Intervention de Jean-François Husson

Commission mixte paritaire — Réunion du 6 décembre 2022 à 21h00
Commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances pour 2023

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson, rapporteur pour le Sénat :

Nous avons achevé cet après-midi l'examen en première lecture du PLF pour 2023. Le texte qui nous réunit en commission mixte paritaire a pour particularité d'être issu non pas d'un examen complet par nos deux assemblées, mais d'un texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale après le recours au 49.3 et de son examen par le Sénat.

Nous avons exprimé nos réserves quant à la prévision de croissance du PIB retenue par le Gouvernement pour 2023, qui nous paraît bien trop optimiste : le chiffre de 1 % est très éloigné du consensus des économistes et, surtout, ne tient pas compte des récentes évolutions conjoncturelles - ralentissement de l'activité au troisième trimestre, hausse des taux directeurs de la Banque centrale européenne (BCE), prévision de récession en Allemagne, stagnation de l'activité dans la zone euro. Le Président de la République a lui-même fait observer ce week-end que la croissance serait moindre.

Notre dette publique atteint 111,5 % du PIB. La remontée des taux d'intérêt constitue un risque pour sa soutenabilité. Certes, l'inflation, qui reste majoritairement importée et liée à l'augmentation du coût de l'énergie, est mieux maîtrisée en France que dans d'autres économies développées, mais au prix d'une forte mobilisation des finances publiques qui dégrade les comptes publics. S'il nous apparaît indispensable de poursuivre le soutien aux ménages et aux entreprises et d'assurer les moyens nécessaires au bon fonctionnement de nos services publics face à la crise énergétique, un effort doit parallèlement être engagé pour maîtriser la dépense ordinaire des administrations publiques, qui progresse de 137 milliards d'euros entre 2021 et 2023, dont 65 milliards d'euros pour cette année.

Pour le budget de l'État, alors que des mesures d'économie devraient être adoptées dès 2023, le Gouvernement choisit d'identifier les dépenses qui doivent augmenter, mais non les économies permettant de les compenser. La trajectoire des dépenses ne montre ainsi aucune inflexion pour les années à venir et, à ce stade, aucune volonté de maîtriser les dépenses de masse salariale. Le déficit de l'État, supérieur en 2023 à 150 milliards d'euros pour la quatrième année consécutive, reste à des sommets atteints pendant la crise sanitaire et dont le Gouvernement ne semble pas trouver les moyens de redescendre.

Ce budget de l'État est celui de tous les records : jamais un projet de loi de finances n'avait présenté un tel niveau de déficit dès le début de la discussion, jamais un budget n'avait prévu un tel niveau d'emprunts nouveaux, à hauteur de 270 milliards d'euros en 2023, jamais non plus la France n'avait dû rembourser autant d'emprunts arrivés à échéance.

Le Sénat a modifié, inséré, supprimé bon nombre de mesures en première lecture. Je me concentrerai sur quelques-unes d'entre elles.

Je veux d'abord rappeler le sens des responsabilités dont notre assemblée a fait preuve en votant une nouvelle fois les mesures proposées par le Gouvernement pour contrer la hausse des prix de l'énergie alors que les Français sont inquiets pour leur foyer, mais aussi pour leur activité professionnelle et pour le maintien des services publics. Nous avons ainsi voté les boucliers et amortisseurs, même si nous resterons très attentifs à leur mise en oeuvre concrète, car nous avons parfois eu l'impression de décider un peu à l'aveugle.

Nous avons aussi voté la contribution sur la rente inframarginale décidée au niveau européen, mais qui reste à façonner - l'amendement adopté au Sénat ne suffira manifestement pas à faire fonctionner le dispositif correctement.

J'en viens aux finances locales. Tout d'abord - cela ne vous surprendra pas -, le Sénat s'est fermement opposé à la réintroduction « par la fenêtre » du mécanisme de contractualisation avec les collectivités territoriales, rejeté par les deux assemblées lors de l'examen du projet de loi de programmation des finances publiques. Ensuite, nous avons considérablement renforcé le « filet de sécurité » pour le rendre accessible à un plus grand nombre de collectivités touchées par la crise et étendre la protection qui pourrait leur être apportée. Notre proposition, équilibrée et raisonnable, devrait leur permettre, avec le bouclier tarifaire et l' « amortisseur électricité », de voir venir plus sereinement les mois prochains et la construction de leur budget primitif.

