Intervention de Marie-Pierre Monier

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 1er décembre 2022 à 11h00
Proposition de loi adoptée par l'assemblée nationale visant à lutter contre la précarité des accompagnants d'élèves en situation de handicap et des assistants d'éducation — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Marie-Pierre MonierMarie-Pierre Monier, rapporteure :

Cette proposition de loi, dont l'initiative revient à notre ancienne collègue députée de l'Ardèche, Michèle Victory, a été adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale en première lecture, le 20 janvier dernier. Elle concerne deux catégories de personnels indispensables à la réalisation d'un objectif que nous partageons tous, l'école inclusive : d'une part, les accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH), d'autre part, les assistants d'éducation (AED).

Il y a un an, avec Annick Billon et Max Brisson, dans le cadre de la mission d'information qui nous avait été confiée sur le bilan des mesures éducatives du quinquennat, nous avions lancé une première alerte sur les conditions d'emploi et de travail des accompagnants des élèves en situation de handicap.

Aussi, lorsqu'il m'a été proposé de rapporter cette proposition de loi, j'y ai vu une continuité avec notre travail de contrôle, mais aussi et surtout une opportunité pour faire bouger les lignes.

Afin de disposer d'un état des lieux à jour et le plus exhaustif possible, j'ai tenu à ré-échanger avec l'ensemble des acteurs que nous avions entendus l'année dernière : collectifs d'AESH, syndicats des personnels de l'éducation nationale, syndicat des personnels de direction, fédérations et associations de parents d'élèves, représentant des directeurs de maison départementale des personnes handicapées (MDPH), responsables de pôles inclusifs d'accompagnement localisés (Pial), direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO). Je remercie d'ailleurs vivement les collègues qui m'ont accompagnée dans ce travail d'audition. Je précise que nous ne disposons pas de tous les éléments chiffrés demandés à la DGESCO mais j'espère que nous aurons toutes les informations avant l'examen en séance.

À l'issue de ce travail, je tire encore plus fort la sonnette d'alarme sur la situation des 132 000 AESH, dont 93 % sont des femmes : la précarité dans laquelle sont maintenus ces professionnels, chevilles ouvrières de l'école inclusive, n'est pas acceptable.

Les causes et les manifestations de cette précarité sont nombreuses, données statistiques à l'appui.

D'abord, leurs conditions de recrutement : plus de 80 % des AESH sont recrutés en CDD contre moins de 20 % en CDI, soit un ratio pratiquement inverse de celui observé dans les différentes catégories de salariés. C'est la loi de 2019 qui a rendu possible le passage en CDI après six ans.

Ensuite, leurs conditions d'emploi : seulement 2 % des AESH disposent d'un emploi à temps complet, la quotité de travail moyenne n'étant que de 62 %. Ce temps incomplet subi contraint les AESH à cumuler d'autres « petits » contrats pour prétendre à un niveau de revenus un peu plus décent.

Parlons des conditions de rémunération, précisément : sous l'effet cumulatif du recours généralisé aux emplois à temps incomplet et d'une grille indiciaire concentrée à des niveaux proches du Smic, la rémunération mensuelle moyenne d'un AESH n'est que de 850 euros nets, montant dont la valeur réelle s'effondre dans le contexte inflationniste actuel. L'État rémunère donc en dessous du seuil de pauvreté, ce que nous relevions déjà dans un rapport précédent, ses professionnels de l'école inclusive.

Les conditions de formation, enfin, dont les lacunes conduisent à de fréquents cas d'« auto-formation », c'est-à-dire à des situations dans lesquelles l'AESH effectue ses propres démarches pour trouver la formation répondant à ses besoins, qu'il règle sur ses propres deniers voire que les parents de l'enfant dont il s'occupe lui paient !

Dans ce panorama général, je tiens à mentionner la situation particulière des AESH exerçant dans l'enseignement agricole et maritime. Au nombre de 700 environ, ils sont confrontés à des conditions d'emploi encore plus difficiles - quotité de travail comprise entre 10 % et 20 %, non-accès aux dispositifs de formation -, si bien qu'ils se qualifient eux-mêmes de « sous-AESH ».

À cette précarité de l'emploi viennent s'ajouter des conditions de travail qui n'ont jamais été bonnes, y compris du temps des auxiliaires de vie scolaire (AVS). De l'avis unanime des AESH, mais aussi d'autres acteurs de l'école inclusive, elles n'ont cessé de se dégrader depuis quelques années.

La mise en place, à partir de 2021, des pôles inclusifs d'accompagnement localisés (Pial) a marqué un tournant dans leur aggravation. J'y consacre tout un développement dans mon rapport, au terme duquel j'appelle le Gouvernement à adopter des correctifs.

