Intervention de Bruno Le Maire

Réunion du 26 mai 2010 à 14h30
Modernisation de l'agriculture et de la pêche — Article 9

Bruno Le Maire, ministre :

Je souhaite prolonger les propos de M. le président de la commission. Je rappellerai l’enjeu du présent projet de loi, qui a pour objet non pas de servir de boîte à outils, mais de permettre à l’agriculture de prendre un tournant majeur.

Le système actuel de prévention et d’indemnisation des risques agricoles est à bout de souffle. Il n’est adapté ni à la réalité ni à la mesure des risques.

En la matière, quelle position adopter ?

Une première attitude consiste à conserver le système tel qu’il est, avec le Fonds national de garantie des calamités agricoles, et à « mettre des rustines » ici ou là, sans développer davantage l’assurance. Bref, on attend de voir ce qui va se passer.

Un tel comportement serait totalement irresponsable, et je pèse mes mots. Face à des risques qui ne cessent d’augmenter – je l’ai déjà indiqué à plusieurs reprises et malheureusement l’actualité le démontre tragiquement –, on ne peut pas garder un système qui prend l’eau de toutes parts. Je rappelle que le FNGCA ne compte au total que 180 millions d’euros par an pour faire face à toutes les calamités agricoles qui peuvent survenir. À la moindre calamité agricole – et je suis bien placé pour le savoir –, 120 millions d’euros ou 150 millions d’euros sont nécessaires pour indemniser une toute petite partie d’une seule filière. Le système est donc totalement inadapté. Il n’est pas à la mesure des risques existants.

Une deuxième attitude consiste à se demander si l’on augmente sans réserve les fonds du FNGCA ou si l’on essaie plutôt de développer parallèlement des dispositifs assurantiels. À mes yeux, le choix est évident, sauf à trouver dans le budget de l’État 1 milliard ou 2 milliards d’euros destinés à alimenter le fonds, option qui me paraît illégitime et peu souhaitable du point de vue des finances publiques. La seule solution – et tous nos partenaires européens l’ont compris – est un développement de l’assurance s’appuyant, comme l’a fort bien rappelé Jean-Paul Emorine, sur le dispositif de subventions mis en place fort opportunément par mon prédécesseur Michel Barnier.

Si l’on accepte un tel développement, faut-il assortir le dispositif d’un caractère obligatoire ou facultatif comme c’est actuellement le cas ? Je me réjouis de constater que la réflexion a beaucoup progressé dans cet hémicycle. Chacun a compris que, par le biais du présent projet de loi, il fallait instaurer un nouveau dispositif d’indemnisation des agriculteurs en raison de la multiplication des risques.

Pour ma part, j’en reste à une philosophie plus incitative qu’obligatoire. Il y va de notre intérêt financier. En effet, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous confirme que, dès lors que le dispositif serait inscrit dans la loi et rendu obligatoire par l’État, il déclencherait le principe de subsidiarité. Dans cette hypothèse, l’Union européenne se retirerait et ne verserait plus à la France les subventions qu’elle lui accorde actuellement à hauteur de 100 millions d’euros. À cet égard, mes services tiennent toutes les notes que vous souhaitez à votre disposition.

Que la situation puisse évoluer à terme, je ne l’exclus pas, mais dans l’immédiat, il faut s’en tenir à un dispositif incitatif.

Monsieur Retailleau, je me suis rendu à deux reprises en Vendée et en Charente-Maritime. La détresse des agriculteurs, qui ont toute ma sympathie, m’a bouleversé. Je suis conscient de la nécessité de réagir de la manière la plus efficace possible. Je continue à suivre ce dossier au jour le jour et j’exerce une pression maximale afin que les aides nécessaires soient débloquées. J’irai à nouveau en Vendée dans les prochains jours pour apporter des solutions, pour montrer la mobilisation du Gouvernement et pour expliquer à quel point il se bat pour obtenir des réponses.

