Nous nous réunissons une troisième fois sous le format d'une commission mixte paritaire en quelques semaines. Il s'agit aujourd'hui d'examiner le premier texte financier que nos assemblées ont examiné cet automne, à savoir le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027. L'exercice est important, car il doit permettre de définir la trajectoire des finances publiques qui guidera ensuite les lois de finances des prochaines années. Par ailleurs, ce texte comporte, en principe, la traduction de nos engagements européens au niveau national.
Toutefois, son examen au Sénat est intervenu dans un contexte un peu différent cette année.
D'une part, les gouvernements du précédent quinquennat n'ont pas jugé utile de modifier la loi de programmation 2018-2022, laissant ainsi en place une trajectoire totalement décorrélée des événements subis par notre pays, aux répercussions pourtant majeures sur nos finances publiques. Cela a, à mon sens, quelque peu écorné la portée de ce texte depuis 2018.
D'autre part et surtout, le Sénat était appelé à se prononcer sur le texte déposé par le Gouvernement, dans la mesure où le projet de loi a été rejeté en première lecture par l'Assemblée nationale.
Nous avons estimé que les hypothèses du scénario macroéconomique étaient trop favorables. Les prévisions de croissance effective et potentielle sont notamment très éloignées du consensus des économistes. Le Gouvernement surestime les effets à court terme des quelques réformes structurelles qu'il souhaite engager.
La trajectoire des finances publiques qui nous était proposée par le Gouvernement ne nous a pas paru suffisamment ambitieuse, en prévoyant une réduction du déficit à 3 % du PIB seulement à partir de 2027. En effet, nos partenaires européens devraient retrouver ce niveau dès 2025. L'endettement public ne refluerait, quant à lui, pas avant 2026 et resterait à des niveaux encore très importants. Le rythme de redressement de nos comptes publics est insuffisant.
Cette trajectoire est aussi en trompe-l'oeil puisque le Gouvernement ne retraite ni les mesures liées aux crises sanitaire, économique et énergétique, ni la charge de la dette.
En outre, les efforts imposés aux administrations locales et sociales semblent considérables alors que les administrations centrales ne doivent en réaliser que très peu, si l'on retraite notamment des dépenses liées à la crise sanitaire et à la crise de l'énergie.
D'ailleurs, la trajectoire de hausse des crédits des missions budgétaires de l'État inscrite dans le projet de loi montre que le Gouvernement a renoncé à identifier les missions sur lesquelles des économies pourraient être réalisées.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, le Sénat a proposé une trajectoire bien plus ambitieuse et sérieuse. D'une part, elle permettait de redresser plus rapidement les comptes publics en passant notamment le déficit sous les 3 % du PIB dès 2025, et de baisser la dépense. D'autre part, elle exigeait de l'État de faire des efforts au même titre que les autres administrations publiques. Ainsi, le texte issu de nos travaux prévoit que les dépenses hors mesures de crise et hors charge de la dette des administrations centrales doivent ainsi diminuer de 0,5 % en volume chaque année dès 2023, comme cela est demandé aux collectivités territoriales.
Cette nouvelle trajectoire permettait ainsi de ramener le déficit public en dessous de 3 % du PIB dès 2025, ce qui nous paraît être un objectif certes ambitieux, mais aussi réaliste.
Cette proposition répond à quatre objectifs : faire refluer le déficit et l'endettement public plus rapidement que ne le prévoit le Gouvernement ; assurer la pleine contribution des administrations centrales ; préserver les dépenses sociales et régaliennes ; enfin, conserver des marges d'intervention face à la crise.
Autre sujet d'importance, le traitement des collectivités territoriales. Les efforts qui leur sont demandés sont importants, puisqu'est prévue une trajectoire des concours financiers de l'État dont la croissance en valeur masque en réalité une contraction de 4 milliards d'euros en volume. Parallèlement, est également fixé un objectif d'évolution de la dépense locale (Odedel), correspondant à une diminution des dépenses de fonctionnement, de 0,5 % par an en volume, soit un effort plus rigoureux encore que sous les précédentes lois de programmation. N'oublions pas que, déjà par le passé, leur contribution au redressement des finances publiques a été déterminante. Les collectivités territoriales ont démontré la rigueur de leur gestion et leur esprit de responsabilité face à l'urgence de rétablir nos comptes publics. C'est la raison pour laquelle nous avons supprimé le système de surveillance et de sanction des collectivités proposé par l'article 23, à rebours des engagements du Gouvernement à mettre en place une nouvelle méthode fondée sur la confiance dans le respect du principe de libre administration des collectivités territoriales.