Aujourd'hui, le quotidien d'un AESH se caractérise par une très grande flexibilité : affectation dans différents établissements relevant du territoire du Pial ; prise en charge simultanée de plusieurs enfants, conséquence de l'essor de l'aide mutualisée ; changements fréquents et non concertés d'emploi du temps et d'affectation ; accomplissement de tâches ne faisant pas partie de ses missions, comme la surveillance de classes entières ou d'examens, ou l'aide à des tâches administratives ; multiplication des déplacements, en particulier en milieu rural, dont les frais ne sont pas toujours pris en charge, alors qu'ils le devraient en application de la réglementation de l'éducation nationale - et il y a des différences entre les départements- ; droits à la pause méridienne et au fractionnement des jours de congé non respectés.

Je me dois d'illustrer ce tableau, pour le moins édifiant, par quelques expressions entendues en audition : « de l'exploitation pure et simple », « des conditions de travail déshumanisées », « sentiment d'être du sous-personnel », « AESH sous-payés et corvéables », « AESH toujours relégués en dernier ».

Ces conditions de travail extrêmement dégradées conduisent à des arrêts maladie à répétition, des cas de dépression, des abandons de poste, des démissions - très nombreuses l'été dernier dans certains territoires. Indicateur particulièrement révélateur de cette désaffection, l'ancienneté moyenne dans le métier d'AESH n'est que de deux ans et demi !

Et pourtant, en dépit de l'absence de reconnaissance et de la perte de sens que les professionnels dénoncent, j'ai été frappée de constater que nombre d'entre elles ont le courage de continuer car, je cite, « c'est un beau métier », « sans AESH, il n'y a pas d'école inclusive ». Elles sont conscientes de ce qu'elles peuvent apporter aux enfants.

Alors que le métier d'AESH n'a jamais été aussi peu attractif, le paradoxe veut que, dans le même temps, les besoins d'accompagnement des élèves en situation de handicap croissent à une vitesse très soutenue.

Depuis 2017, les notifications d'aide humaine des MDPH augmentent de 11 % par an, soit à un rythme près de deux fois supérieur à celui des notifications de reconnaissance du handicap. Cette tendance à « la systématisation de l'aide humaine », comme on me l'a rapporté, est un sujet qui mériterait d'être réfléchi conjointement par l'éducation nationale et les départements, au titre de leur compétence « handicap ».

Bien que les effectifs d'AESH aient progressé de 35 % sur les cinq dernières années, que 4 000 postes aient été créés à la rentrée 2022 et que 4 000 autres le seront à la rentrée 2023, force est de constater que : des élèves en situation de handicap s'étant vu notifier une aide humaine ne sont toujours pas accompagnés ; des élèves pâtissent d'un nombre d'heures d'accompagnement inférieur à celui qui leur a été notifié ; des élèves voient leurs besoins non couverts par la quotité fixée.

Cette carence de l'éducation nationale à couvrir quantitativement et qualitativement les besoins d'accompagnement en AESH explique que certaines familles en arrivent à rechercher par elles-mêmes, ou par le biais d'associations, des AESH dits privés. J'avais posé la question au ministre qui avait appris ce type de situation par la presse !

Un marché de l'accompagnement privé est en train de se développer, même s'il est encore difficilement quantifiable. Cette évolution m'inquiète fortement, car elle provoque une rupture d'égalité dans l'accompagnement du handicap et renforce les inégalités sociales.

J'en viens, en quelques mots, à la situation des 65 000 AED, également confrontés à des conditions de travail précaires.

Pour rappel, la fonction d'assistant d'éducation, prioritairement destinée à un public étudiant, est très polyvalente : elle va de l'encadrement et de la surveillance à l'assistance pédagogique aux élèves en difficulté, en passant par l'intégration des élèves en situation de handicap.

Au moment de sa création, l'idée était aussi de faire de la fonction d'AED un tremplin pour une éventuelle future carrière dans l'éducation nationale, par le biais des concours de conseiller principal d'éducation ou de professeur. Cependant, le taux de réussite des AED à ces concours n'est aujourd'hui que de 15 %. En outre, les étudiants ne représentent que 30 % des effectifs, alors qu'ils étaient censés être majoritaires.

Au regard de ces constats, se pose la question du devenir professionnel des AED : faut-il professionnaliser cette fonction pour permettre à ceux qui le souhaitent de continuer à l'exercer et d'en faire un véritable métier ? Ou faut-il conserver sa nature première et mieux garantir ses débouchés vers d'autres emplois ?