Mais – et cette restriction n’est pas négligeable – il faut tirer toutes les leçons du drame qui est survenu dans ce département et qui illustre le caractère inadapté de notre système. La plupart des 5 % de céréaliers et d’agriculteurs assurés ont perçu leur prime d’assurance depuis quelques jours et ont donc été indemnisés. L’indemnisation des 95 % de producteurs restants dépend du Fonds national de garantie des calamités agricoles, lequel, malheureusement, est totalement inadapté. En effet, en cas de calamités, ce fonds ne résout que 20 %, 25 % ou 30 % des problèmes, ce qui est insuffisant. Les malheureux exploitants agricoles touchés demandent plus. Or l’indemnisation totale n’a pas été prévue et les fonds ne sont pas disponibles. De plus, seule les pertes de fonds et les pertes de récoltes réelles, et non à venir, peuvent être indemnisées, ce qui n’intéresse pas les exploitants agricoles de Vendée qui ont été frappés.

Nous avons donc dû « bricoler » – appelons un chat un chat – pour trouver une indemnisation plus généreuse, répondant aux attentes des exploitants agricoles et, dans le même temps, conforme aux réglementations européennes.

Nous avons voulu prendre en compte deux éléments essentiels : d’une part, le gypsage permettant d’absorber le sel des terres inondées dont le montant est évalué à 10 millions d’euros, et, d’autre part, l’indemnisation de la perte de récoltes futures. Personne n’avait prévu qu’il faudrait un jour indemniser ce type de perte. Le Fonds national de garantie des calamités agricoles a pour objet de dédommager les exploitants de la perte de récoltes due à la grêle ou à une inondation et non pas de celle de récoltes futures résultant de l’infertilité des sols gorgés de sel ou d’un rendement moindre.

Il a donc fallu inventer un dispositif, qu’il a fallu notifier à Bruxelles. La négociation est difficile. Non seulement nous proposons des indemnisations sous forme de forfait à l’hectare, dispositif que la Commission n’aime pas, mais encore nous voulons indemniser des pertes futures, concept inconnu à ce jour de la Commission. Nous devons donc fournir des explications.

Je pourrais débloquer l’argent tout de suite et faire fi de la Commission. Mais je n’agirai pas ainsi, et j’assume ma décision. Si un ministre de l’agriculture a dû « repêcher » des aides d’État – je n’ose même pas, mesdames, messieurs les sénateurs, vous indiquer leur montant – accordées à toutes les filières des différentes productions agricoles, c’est bien celui que vous avez devant vous. Je ne changerai pas ma position, je suis catégorique : je ne donnerai plus un euro d’aide d’État qui n’ait pas été validé par Bruxelles, c’est-à-dire qui soit susceptible de devoir être remboursé ensuite par les agriculteurs. Lors de dizaines de réunions, j’ai dû expliquer, les yeux dans les yeux, aux pêcheurs, aux ostréiculteurs, aux céréaliers, aux producteurs de fruits et légumes qu’ils devaient rembourser les aides qui leur avaient généreusement été accordées cinq ans ou dix ans auparavant. Je n’exposerai pas l’un de mes successeurs à une telle situation.

Monsieur Retailleau, évidemment, je perçois l’urgence absolue des aides. Les discussions sur ce sujet sont permanentes. Demain, je demanderai par téléphone à Dacian Cioloş d’accélérer la procédure. Je préfère néanmoins prendre un jour ou deux de plus, m’assurer que les aides ne devront jamais être remboursées et offrir ainsi aux agriculteurs un dispositif le plus solide possible.

Par ailleurs, je vais veiller à ce que les autres aides nationales prévues soient très rapidement versées : la contribution du Fonds d’allégement des charges à hauteur de 5 millions d’euros, les prêts bancaires, l’indemnisation des calamités agricoles sur les pertes de fonds à hauteur de 2 millions d’euros. Il n’est effectivement pas normal que ces sommes n’aient pas été débloquées.

J’assume totalement ma position que j’irai l’expliquer sur le terrain.

J’exercerai une pression maximale sur la Commission européenne pour obtenir son autorisation de mettre en œuvre le dispositif totalement novateur que nous avons dû inventer et j’espère pouvoir annoncer le plus rapidement possible cette décision aux exploitants agricoles.

Tirons les leçons de cet événement dramatique. Je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous êtes confrontés à des agriculteurs totalement désespérés. On ne peut pas s’en tenir au dispositif d’indemnisation des calamités tel qu’il existe aujourd’hui. C’est un véritable panier percé à travers lequel passent toutes les calamités. Il est temps de le refonder, ce que nous vous proposons aujourd’hui.

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