Bien que dénommée « déclaration », il s'agit d'un accord intergouvernemental, fixant le cadre juridique de l'exploitation des lanceurs au Centre spatial guyanais.
Ce texte a été signé à Paris, le 4 décembre 2017. Il constitue une mise à jour de la déclaration précédente, adoptée à Paris le 30 mars 2007 et ratifiée par la France par le décret du 16 décembre 2016, alors que la loi autorisant la ratification date du 21 avril 2009. On peut accessoirement s'interroger sur de tels délais...
Les parties signataires sont au nombre de 18, toutes membres de l'Agence spatiale européenne.
Bien que conclues en dehors du cadre juridique de l'Agence, son élaboration et sa négociation se sont déroulées en son sein.
L'Agence spatiale européenne, qui n'est pas une agence de l'Union européenne, a été créée par une convention de 1975. Elle est notamment en charge de la mise en oeuvre des programmes de développement des lanceurs européens et est, à ce titre, maître d'ouvrage des lanceurs Ariane et Vega.
Le Centre spatial guyanais, dont la création en 1964 avait été souhaitée par le Général de Gaulle pour renforcer la souveraineté nationale, est aujourd'hui le port spatial de l'Europe, lui garantissant un accès autonome à l'Espace.
Il regroupe des acteurs privés et publics.
Le Centre national d'études spatiales (CNES) est chargé de la coordination générale de la base de lancement.
L'Agence spatiale européenne finance une grande partie des installations du Centre spatial guyanais et les met à disposition. Elle est notamment propriétaire des infrastructures de lancements.
Arianespace est l'opérateur de lancement. Elle commercialise et fournit les services de lancement.
Enfin, ArianeGroup et Vega sont les maîtres d'oeuvre industriels des lanceurs Ariane et Vega.
Quant à l'exploitation des lanceurs russes Soyouz au Centre spatial, elle a été rendue possible grâce à un accord entre la France et la Fédération de Russie en novembre 2003. Les premiers lancements ont eu lieu en 2011.
Suite au départ précipité des équipes russes de Guyane en février 2022, en réaction aux sanctions économiques européennes, les dispositions de l'accord relatives au lanceur Soyouz sont sans objet à ce jour.
Le recours aux lanceurs Soyouz a permis au CSG de diversifier son offre, en proposant les services d'un lanceur intermédiaire, tandis que l'arrivée du lanceur italien Véga (premiers lancements en 2012) répond à la demande croissante de lanceurs légers.
La nouvelle version de la déclaration a pour objectif principal de définir le rôle des maîtres d'oeuvre ArianeGroup et Avio dans le cadre de l'exploitation à venir d'Ariane 6 et Vega-C.
Ariane 6 se déclinera en deux versions : Ariane 64, héritière d'Ariane 5 et Ariane 62, plus légère et moins couteuse, à l'instar du lanceur Soyouz. Avec la futur Vega-C, qui aura une capacité d'emport 1,5 fois supérieure à celle de Vega, le CSG proposera une gamme complète de lanceurs.
L'exploitation des lanceurs comprend leur fabrication, leur intégration, les opérations de lancement et les activités de commercialisation.
- Pour Ariane 5, le lanceur Vega actuel et Souyouz (le cas échéant) : c'est toujours Arianespace qui est chargé de leur exploitation.
- Pour Ariane 6 et Vega-C, l'exploitation est confiée non seulement à Arianespace, mais aussi à leurs maîtres d'oeuvre respectifs, à savoir l'industriel français ArianeGroup et l'industriel italien Avio. Ces deux derniers deviennent responsables de la production des lanceurs et devront supporter les risques liés à l'exploitation commerciale de leur lanceur respectif.
Les autres dispositions de la déclaration sont, à quelques détails près, semblables à la version de 2007 :
- L'Agence spatiale européenne est toujours chargée de veiller à la bonne application de la présente déclaration. A cette fin, elle dispose de droits d'audit.
- Le régime de responsabilité juridique est maintenu. Il engage fortement la France, en sa qualité d' « État de lancement ».
Ainsi, en cas de dommage à des tiers, la France supporte l'intégralité de la charge financière pour les lancements Ariane. Dans le cas des lancements Vega, la France supporte un tiers de la charge financière, les deux tiers restants étant à la charge de l'Agence spatiale. Enfin, s'agissant des lanceurs Soyouz, la France supporte l'intégralité de la charge, sous réserve de l'accord conclu avec la Russie qui prévoit le partage de cette charge financière.
Il faut noter que la responsabilité financière de la France n'a, à ce jour, jamais été engagée.
- Enfin, et on peut le regretter, le principe de préférence européenne, s'il est maintenu, reste peu contraignant. L'accord prévoit que les parties « tiennent comptent » des lanceurs exploités au CSG, « sauf si l'utilisation de ces lanceurs présente, par rapport à d'autres lanceurs (...) un désavantage déraisonnable sur le plan du coût, de la fiabilité ou de l'adéquation à la mission ».
Comme il est indiqué dans l'étude d'impact, « cet accord constitue un texte de consensus entre les trois États concernés par les programmes de lanceurs, à savoir la France, l'Allemagne et l'Italie».
En effet, si la France soutient depuis de nombreuses années la mise en place d'un réel principe de préférence européenne, certains États, dont l'Allemagne, s'y opposent.
L'attitude de l'Allemagne, qui développe seule des projets comme celui du port spatial dédié aux micro-lanceurs en mer du Nord à l'horizon 2023, interroge.
L'émergence d'une « véritable concurrence entre les États membres » pour reprendre les paroles de notre collègue Sophie Primas lors de l'audition de président du CNES en février dernier par la commission des affaires économiques, est inquiétante.
D'autant plus que l'irruption de nouveaux acteurs, tel SpaceX, largement soutenu par la puissance publique américaine, relance la course à l'Espace. La diminution radicale des coûts d'accès à l'espace, par l'entremise de sociétés privées, change radicalement les enjeux du spatial.
Or, il est inutile de vous rappeler que l'accès autonome à l'espace est un enjeu stratégique majeur : enjeu de sécurité globale, de connectivité, de communication, de lutte contre le changement climatique...
Le projet de constellation européen soutenu par Thierry Breton est un premier pas afin d'assurer la souveraineté européenne en matière de protection des communications, mais elle n'est pas suffisante. Je vous rappelle que les bandes de fréquence des satellites sont attribuées aux premiers arrivés, au premier rang desquels figurent les États-Unis.
Avec SpaceX, les États-Unis ont bâti une organisation industrielle 100 % intégrée, alors que la production des lanceurs Ariane obéit toujours à la règle du retour géographique, dont la conséquence est un ralentissement de la chaîne de production, qui compte plus de 600 entreprises, réparties dans 13 pays !
C'est la raison pour laquelle certains appellent à une refonte en profondeur de la gouvernance des lanceurs européens.
La présente déclaration n'a bien évidemment pas l'ambition de provoquer un tel Big Bang. Elle apporte néanmoins un cadre juridique renouvelé pour l'exploitation des nouveaux lanceurs européens, qu'il convient de soutenir.
La déclaration prévoit qu'elle entrera en vigueur lorsque deux tiers des parties l'auront ratifiée. Or, à ce jour, seuls six États (sur 18) l'ont ratifiée.
En conséquence, je préconise l'adoption de ce projet de loi, dont le Sénat est saisi en deuxième. Son examen en séance publique au Sénat n'est pas encore prévu à ce jour, mais je souscris personnellement à son examen selon la procédure simplifiée.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté, à l'unanimité, le rapport et le projet de loi précité.