Intervention de Catherine Belrhiti

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 24 novembre 2022 : 1ère réunion
Examen du rapport sur l'avenir de l'eau rapporteurs : catherine belrhiti cécile cukierman alain richard jean sol

Photo de Catherine BelrhitiCatherine Belrhiti, rapporteure :

Le sujet qui nous réunit aujourd'hui est essentiel. L'eau nous accompagne dans notre vie quotidienne sans même que nous y fassions attention. Mais qu'elle vienne à manquer ou qu'il y en ait trop et c'est la catastrophe. Or c'est bien là notre inquiétude. Si l'eau est trop polluée, pourrons-nous encore l'utiliser ? Si l'eau se raréfie, comment allons-nous faire face ? Si les inondations nous submergent, quel en sera le coût ? La Cour des comptes vient à cet égard de publier un rapport indiquant que l'Ile-de-France n'est pas assez préparée au risque d'inondation. Or, une crue centennale comme celle de 1910 ferait 30 milliards d'euros de dégâts.

Pourquoi avoir choisi de s'intéresser à l'eau, six ans après l'excellent rapport de prospective des sénateurs Jean-Jacques Lozach et Henri Tandonnet ? Pour l'actualiser, certes, mais aussi pour maintenir notre attention sur une question véritablement stratégique.

En effet, avec le changement climatique, le régime des précipitations se modifie, le cycle de l'eau en est altéré et nous devons faire face à des réalités nouvelles sur nos territoires.

Nous nous sommes penchés à la fois sur l'enjeu de la qualité de l'eau et sur celui de sa gestion quantitative, mais c'est surtout ce dernier aspect qui nous a occupés et préoccupés, même si les deux sont liés : mécaniquement, lorsqu'on a moins d'eau, les polluants se diluent moins et sont plus concentrés.

Nous avons évacué de notre champ d'investigations la question de l'eau dans les outre-mer, d'abord parce que la délégation sénatoriale aux outre-mer serait mieux placée que nous pour y travailler et ensuite parce que les enjeux climatiques en zone tropicale ou encore de gouvernance dans des territoires insulaires ou enclavés, ne se posent pas du tout dans les mêmes termes que dans la France hexagonale.

Travailler sur l'eau n'est pas chose facile. Le sujet est complexe sur tous les plans : technique, mais aussi financier et administratif. On a souvent le sentiment que l'eau est une affaire de spécialistes, d'ingénieurs plus que de politiques. Lorsque nous avons débuté nos travaux, au printemps dernier, nous étions déjà convaincus qu'il n'en était rien. Le contexte de sécheresse de cet été et les manifestations contre la construction de retenues d'eau pour l'irrigation dans les Deux-Sèvres il y a quelques semaines apportent « de l'eau à notre moulin ». La gestion de l'eau comporte certes une dimension technique mais c'est pleinement une question politique dont nous devons nous saisir et qui, au-delà des soubresauts de l'actualité, se construit sur le temps long.

Nous avons procédé à plus d'une trentaine d'auditions et, fait inhabituel à la délégation à la prospective, deux déplacements en juin dans le secteur Drôme-Ardèche et dans la Loire, et en septembre dans les Pyrénées-Orientales, pour aller recueillir des témoignages de terrain, auprès d'élus, d'agriculteurs, de fonctionnaires des services de l'État ou d'établissements publics ou encore de représentants des pêcheurs ou d'associations de protection de l'environnement. Nous avons cherché à avoir le panel le plus large possible d'interlocuteurs.

Le rapport que nous vous présentons aujourd'hui est issu de ces travaux. Nous avons fait le choix de le présenter sous la forme de huit questions.

Première question : à quoi nous sert l'eau aujourd'hui ? Qui sont ses différents utilisateurs ? Avec une préoccupation forte : allons-nous pouvoir nous en passer ou, au moins, réduire notre consommation ?

Deuxième question : quelles sont les modifications du cycle de l'eau auxquelles nous pouvons nous attendre avec le changement climatique ?

Troisième question, liée à la précédente : risque-t-on de voir exploser les conflits d'usage ? Va-t-on pouvoir gérer la pénurie sans difficulté ?

Quatrième question : comment est organisée notre gouvernance de l'eau ? Qui décide ?

Cinquième question : quelles sont les données sur l'eau dont nous disposons pour travailler ?

Sixième question : quelles sont les possibilités techniques pour « fabriquer de l'eau », quelles sont nos marges de manoeuvre pour construire des retenues, réutiliser l'eau, éventuellement la transporter d'un lieu à un autre ?

Septième question : quel est le niveau de qualité de l'eau que nous pouvons espérer à l'avenir et comment faire pour garder un haut niveau d'exigence ?