Sans trancher ce débat de fond qui nécessiterait, à mon avis, un travail de concertation approfondi, je constate que les conditions d'emploi et de travail des AED se caractérisent par une grande précarité : rémunération au niveau du Smic ; absence de grille indiciaire, donc indice fixe ; absence de formation ; pluralité des établissements d'affectation.

Face à la diversité et l'ampleur des enjeux que je viens de décrire, pour partie communs aux deux catégories d'agents, cette proposition de loi se veut comme une première étape, nécessairement modeste, vers une amélioration de leurs conditions d'emploi et une reconnaissance du service qu'ils rendent à l'école inclusive.

L'article 1er ouvre la possibilité de recruter en CDI les AESH ayant exercé durant trois à six ans, soit potentiellement à l'issue d'un seul CDD, contre deux actuellement exigés par la loi pour une école de la confiance.

Alors que la très grande majorité des AESH enchaînent aujourd'hui les contrats courts, synonymes d'instabilité, d'incertitude, de précarité, cette accélération de la possibilité de « CDIsation » est gage de stabilité de l'emploi, de sécurisation du parcours professionnel, de visibilité quant à l'avenir et, surtout, de reconnaissance professionnelle.

Il s'agit d'une étape importante dans la professionnalisation du métier d'AESH et dans la construction de son attractivité. Je me suis beaucoup interrogée sur la durée de la condition d'exercice exigée pour pouvoir prétendre à une « CDIsation ». Où placer le curseur ? À trois ans ? Ou plus tôt encore - le ministère étant ouvert à l'idée d'un délai d'un an -, dans la mesure où, d'une part, il s'agit d'une possibilité et non d'une obligation, d'autre part, les qualités humaines et les compétences professionnelles d'un AESH peuvent être reconnues dès la fin de sa première année d'exercice ? D'ici à la séance publique, je vais poursuivre ma réflexion, tout en étant très attentive aux propos du ministre à l'occasion de la discussion budgétaire de ce soir.

J'ai, par ailleurs, pleinement conscience que, si la « CDIsation » accélérée constitue une première avancée pour les AESH, le chemin qui reste à parcourir pour améliorer leur statut et leurs conditions de travail est encore long. Il me semble fondamental que nous appelions collectivement le Gouvernement à s'atteler sans tarder à une réforme structurelle des conditions d'emploi des AESH, dans le cadre de « l'acte 2 de l'école inclusive » que le ministre nous a annoncé lors de son audition.

Plusieurs sujets relevant du niveau réglementaire nécessitent d'être travaillés simultanément : la quotité de travail, dans le but de permettre aux AESH qui le souhaitent de travailler à temps complet ; l'articulation entre le temps scolaire et le temps périscolaire, qui appelle un dialogue approfondi entre l'État et les collectivités territoriales ; l'augmentation du niveau de rémunération, qui passe impérativement par une revalorisation de la grille indiciaire ; l'application effective de la réglementation de l'éducation nationale en matière de remboursement des frais de transports ; le renforcement de la formation initiale et continue des AESH et sa prise en charge financière ; la révision du fonctionnement des Pial, afin de remédier aux dérives constatées et harmoniser les pratiques entre les territoires - d'un département à l'autre, en effet, cela varie beaucoup !

L'article 2 de la proposition de loi ouvre aux AED ayant exercé six ans en CDD le bénéfice du recrutement en CDI en cas de poursuite de leur mission. Cette disposition, votée par l'Assemblée nationale le 20 janvier dernier, a depuis été satisfaite par l'article 10 de la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire. Elle y a été introduite par le Sénat lors de l'examen du texte en première lecture, à la suite de l'adoption d'un amendement présenté par notre collègue Toine Bourrat.

Pour éviter une redondance inutile, il conviendrait de la supprimer, ce que je n'ai pourtant pas souhaité proposer à ce stade de la commission. Des remontées de terrain font état de réticences de la part des rectorats et des chefs d'établissement à « CDIser » les AED après six ans de service. Sur l'objectif visé de 5 000 « CDIsations », seules 1 000 seraient effectives. Même si le décret d'application, publié le 9 août dernier, ne présente aucune ambiguïté, une circulaire ministérielle serait peut-être nécessaire pour inciter les rectorats et les chefs d'établissement à se saisir de cette disposition. J'attends donc du ministre, en séance publique, qu'il réaffirme le principe posé par la loi du 2 mars dernier et qu'il s'engage à son application sur le terrain.

Je vous propose donc d'adopter cette proposition de loi sans modification à ce stade, en laissant la porte ouverte à des avancées supplémentaires en séance publique.

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