'hui : c'est à cela que je faisais référence, avec peut-être un peu trop de réserve diplomatique. Il nous faudra, dans les mois qui viennent, qu'il s'agisse de l'Italie ou de la Suède, être particulièrement vigilants. Les écarts et les infractions feront l'objet de réponses par les instruments que nous avons développés.
Le deuxième point de vigilance porte sur les valeurs faisant l'objet de débats politiques dans la plupart des États membres. Certains contredisent la construction européenne - cela appellera des réponses -, d'autres sont simplement des débats sociétaux qui se retrouvent dans le débat public européen. Il importera de faire cette distinction. Bien évidemment, l'euroscepticisme peut être un risque pour la solidarité européenne et l'efficacité de son action. Quid si des États membres n'honoraient pas leurs engagements ? Aujourd'hui, c'est la Hongrie qui menace de le faire, mais elle n'a pas suffisamment de poids. Si d'autres États membres se joignaient à elle, cela aurait un impact plus systémique. Des pays comme la Pologne ou l'Italie sont dans la contradiction : ils attendent énormément de l'Europe en termes de solidarité, d'action, d'efficacité, mais en même temps ils manifestent, dans le discours politique, de la défiance par rapport à une Europe qui serait trop forte.
En ce qui concerne la Convention sur l'avenir de l'Europe, le sentiment commun est que des réformes sont nécessaires. Nous avons agi dans l'urgence, nous sommes parvenus à apporter des réponses opérationnelles et efficaces, mais aucune de nos actions n'est autoportée dans la durée. Les crises vont continuer à se produire et les institutions actuelles ne sont pas adaptées, sans parler d'un possible élargissement de l'Union dans les prochaines années. Voilà pourquoi la plupart des États membres estiment que cette réforme est absolument indispensable. La question tient plutôt à la méthode. L'expérience de la Convention de 2001 a été perçue comme un contre-exemple. L'idée est donc de prendre les choses à l'envers et de faire mûrir cette discussion, de rapprocher les États membres, d'identifier ce qui peut être fait sans révision des traités et ce qui doit être fait avec révision des traités, etc. Si le besoin d'une Convention se faisait sentir, il faudrait que l'exercice soit plus juridique que politique.
Nous sommes prudents dans la méthode. En effet, comme vous l'avez souligné, s'il fallait rouvrir de manière très large les traités, il est probable que certains États membres demanderaient des modifications qui nous paraîtraient, à nous, des reculs. Le débat diviserait les différents pays. À l'heure où l'unité est plus que jamais importante, mieux vaut essayer de préparer soigneusement une discussion qui, un jour, se transformera en négociation.
Comme vous le savez, les relations avec les pêcheurs néerlandais ne sont pas simples, qu'il s'agisse de la pêche électrique hier ou, désormais, de la pêche à la senne démersale. Le régime en vigueur expire en décembre 2022. Nous sommes engagés dans un trilogue qui pourrait aboutir cette semaine. Nous portons les intérêts des pêcheurs européens contre ces méthodes.