Garantir une véritable autonomie financière aux collectivités territoriales, leur permettre d'assumer les charges qui leur sont imposées tout en se souciant des comptes publics : c'est le sens du choix, fait par une majorité du Sénat, de supprimer l'article 5, donc de contester la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Cela ne remet en rien en cause notre soutien au tissu économique et aux entreprises, qui doivent rester concurrentielles. Ce choix n'était certes pas le mien, à titre personnel et comme rapporteur général du budget, mais je l'entends et j'en tiens compte.

Parmi les autres mesures adoptées pour soutenir nos collectivités figure l'intégration dans le Fonds de compensation pour la TVA (FCTVA) des opérations d'aménagement et d'agencement, qui y étaient devenues inéligibles du fait de la réforme de l'automatisation. La modernisation et la légitimité des impôts locaux passent aussi par la révision des valeurs locatives des locaux d'habitation ; voilà pourquoi nous avons refusé son report de deux ans, qui était infondé.

Le soutien à nos services publics suppose de renforcer nos services départementaux d'incendie et de secours (Sdis), très sollicités. Ainsi, au-delà des 240 millions d'euros votés pour l'acquisition de Canadair, nous avons exonéré leurs véhicules du malus écologique et du malus au poids.

Les outre-mer ne sauraient pas non plus être oubliés. Nous avons voté plusieurs mesures visant notamment à tenir compte de leur spécificité en matière de lutte contre l'habitat insalubre, d'activité économique et de traitement des déchets.

Nous soutenons aussi nos entreprises, en particulier les PME : nous avons pris votre suite en rehaussant le plafond de leurs bénéfices soumis au taux réduit d'impôt sur les sociétés de 15 %, pour tenir entièrement compte de l'inflation. Nous avons également proposé de prolonger pour une année supplémentaire et de renforcer le crédit d'impôt pour la rénovation énergétique des bâtiments à usage tertiaire des PME.

Il faut tenir compte des problèmes que peuvent traverser nos concitoyens. Nous avons notamment pensé aux jeunes ménages frappés de plein fouet par certaines des crises que nous vivons. Nous proposons ainsi que soit relevé le plafond du prêt à taux zéro (PTZ) dont bénéficient les primo-accédants sous conditions de ressources, pour tenir compte de l'inflation et dans un contexte de difficultés avérées d'accès à la propriété, du fait notamment de la hausse des taux. Par ailleurs, nous avons étendu aux frais engagés pour les enfants de moins de 12 ans l'application du crédit d'impôt pour frais de garde à l'extérieur du domicile.

Pleinement conscients des enjeux de la transition écologique, nous avons voté des moyens supplémentaires pour le ferroviaire, le fonds Chaleur et la lutte contre les inondations. Nous avons également majoré la dotation de biodiversité et fixé à 3 000 euros le minimum global d'attribution aux communes.

Le Sénat a par ailleurs voté pas moins de neuf amendements qui constituent l'exacte traduction des recommandations de notre mission d'information sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. Il s'agit essentiellement de mesures techniques, mais qui ont pour objectif de faire progresser cette lutte, comme nous le souhaitons tous.

Le Sénat s'est également montré responsable en proposant 3 milliards d'euros de baisse de la dépense publique et 8 milliards d'euros de « sincérisation budgétaire ».

Il a enfin rejeté les crédits des missions suivantes : Administration générale et territoriale de l'État ; Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ; Cohésion des territoires ; Immigration, asile et intégration. Voyez-y la marque d'une forte opposition à la politique publique menée comme aux moyens qui lui sont alloués.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, je ne me fais pas de grandes illusions quant à nos chances de parvenir à un compromis. Je pense et j'espère cependant que certaines mesures adoptées par le Sénat prospéreront dans le texte de la nouvelle lecture. Cette année, députés et sénateurs se retrouvent un peu dans la même situation, espérant que le Gouvernement conservera des dispositions auxquelles ils croient. Le ministre Gabriel Attal nous a en tout cas donné plusieurs garanties en conclusion de nos travaux de cet après-midi, après le vote ; nous verrons.

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