Nous avons en revanche maintenu l'effort demandé aux collectivités territoriales pour le redressement de nos comptes publics, en prévoyant toutefois d'exclure de l'Odedel les dépenses sociales - revenu de solidarité active (RSA), allocation aux adultes handicapés (AAH) - des départements.
Enfin, le Sénat a enrichi le texte en adoptant plusieurs amendements qui s'inscrivent principalement dans un objectif de maîtrise plus rigoureuse de la dépense ou sont guidés par un souci de vigilance quant à la mise en oeuvre effective des mesures figurant dans ce texte.
Notre assemblée a notamment limité à trois ans la durée des dépenses fiscales, en prévoyant une évaluation avant leur éventuelle prolongation. Elle a également souhaité réduire le nombre d'emplois publics, en prévoyant une baisse de 5 % d'ici à 2027.
Il lui a paru aussi important que soit exclue de l'enveloppe « normée » la TVA affectée aux régions, comme dans la précédente loi de programmation, afin de maintenir une présentation distincte, qui permettra de mieux suivre son évolution et de s'assurer que le dynamisme de cette ressource ne pèse, effectivement, pas sur les autres concours. Cela allait aussi dans le sens des recommandations formulées par la Cour des comptes, qui jugeait artificielle la distinction entre « fiscalité substituée » et « fiscalité transférée».
Concernant les régimes sociaux, le Sénat a notamment prévu que la mise en réserve de 3 % de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) constituerait un plafond et que l'effort pèserait uniformément sur chacun des sous-objectifs.
Enfin, le Sénat a amélioré un certain nombre de dispositions : avec des précisions notamment apportées quant aux évaluations devant être rendues chaque année sur la qualité de la dépense publique (article 21), mais aussi s'agissant du bilan annuel de la mise en oeuvre de la présente loi et des articles en vigueur des précédentes lois de programmation des finances publiques (article 25).
Cette trajectoire repose également sur un « parallélisme des exigences » pesant sur l'État et les collectivités territoriales, offrant ainsi un juste équilibre dans la répartition de l'effort réalisé pour maîtriser la dépense publique entre administrations. Cela nous paraît de bon sens. Je rappelle ainsi qu'entre 2013 et 2016 les collectivités ont porté les deux tiers de la réduction du déficit public, alors même qu'elles représentaient moins de 20 % de la dépense publique. De même, elles ont su réaliser 11 milliards d'euros d'économies sur leurs dépenses de fonctionnement entre 2019 et 2021, alors même que les contrats de Cahors n'ont pas été appliqués en 2020 et 2021.
Je crois pouvoir dire que, après de nombreux échanges avec le rapporteur général Jean-René Cazeneuve, nous étions parvenus à de nombreux points d'accord. Toutefois, c'est sur l'essentiel que nous n'avons pas réussi à nous entendre : la trajectoire de retour à l'équilibre, ou du moins à un niveau soutenable pour l'avenir, de nos dépenses publiques.
Nous ne pouvons pas nous satisfaire des ambitions de la majorité présidentielle, qui demande aux autres administrations, et principalement aux collectivités territoriales, les efforts qu'elle ne sait pas faire avec ses administrations centrales !
Par ailleurs, on l'a vu avec le projet de loi de finances pour 2023, le Gouvernement continue de dépenser, sans rechercher d'économies par ailleurs et sans compter. En tout cas, le Gouvernement n'est plus « à l'euro près », selon la formule fameuse du ministre de l'économie. Si la crise de l'énergie mérite que l'on déploie les moyens nécessaires pour protéger nos compatriotes et notre tissu économique, si la situation de l'hôpital et la situation internationale justifient des efforts particuliers, les priorités devraient être redéfinies pour d'autres politiques publiques. L'exceptionnel de la crise sanitaire a duré, il faut savoir en sortir. Nous ne pouvons avoir la même exception pour tout.
Quoiqu'il en soit, nous avons pu constater que le Gouvernement avait respecté l'engagement pris par Mme la Première ministre, devant le Congrès des maires, de ne pas rétablir un dispositif de sanction vis-à-vis des collectivités territoriales, et que l'article 40 quater du projet de loi de finances pour 2023 a bien été supprimé en nouvelle lecture.