Les modifications du cycle de l'eau qui vont nous toucher dans les décennies à venir constituent la deuxième question abordée par le rapport. Le cycle de l'eau, à l'échelle de la planète est très «thermosensible ». Il a déjà commencé à se modifier sous l'effet du réchauffement climatique. L'eau ne disparaît pas, les pluies ne cessent pas. Mais elles se déplacent. La géographie des précipitations se transforme, en particulier sous l'effet des variations de la zone de convergence intertropicale entre le 30ème parallèle Nord et le 30ème parallèle Sud. La temporalité des précipitations évolue aussi : nous allons vers des épisodes plus prononcés, plus violents, plus massifs, alternant avec des périodes prolongées sans pluie.
L'élévation des températures accélère la fonte des glaciers et renforce l'évaporation continentale. La déforestation ou encore l'urbanisation contribuent aussi à l'érosion des sols et une moindre infiltration de l'eau dans les nappes. Les littoraux sont en première ligne avec, outre l'érosion marine, les phénomènes de biseau salé dans les nappes côtières.
La France est assez riche en eau avec des précipitations largement suffisantes pour pourvoir à nos besoins et des massifs montagneux qui sont autant de « châteaux d'eau » naturels. Mais nous n'échappons pas au changement climatique, nous sommes même dans la zone où les changements du cycle de l'eau risquent d'être les plus prononcés, à l'inverse du Nord de l'Europe dont le régime des précipitations devrait être stable.
Il y a déjà des différences régionales prononcées en matière de disponibilité de l'eau, la zone méditerranéenne s'étant habituée de manière ancienne à faire face à une ressource plus rare. Cette rareté va cependant remonter vers le Nord.
Les experts n'anticipent pas une baisse générale du volume annuel de précipitations. Mais il y a un consensus pour estimer que nous aurons moins de pluie en été, avec une diminution de l'ordre de 16 à 23 %, une baisse du débit des cours d'eau de 10 à 40 % à cette période, une sécheresse agricole plus longue et une évapotranspiration accrue. Les tendances qui se dessinent pourraient être accentuées en cas de réchauffement climatique plus rapide que ce que prévoit le scénario central du GIEC.
L'exercice de prospective bassin par bassin auquel se sont livrées les Agences de l'eau sur la base de l'étude Explore 2070 montre qu'aucune région n'échappera totalement à ce mouvement, y compris les bassins plus septentrionaux : Rhin-Meuse, Artois-Picardie et Seine-Normandie. Plus on descend à une échelle fine, plus les prévisions sont difficiles à faire, avec parfois des phénomènes qui se contrebalancent. Ainsi, le système-Rhône devrait bénéficier jusqu'à la fin du siècle d'étiages peu prononcés du fait de la fonte des glaciers, qui alimentent le Rhône en été.
Globalement, il faut cependant s'attendre à faire face à davantage de sécheresses et aux problèmes de qualité de l'eau posés par l'eutrophisation, liés à l'augmentation de la température.
Ces problèmes vont s'accentuer, mais en réalité, ils sont déjà là et ils suscitent des conflits d'usage qui risquent eux aussi de devenir plus compliqués à gérer. Ces conflits d'usage de l'eau sont l'objet de la troisième question de notre rapport. Va-t-on pouvoir les gérer, ou est-on condamné à les voir se multiplier et s'envenimer ?
Le droit de l'eau est précisément là pour prévenir les conflits d'usage et les excès que les différentes catégories d'acteurs pourraient être tentés de commettre, au détriment des services rendus par la nature ou au détriment des autres utilisateurs. La gestion de l'eau est forcément collective. Pour utiliser sa force motrice ou pour la capter dans le sous-sol ou dans les rivières, on doit passer par un système d'autorisations administratives exigeant : les installations, ouvrages, travaux et aménagements (IOTA). Les zones de répartition des eaux, où l'on connaît des difficultés structurelles, se voient appliquer des règles renforcées de protection de la ressource.
Ce cadrage normatif organise le partage de l'eau mais n'empêche pas des situations de tension, notamment avec la multiplication des épisodes de sécheresse qui deviennent récurrentes et généralisées à toute la France. Les préfets sont appelés à réunir des comités sécheresse et prendre des mesures de restriction et l'ont fait dans quasiment tous les départements en 2022. Au 24 novembre 2022, le site Propluvia indique que des arrêtés sécheresse sont encore en vigueur dans la moitié des départements français.
Dans ces conditions, pourra-t-on à la fois poursuivre l'objectif environnemental de préservation des écosystèmes aquatiques et l'objectif économique d'utilisation de l'eau ? Pour l'instant, c'est cette ligne de crête qui est suivie. L'idée première est d'aller vers plus de sobriété, avec un objectif fixé par les Assises de l'eau de réduction des consommations d'eau de 10 % en 2025 et 25 % en 2035. On compte notamment sur des aménagements fondés sur la nature pour mieux maîtriser le cycle de l'eau, et sur la concertation des acteurs pour s'entendre sur la manière de faire. Mais ce n'est pas si simple. Un exemple en atteste, celui de la fixation du niveau des débits réservés. Pour conserver une vie biologique minimale, un débit minimal doit être garanti dans les cours d'eau. Il doit représenter 1/10ème voire 1/20ème du débit habituel. Or, les modalités de calcul de celui-ci sont localement contestées. Fixé trop haut, il conduit à interdire tout prélèvement agricole à certaines périodes critiques de l'année. Son principe même interroge dans des zones où l'assèchement total d'un cours d'eau l'été pourrait être acceptable, plutôt que de voir s'arrêter toute l'activité agricole d'une vallée. Un changement d'approche sur les débits réservés est nécessaire pour conserver une vision équilibrée de la gestion de l'eau.
Les conflits d'usage de l'eau se tendent en situation de sécheresse et pourraient bien se tendre encore plus dans les années à venir, en contraignant un peu plus les collectivités dans leurs projets. La pression démographique dans les zones littorales méditerranéennes commence ainsi à se heurter à la limite de la disponibilité de l'eau en été, où les touristes sont aussi des consommateurs d'eau supplémentaires à satisfaire. Les projets en matière d'urbanisme en seront immanquablement affectés.
Il va donc falloir à la fois faire de la gestion de crise, lorsque la sécheresse survient, mais aussi faire de la prévention de crise, par une stratégie de long terme de maîtrise de l'eau, en utilisant tous les leviers à disposition : la sobriété, mais aussi la réalisation d'aménagements, de retenues collinaires, de retenues de substitution et toute la panoplie de solutions à notre disposition aujourd'hui.