Huitième et dernière question : combien l'eau nous coûte-t-elle déjà et peut-elle demain nous coûter ?

Enfin, nous terminons ce tour d'horizon qui se veut le plus complet possible par les leçons que nous tirons et les orientations qui nous paraissent pertinentes pour la politique de l'eau.

Faire de la prospective, c'est partir d'un état des lieux. Sur la première question relative aux utilisations de l'eau, quelques repères doivent d'abord être posés. L'eau douce provient des précipitations. En France, nous n'en manquons pas avec une moyenne de 900 mm de pluie par an, soit 510 milliards de m3 d'eau qui tombent sur le territoire métropolitain, dont environ 210 milliards de m3 de pluies dites «utiles », qui vont dans les nappes et les cours d'eau. Nous n'utilisons qu'une petite partie de ce volume : 32 à 35 milliards de m3 par an, pour énormément d'usages.

La production d'énergie électrique est le plus gros préleveur d'eau : 17 milliards de m3 par an. Nous produisons ainsi de l'hydroélectricité, qui nous apporte 12 à 13 % de la production annuelle d'électricité. L'hydroélectricité est très vertueuse : c'est une énergie décarbonée, pilotable, et en plus elle rend l'eau au milieu naturel. Sur un cours d'eau, on peut même turbiner plusieurs fois le même flux.

Les centrales nucléaires ont également besoin de beaucoup d'eau pour leur circuit de refroidissement, et l'essentiel de cette eau est restituée au milieu. Une annexe au rapport décrit le rôle de l'eau dans le refroidissement des centrales.

L'eau potable, ensuite, prélève 5 milliards de m3, dont 1 milliard sont perdus sous forme de fuites. Elle est indispensable à notre vie quotidienne, même si nous avons appris progressivement à être plus économes en eau, avec des consommations qui baissent tendanciellement et s'établissent aujourd'hui à 150 litres par personne et par jour, soit 120 à 150 m3 par ménage et par an, selon la composition des ménages.

L'agriculture prélève 3 à 3,5 milliards de m3 par an. Elle en est très dépendante car il n'y a pas d'agriculture sans eau. C'est certainement le secteur le plus sensible au changement climatique, avec des besoins en eau qui sont concentrés sur la saison chaude et qui vont mécaniquement augmenter avec le réchauffement climatique.

L'agriculture irriguée ne représente que 20 % des exploitations agricoles et 5 % de la surface, un chiffre stable depuis 20 ans, mais avec des secteurs très dépendants et des activités qui demain ne pourront pas survivre sans apport extérieur d'eau, comme la vigne sur le pourtour méditerranéen.

L'agriculture est aussi le secteur le plus exposé dans les débats sur la gestion quantitative de l'eau, puisque les plantes captent l'eau pour se développer et ne la rendent pas au milieu naturel. Lorsqu'on raisonne non pas en termes de prélèvement d'eau mais de consommation d'eau, on constate que l'agriculture en représente les deux tiers, avec un pic en été.

L'industrie prélève encore 3 milliards de m3 par an, et a développé des systèmes de réutilisation de l'eau. Elle rend au milieu l'essentiel des quantités d'eau prélevées.

De l'eau est utilisée également pour alimenter les canaux de navigation et les ouvrages hydrauliques, à hauteur de 5 milliards de m3 par an. Lorsque les voies navigables sont insuffisamment alimentées, on doit réduire le chargement des péniches, ce qui a été le cas sur le Rhin pendant deux semaines cet été. On peut noter que, pour le soutien d'étiage, il y a prélèvement d'eau mais pas de consommation d'eau, puisque l'eau est rendue au milieu naturel. On ne fait que l'intercepter temporairement.

Enfin, l'eau est le support de nombreuses activités récréatives et le moteur du tourisme dans certains territoires, y compris l'hiver, avec les enneigeurs artificiels qui équipent 30 % des pistes de ski. Pour la pêche de loisir, pour la pratique du kayak et des sports d'eau vive ou encore pour la pratique du golf, l'eau est indispensable et irremplaçable.

Mais si l'eau fait l'objet d'utilisations pour une multitude de besoins, et si la civilisation repose sur la domestication de l'eau et la mise en place d'outils pour organiser sa gestion collective, l'eau rend aussi des services à la nature qui font qu'il existe des limites fortes à nos possibilités de prélèvement et de consommation.

La gestion durable de la ressource en eau impose ainsi de préserver les zones humides, de protéger la faune et la flore aquatique, et de ne pas prélever trop. La directive cadre sur l'eau nous impose ainsi de garantir le bon état quantitatif des réserves d'eau souterraines comme des eaux de surface, pour préserver les écosystèmes, mais aussi pour ne pas nous retrouver demain en situation de ne plus avoir suffisamment d'eau pour satisfaire nos besoins.

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